La crise coréenne a refait surgir ces derniers mois l’hypothèse d’une guerre nucléaire. Le 8 août dernier, Trump promettait à la Corée du Nord « le feu et la fureur comme le monde n’en a jamais connu jusque-là » et, du haut même de la tribune des Nations-Unies le 19 septembre, il menaçait de « détruire complètement la Corée du Nord » si le territoire américain ou celui de ses alliés étaient attaqués comme Kim Jong Un, le dictateur de la Corée du Nord, venait d’en agiter la menace après avoir revendiqué la maîtrise de l’arme nucléaire et effectué plusieurs lancements de missiles.

La crise coréenne rappelle que le monde, dont une grande partie au Moyen-Orient et en Afrique est déjà ravagée par la guerre, n’est pas à l’abri d’une conflagration dont on ne peut connaître les répercussions en chaîne.

Les raisons de cette crise tiennent aux relations entre les États eux-mêmes, aux conflits d’intérêts qui les opposent, à la logique de rivalités dans un monde en crise dominé par le leadership des États-Unis fragilisé par l’émergence de puissances rivales comme la Chine.

Dans De la guerre comme politique étrangère des États-Unis, Noam Chomsky citait un document secret du Haut commandement stratégique datant de 1995. « Ce document, précisait-il, propose que les Etats-Unis exploitent leur potentiel nucléaire pour donner l’image d’un Etat "irrationnel et vindicatif dès lors que ses intérêts vitaux sont menacés". […] Le fait que certains éléments du gouvernement américain puissent sembler potentiellement incontrôlables peut permettre de créer et d’implanter la crainte et le doute dans l’esprit de dirigeants ennemis ». La stratégie de Trump participe de cette imprévisibilité menaçante.

La Corée du Nord a redoublé ses efforts pour se doter de l’arme nucléaire depuis que Bush, en 2002, l’a décrétée « état voyou » en même temps que l’Irak et l’Iran. En décembre de la même année, alors que se préparait la guerre contre l’Irak, le secrétaire d’État aux affaires étrangères, Rumsfeld l’avait ainsi menacée : « Nous sommes capables de mener deux conflits régionaux majeurs simultanément. Nous pouvons remporter une victoire décisive dans l’un des deux et vaincre rapidement notre ennemi dans l’autre, il n’y a aucun doute là-dessus ».

La crise coréenne actuelle s’inscrit dans le tournant de la mondialisation libérale et impérialiste après la crise de 2007-2008, marqué par une accentuation de l’offensive des multinationales et des Etats contre les travailleurs et les peuples, l’écrasement des peuples du Moyen-Orient, pris en étau entre les pouvoirs en place, les bandes armées des intégristes islamistes, les armées des grandes puissances ou des puissances régionales, la montée des tensions militaristes et des politiques sécuritaires partout ailleurs. La politique des Etats-Unis dans cette crise est dictée par les intérêts de l’impérialisme états-unien, soucieux de renforcer ses possibilités d’intervention face à la Chine.

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage », cette phrase de Jaurès terriblement vérifiée par l’hécatombe des guerres du XXème siècle garde toute son actualité du fait du maintien d’un système sénile et pourrissant, de la domination de la bourgeoisie et la faiblesse politique du mouvement ouvrier.

De la guerre de Corée en 1950 à la menace d’un conflit nucléaire, la politique des USA contre les peuples

Instruits par l’irruption de la révolution en Europe et en Russie au décours de la première guerre mondiale, les vainqueurs de la deuxième firent tout pour se prémunir contre ce risque. Dès la fin de l’année 1943, à la conférence de Téhéran, puis en février 1945 à Yalta, Roosevelt, Churchill et Staline décidèrent d’occuper et de partager toutes les régions du monde où la défaite de l’Allemagne et du Japon laissait un vide étatique. Par ailleurs, les populations allemandes et japonaises furent écrasées sous des déluges de bombes plusieurs mois durant, massacres de masse couronnés par l’emploi de la bombe atomique en août 1945 au Japon. Mais les Alliés vainqueurs ne purent empêcher les peuples des empires coloniaux, France, Grande Bretagne, de se révolter en masse, partout réprimés, souvent à travers des guerres atroces comme en Indochine et en Algérie. La dite « guerre de Corée » en 1950 est un épisode de ces révolutions coloniales sur le continent asiatique, plus exactement l’intervention de l’impérialisme états-unien pour l’écraser.

