Alors que le sommet du G20 se tenait les 15 et 16 novembre à Bali, un missile tombait sur une ville frontalière de Pologne, tuant deux personnes. Zelensky s’empressait de dénoncer une provocation de Poutine, mais l’Otan calmait le jeu, privilégiant la thèse d’une erreur, envisageant même qu’il s’agisse d’un projectile antiaérien ukrainien. Fausse alerte donc, mais qui a été l’occasion pour les dirigeants des principales puissances mondiales réunis à Bali d’en rajouter dans la propagande militariste, éclairant du même coup la vraie nature des objectifs affichés par la rencontre, comme son hypocrisie.

Comme ses prédécesseurs, ce sommet prétendait « favoriser le dialogue entre les pays développés et les pays émergents », cette fois sur la question des affrontements internationaux, de la guerre, de la crise climatique... Selon une partition bien orchestrée, il s’est ouvert sur une rencontre de 3 heures entre Xi Jinping et Joe Biden. Le journal Les Echos y a vu « un face-à-face inédit pour tenter d’apaiser les tensions » qui n’ont cessé de s’accentuer entre les deux puissances, entre avalanches de rétorsions économiques visant à priver la Chine de composants indispensables à son industrie et gesticulations militaires autour de Taïwan… Le Monde, lui, note qu’ils ont fait « assaut de bonne volonté », mais « sans avancée sur les sujets qui fâchent », c’est-à-dire sur les véritables causes de ces tensions, l’exacerbation de la concurrence sur fond de dégradation de la situation économique et climatique mondiale. Qui pouvait s’attendre à autre chose ?

Biden a mis de côté l’escalade belliciste sur la question de Taïwan pour se concentrer sur la guerre commerciale : « Nous allons nous livrer une concurrence vigoureuse ». « Mais, a-t-il ajouté, je ne cherche pas le conflit, je cherche à gérer cette concurrence de manière responsable… ». Sauf qu’il sait parfaitement que cette compétition économique ne peut que s’accentuer, qu’elle est tout sauf pacifique et s’appuie sur la force des armées et qu’à tout moment la question de Taïwan et du contrôle de la Mer de Chine peut devenir l’occasion d’un affrontement guerrier. La « bonne volonté » de Biden répond aux intérêts des USA