La Corée avait été occupée pendant 40 ans par le Japon et à Yalta il avait été décidé qu’elle serait sous administration conjointe (USA, Grande Bretagne, URSS, Chine) pendant 20 ou 30 ans avant de pouvoir accéder à l’indépendance. Mais l’armée « soviétique » ayant avancé, par le nord, très rapidement en Corée après l’explosion des bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki, les États-Unis décidèrent unilatéralement et en toute hâte, le 11 août 1945, le partage du pays en deux territoires, l’un au nord du 38ème parallèle, sous influence soviétique, l’autre au sud qu’ils occupèrent peu après.

Or la défaite du Japon fut suivie dans toute la Corée d’un soulèvement populaire qui prétendait à l’indépendance immédiate. Dans la zone sud, les États-Unis firent intervenir leurs troupes, rétablirent les autorités coréennes qui avaient sévi sous l’occupation japonaise et installèrent un gouvernement à leurs bottes, réactionnaire et dictatorial, celui de Syngman Rhee.

La mainmise sur la Corée du Sud devint d’autant plus cruciale pour eux qu’en octobre 1949, la révolution chinoise l’emportait contre le dictateur Tchang Kaï-chek qu’ils soutenaient. Encouragées, les armées de la Corée du Nord franchirent le 38ème parallèle le 25 juin 1950. Les USA obtinrent immédiatement un mandat de l’ONU pour des sanctions économiques et une intervention occidentale. En septembre 1950, les troupes US repoussèrent les armées nord coréennes, ouvrant la voie à Séoul et dans toute la Corée du Sud à une répression terrible par le gouvernement de Syngman Rhee. Le président des USA, Truman, ordonna à ses armées de franchir le 38ème parallèle mais lorsque celles-ci, en novembre, approchèrent de la frontière chinoise, elles se heurtèrent à 200 000 soldats chinois. Truman n’osa pas aller jusqu’au conflit ouvert et fit revenir ses troupes au sud du 38ème parallèle. C’est pendant cet épisode que le général Mac Arthur menaça de lancer une bombe atomique sur la Chine.

Le conflit s’enlisa dans une guerre de tranchées qui dura trois ans jusqu’à la signature d’un armistice en juillet 1953 -qui laissait la frontière inchangée- sans qu’aucun traité de paix ne soit signé par la suite.

On estime à 1 million le nombre de morts causées par cette guerre dont la crise actuelle est une résurgence mais dans un contexte complètement nouveau, un monde reconfiguré par la deuxième mondialisation capitaliste, l’effondrement de l’URSS et la montée en puissance de la Chine.

Mondialisation et impérialisme

« Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations ». Dès 1847 dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels soulignaient le lien entre production marchande, naissance du capitalisme et mondialisation. Un demi-siècle plus tard, les bourgeoisies européennes, poussées par les besoins de débouchés pour leurs marchandises, de matières premières pour leurs industries et d’esclaves à exploiter, s’étaient partagé le monde. C’était aussi pour elles, confrontées à une croissance fulgurante du mouvement ouvrier, un moyen de régler la question sociale, dégager des surprofits pour en distribuer des miettes à une partie de leur classe ouvrière, les bases matérielles du réformisme.

Les puissances européennes, « chiens attachés à la même chaîne » disait Trotsky dans Europe et Amérique, ont plongé le monde dans deux guerres mondiales. L’Allemagne, venue plus tard que ses rivales à la table du festin colonial, remit en cause le partage du monde dont bénéficiaient la Grande Bretagne et la France. Cette première guerre mondiale déboucha sur une vague révolutionnaire qui, vaincue et brisée par la contre-révolution bourgeoise, puis la réaction fasciste et stalinienne, ne put empêcher la deuxième, temps barbare de la lutte pour le repartage du monde. Puis ce furent trente ans de guerres et de révolutions, le soulèvement des peuples coloniaux.

Les États-Unis, dont la suprématie avait émergé de l’effondrement des vieilles puissances coloniales européennes, étaient encore auréolés d’une image de pays moderne et de champions de la démocratie contre les fascismes allemand et japonais. L’épouvantail que constituait alors l’URSS, où la bureaucratie stalinienne faisait régner la terreur pour défendre ses privilèges, leur fournit pendant plusieurs décennies une justification idéologique et morale -la lutte contre le communisme- aux guerres qu’ils menèrent contre les peuples sur tous les continents.

L’URSS qui partageait avec eux, dans sa zone d’influence, la tâche de maintien de l’ordre mondial, représentait en même temps une possibilité de survie pour les peuples qui cherchaient à échapper à la mainmise de l’impérialisme. Lorsqu’elle s’effondra au début des années 1990, les États-Unis restèrent les seuls maîtres du monde.

A la fin des années 1970, les États-Unis et leur alliée la Grande Bretagne avaient lancé une vaste offensive libérale pour faire remonter le taux de profit en s’attaquant à toutes les barrières que les travailleurs et les peuples avaient pu opposer à l’exploitation capitaliste et à la domination de l’impérialisme.

La fin de l’URSS ouvrit de vastes champs d’investissement aux capitaux, un triomphe de l’économie de marché dont les habits neufs de règne de la liberté et de la démocratie se révélèrent rapidement n’être qu’un leurre.

En 1990-91, la guerre contre l’Irak, au prétexte de l’invasion du Koweït par cet ancien allié de l’impérialisme, Saddam Hussein, fut la première guerre du « nouvel ordre mondial ». Les États-Unis de Bush père rallièrent sous l’égide de l’ONU, une coalition de 33 Etats (800 000 soldats mobilisés) dont la plupart des pays arabes et l’URSS de Gorbatchev pour délivrer, prétendaient-ils, les peuples de la région du « nouvel Hitler ». Après trois mois de préparation militaire et d’une intense propagande mensongère, les armées de la coalition lancèrent l’offensive Tempête du désert, clouant au sol l’armée irakienne à coups de missiles, tuant au moins 100 000 soldats et civils, dévastant le pays et ses infrastructures. Les télévisions du monde entier retransmirent en direct les images des bombardements prétendument « chirurgicaux » jusqu’à ce que la réalité des horreurs de cette guerre ne puisse plus être cachée. Saddam Hussein, qui capitula le 17 février 1991, fut laissé au pouvoir, réprimant les soulèvements des Kurdes et des Chiites du sud de l’Irak. La population irakienne, elle, continua à subir d’horribles privations du fait de l’embargo de la coalition, des frappes aériennes orchestrées par les États-Unis et la Grande Bretagne pendant toute la décennie et la dictature de Saddam.

Suivirent des interventions impérialistes sous mandat de l’ONU qualifiées d’humanitaires, en Somalie en 1992, au Rwanda en 1994 -qui permit en réalité d’exfiltrer les responsables locaux du génocide en 1994-, puis, en 1999, la guerre menée sous l’égide cette fois de l’Otan seulement dans l’ex-Yougoslavie contre le dictateur de la Serbie, Milosevic, qualifié lui aussi de « nouvel Hitler ».

Malgré la formidable propagande déployée par tous les media, le nouvel ordre mondial qui était censé amener liberté et démocratie s’avérait rapidement n’être que le règne de la violence la plus brutale et la plus destructrice contre les peuples pour déployer l’économie de marché et la concurrence généralisée, préserver la domination des multinationales et de leurs États sous la houlette du plus puissant d’entre eux, les États-Unis.

Du 11 Septembre 2001 à la guerre contre Daech : le Moyen-Orient en plein chaos

En 2001, les attentats du 11 Septembre qui causèrent la mort de 3000 personnes à Manhattan et Washington causèrent stupéfaction, horreur et compassion pour les victimes qui furent immédiatement utilisées par l’administration états-unienne pour lancer une nouvelle guerre contre « l’Axe du mal », le terrorisme islamiste et les Etats « voyous » qui étaient censés l’abriter. Immédiatement après, la guerre fut déclarée contre l’Afghanistan d’où agissait Ben Laden, le chef d’Al Qaida, qui avait fait alliance avec les Talibans qui tenaient le pays.

En réalité ce mal qu’ils désignaient maintenant comme l’ennemi n°1, les terroristes islamistes, les Etats-Unis et leurs services secrets les avaient utilisés pendant des années contre l’occupation « soviétique » en Afghanistan. Leurs propres créatures leur avaient échappé. Ben Laden lui-même était un membre de la famille royale d’Arabie Saoudite -Etat fer de lance de l’intégrisme sunnite et allié privilégié des USA- qui s’était retourné contre eux suite aux bombardements sur le Soudan et l’Afghanistan en 1998.

Le 11 Septembre représenta, pour l’impérialisme états-unien, une étape dans le redéploiement de ses forces militaires en fonction des objectifs stratégiques que définissait la nouvelle configuration du monde après l’effondrement de l’URSS. La guerre en Afghanistan justifia l’existence des bases militaires qu’ils avaient installées dans d’anciennes républiques de l’URSS au cours des années 90, la guerre contre la Serbie leur permit d’en installer de nouvelles au Kosovo et celle contre l’Irak dans plusieurs pays d’Europe de l’Est.

Au printemps 2003, les États-Unis lancèrent en effet une offensive armée, aérienne et au sol, contre l’Irak accusé d’abriter des armes de destruction massive. Ce fut le début d’une occupation militaire qui se solda par un échec cinglant par rapport aux objectifs affichés dans la « guerre contre le terrorisme ». Elle ne fit que rajouter destructions et souffrances pour la population, nourrissant la haine des armées d’occupation que les intégristes islamistes purent, en l’absence de perspectives progressistes, dévoyer en anti-occidentalisme et qui augmenta les sources de leur recrutement.

Après la crise de 2007-2008, les travailleurs et les peuples du monde entier furent appelés à payer les conséquences de la fuite en avant spéculative des grands groupes financiers. Excédées d’être pressurées et humiliées, les populations se soulevèrent dans tout le monde arabe, d’abord en Tunisie en 2011, puis en Libye, en Egypte, au Yémen, en Syrie, contre les pouvoirs en place, contre les dictatures. Face à cette vague de révolutions, les puissances impérialistes ou régionales lancèrent des interventions militaires, la France entre autres en Libye, l’Arabie saoudite au Yémen et à Bahreïn. Le dictateur Bachar Al Assad, en Syrie, libéra les islamistes intégristes contre les forces révolutionnaires et n’hésita pas à bombarder sa propre population.

Il s’ensuivit partout une désorganisation et un chaos sur lesquels prospérèrent les milices armées nées de la dislocation de l’État libyen, se réclamant d’Al Qaida. En Syrie, en 2013, une partie d’Al Qaida fit sécession pour donner naissance à l’Organisation de l’État islamique qui se tailla un territoire en Irak et en Syrie. Les uns et les autres organisent un grand nombre d’attentats dont les premières victimes sont les populations, souvent elles-mêmes musulmanes, du Moyen-Orient, d’Afrique, avant les populations des pays européens ou des USA.

Face au bellicisme d’America First, la Chine, force d’équilibre ou nouveau militarisme ?

Enlisés au Moyen-Orient et en Afghanistan, les Etats-Unis sont cependant beaucoup plus préoccupés par les nouveaux rapports de forces en Asie. D’abord terrain d’investissements des multinationales occidentales, la Chine est devenue l’« atelier du monde », la seconde puissance économique mondiale. De 2000 à 2010, 33 % de la croissance mondiale se sont faits en Chine.

Les rapports de force ont été profondément bouleversés, l’hégémonie des Etats-Unis remise en cause. Ils ne sont plus la seule puissance dominante et ne peuvent faire face seuls à la nouvelle instabilité du monde.

L’émergence de la Chine est une menace directe pour l’impérialisme américain. La concurrence s’exacerbe alors même que Chine et USA sont indissociablement liés par les nouveaux réseaux économiques mis en place par la mondialisation. La contradiction entre l’internationalisation de la production et des échanges et les intérêts d’États rivaux n’a jamais été aussi grande.

Face à l’exacerbation des rivalités économiques et au bellicisme US, la Chine prétend jouer l’apaisement, appelle chacun à « faire preuve de prudence dans leurs mots et leurs actions, et à agir davantage pour apaiser les tensions ». Mais elle se lance elle aussi dans la course à l’armement afin de combler son retard.

Subissant une crise de surproduction majeure du fait de la récession mondiale, la Chine est confrontée au ralentissement de sa croissance (6,7 % en 2016, le taux le plus bas depuis 26 ans) et à une dette croissante. Xi Jinping a beau avoir vanté la transition d’une « croissance rapide » vers un développement économique « axé sur la qualité », « l’innovation », la Chine est en quête de nouveaux marchés et débouchés ainsi que de sources d’approvisionnement en matières premières et énergie. Elle s’est lancée dans la construction d’une « nouvelle route de la soie » (autoroutes et chemin de fer) qui vise à placer le pays au centre des échanges entre l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe. Son objectif : ouvrir des réseaux terrestres vers l’Ouest pour transporter plus rapidement ses marchandises mais aussi ne pas dépendre exclusivement de la voie maritime à la merci des alliées des USA. Il s’agit également pour elle de développer les échanges économiques tout au long des territoires traversés par cette nouvelle voie commerciale. Le projet concerne de nombreux pays (Kazakhstan, Ouzbékistan, pays du Moyen-Orient, d’Europe, d’Afrique…) avec à la clé des travaux gigantesques, des milliards de dollars d’investissements et de prêts.

Face à l’« America First », la Chine et les pays émergents défendent la libre concurrence, l’ouverture des marchés. Lors du sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à l’été 2017 ils ont plaidé pour un « ordre international plus juste et plus équitable »… L’Inde et la Chine y ont promis « un partenariat renforcé pour un avenir plus brillant »… Mais la veille encore, leurs armées se défiaient le long des frontières himalayennes suite à un différend territorial et au projet d’une nouvelle route militaire chinoise. La rivalité commerciale fait rage entre les deux pays : pour répondre à la « route de la soie » qui la contourne, l’Inde a lancé le projet d’une nouvelle route maritime, « corridor de la croissance Asie Afrique », pour une région Indo-Pacifique « libre et ouverte », en collaboration avec le Japon, allié des USA.

Dans le même temps le Japon revoit sa constitution afin de redevenir une puissance militaire. Votée sous occupation américaine en 1946, elle lui interdisait toute intervention militaire en dehors du territoire national. En 2015 déjà, au nom de la nécessaire défense face à la menace nord-coréenne, une loi avait autorisé la participation de l’armée à des opérations « de défense » de troupes alliées. Aujourd’hui il s’agit de lever toute restriction.

Réarmement du Japon, renforcement de la présence US dans la zone où stationnent actuellement 80 000 GI, course à l’armement de la Chine, rivalités accrues… on ne peut prévoir jusqu’où peut aller l’escalade militaire dans cette région. Aucune hypothèse ne peut être écartée.

De l’état de guerre permanent à la guerre globalisée ?

L’exacerbation de la concurrence et la course au leadership s’accompagnent dans le monde entier d’une militarisation croissante, de la mise en coupe réglée des peuples et d’une intensification de l’exploitation des classes ouvrières.

Le mythe de la mondialisation heureuse promettant un avenir radieux de bien-être et de paix grâce à l’ouverture des marchés et aux vertus de la libre concurrence, synonyme de démocratie… a laissé place à la réalité crue des rapports de domination et d’exploitation, à leur violence.

La guerre fait rage en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Libye, en Palestine… mais aussi dans de nombreux pays africains où les armées occidentales, en particulier l’armée française, maintiennent leur ordre pour que leurs multinationales puissent piller en paix.

Les USA, qui cherchent à associer leurs alliés au maintien de l’ordre mondial, n’en sont pas moins contraints de se redéployer. De nouveaux contingents ont été envoyés en Afghanistan en plus des 11 000 militaires déjà sur place. Fin 2017, l’armée américaine représentait 1,3 million d’hommes, 8 800 tanks, 14 000 avions, 10 porte-avions, plus de 50 sous-marins nucléaires, 7 400 ogives nucléaires, sans compter les nouveaux équipements promis… Le budget militaire américain 2018 est en hausse de 9 % : 639 milliards de dollars, 16 % du budget national.

Grandes puissances comme puissances émergentes ou régionales tentent de conserver ou d’accaparer des parts de marché, de contrôler territoires et matières premières. Dans la lutte mondiale pour l’appropriation des richesses, de nouvelles forces aspirent à prendre leur part telles Daech ou Al Qaida, nouveaux seigneurs de guerre produits des guerres impérialistes, utilisant le terrorisme djihadiste et l’obscurantisme religieux intégriste pour soumettre les populations.

Le monde entier s’enfonce dans une spirale de violence et de guerres, un chaos né de la décomposition libérale, de la fuite en avant des grandes puissances pour maintenir leur leadership.

Le 23 octobre 2017, alors qu’à Kaboul les attentats venaient de faire 200 morts et des centaines de blessés, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson (par ailleurs ancien PDG d’Exxon Mobil), s’invitait sur une base militaire américaine à 50 kilomètres de là, affirmant la volonté des USA de « continuer de lutter contre les talibans et les autres groupes terroristes de façon à ce qu’ils comprennent qu’ils ne gagneront jamais au plan militaire »… avant d’ajouter : « il y a une place pour eux au gouvernement s’ils sont prêts à le rejoindre, à renoncer au terrorisme, à renoncer à la violence et à s’engager pour un Afghanistan stable et prospère ». Les USA, comme l’ensemble des puissances impérialistes, n’ont jamais eu la moindre hésitation à utiliser les seigneurs de guerre locaux et autres dictateurs sanguinaires. Leur problème n’est pas de les défaire mais de se les soumettre et de les intégrer dans la lutte pour le maintien de leur hégémonie et de leurs profits.

Moyen-Orient et Proche-Orient sont déstabilisés par les interventions des puissances impérialistes et par la réaction des régimes et des forces obscurantistes contre les révolutions arabes. Des régimes dictatoriaux, militaires, font régner la terreur, répriment les populations, à l’image du général Sissi en Egypte, ou d’Erdogan qui, en Turquie, flatte chaque jour un peu plus les sentiments nationalistes et antioccidentaux pour mieux diviser et soumettre sa population, bâillonner toute opposition, toute aspiration démocratique, dont celles du peuple kurde.

Ces tensions ont pour cadre la compétition aiguë que se livrent les principales puissances et plus particulièrement les Etats-Unis prêts à tout pour conserver leur hégémonie face à la Chine, tandis que des puissances comme la Russie, la Turquie, l’Inde tentent de jouer leur propre partie, participant de la militarisation et de l’instabilité générales.

On ne peut exclure que l’état de guerre permanent ne débouche demain sur un affrontement militaire majeur pour le leadership mondial. Les Etats l’envisagent, s’y préparent, mais rien n’est écrit : l’intervention de la classe ouvrière et des classes exploitées peut ouvrir une toute autre perspective.

Militarisme et état d’urgence permanent ou la militarisation de l’opinion

Les bourgeoisies n’ont d’autre réponse à la faillite de leur système qu’une fuite en avant qui ne peut qu’aggraver les tensions économiques, les rivalités internationales et l’engrenage militaire… mais aussi la révolte sociale, celle des populations opprimées soumises quotidiennement à une violence inouïe, aux dévastations, et celle des travailleurs et travailleuses répartis aujourd’hui sur l’ensemble des continents. La crainte de cette révolte, de la prise de conscience par des centaines de millions de femmes et d’hommes de la place centrale qu’ils et elles occupent dans l’économie et le fonctionnement de la société, de leur capacité à s’unir et à contester leur pouvoir, est partagée par l’ensemble des classes dominantes par-delà les frontières.

Elles y répondent par des politiques d’union nationale tentant de lier les mains des opprimés, de les solidariser de leurs oppresseurs en flattant les préjugés xénophobes, racistes, religieux, pour tenter de soumettre l’opinion.

Mais aussi par des régimes « d’exception » tels le Patriot Act aux USA au lendemain du 11 Septembre. Ce texte dont l’acronyme signifie « loi pour unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme », a donné au gouvernement des États-Unis les moyens d’un immense flicage dans et hors leurs frontières, permettant entre autre de détenir sans limite toute personne soupçonnée de projet terroriste ou d’accéder aux données informatiques de tous, particuliers ou entreprises, sans autorisation préalable ni information. Prévu pour durer 4 ans, le Patriot Act a sans cesse été renouvelé et enrichi de Bush à Trump en passant par Obama. De même, en France, l’état d’urgence instauré après les attentats du 13 novembre 2015, dont les mesures ont été intégrées au droit commun.

Terrorisme islamiste et prétendue guerre contre le terrorisme sont devenus en quelques années le quotidien de la population mondiale. Les consciences sont profondément impactées par cette guerre qui se délocalise, dont les premières victimes sont les populations du monde arabo-musulman et dont les conséquences ensanglantent le monde entier. Leur choc a un effet paralysant sur les consciences dominées par la propagande des classes dominantes, la militarisation de la société, les effets de la décomposition sociale sécrétée par les politiques libérales.

Lutter contre ces effets, se dégager de l’emprise des classes dominantes demande de comprendre les origines, la logique de cet engrenage, de prendre la mesure des affrontements en cours, de leur nature de classe, de l’évolution des rapports de forces et du rôle que peuvent jouer les peuples et la classe ouvrière.

Face à la montée des nationalismes, des extrêmes-droites, des obscurantismes et des intégrismes religieux, face à l’instauration de régimes de plus en plus autoritaires, dictatoriaux qui visent tous à soumettre les opprimés à la défense des intérêts de leurs exploiteurs, le mouvement ouvrier a sa propre réponse à apporter. Une réponse portant une perspective de classe, internationaliste, fondée sur la coopération des peuples.

Pacifisme, désarmement ou internationalisme prolétarien ?

Le capitalisme a développé à l’échelle du monde une classe ouvrière moderne, chaque jour plus unifiée, qui communique d’un bout à l’autre de la planète en une fraction de seconde. Les régions les plus reculées d’Asie ou d’Afrique, leurs populations, leur classe ouvrière, ont été intégrées de façon brutale dans une nouvelle division internationale du travail. Depuis les usines du Bangladesh jusqu’aux ports d’Afrique ou aux banlieues industrielles de Séoul, Casablanca, Bucarest, Shanghai, Sao Paulo, Detroit, Bombay… un même prolétariat mondial est en train de s’homogénéiser, objectivement lié d’un bout à l’autre du globe, ayant face à lui et à ses luttes les mêmes multinationales et les Etats à leur service.

Derrière le mirage d’un « ordre international plus juste et plus équitable » promis par les faiseurs de guerre, la violence des rapports de domination, la misère extrême, les conséquences écologiques dramatiques de la course aux profits, les guerres, ont profondément transformé le quotidien de millions de femmes, d’hommes et d’enfants. Des transformations sans retour possible qui bouleversent la réalité de la classe ouvrière. Elles se font dans les drames et dans le sang mais portent en elles une dimension révolutionnaire, à l’image de la crise des réfugiés qui participe d’une prise de conscience internationaliste.

Face aux menaces de conflit militaire majeur, face à l’éventualité qui ne peut être écartée d’une guerre nucléaire, nombreux sont ceux au sein des organisations du mouvement ouvrier qui appellent au combat pour « la paix », mènent des campagnes en faveur du désarmement nucléaire, en appellent à l’ONU.

Mais il ne peut y avoir d’issue sans que le prolétariat intervienne directement, en unissant ses luttes et ses forces par-delà les frontières pour contester le pouvoir des multinationales et de l’oligarchie financière. Notre combat pour la paix, la démocratie, pour le droit des peuples, est un combat de classe, indissociable de celui pour le socialisme.

En juin 1917, Trotsky de retour en Russie écrivait au cœur de la révolution : « La tare originelle du pacifisme est fondamentalement la même que celle de la démocratie bourgeoise. Sa critique n’aborde que la surface des phénomènes sociaux, elle n’ose pas tailler dans le vif et aller jusqu’aux relations économiques qui les sous-tendent. Le réalisme capitaliste joue avec l’idée d’une paix universelle fondée sur l’harmonie de la raison, et il le fait d’une façon peut-être encore plus cynique qu’avec les idées de liberté, d’égalité et fraternité […] Théoriquement et politiquement, le pacifisme repose exactement sur la même base que la doctrine de l’harmonie sociale entre des intérêts de classe différents. L’opposition entre États capitalistes nationaux a exactement la même base économique que la lutte des classes. Si l’on croit possible une atténuation graduelle de la lutte des classes, alors on croira aussi à l’atténuation graduelle et à la régulation des conflits nationaux ».

La concurrence mondialisée conduit à la guerre mondialisée.

Face aux ravages de la mondialisation, à la globalisation de la guerre, à la faillite sans retour des classes dominantes, nous voulons œuvrer au regroupement et à l’unité des classes exploitées, du camp international des travailleurs, en rupture avec le capitalisme mondialisé et avec les illusions pacifistes et institutionnelles. Une nouvelle internationale des travailleurs est une nécessité.

Galia Trépère, Isabelle Ufferte

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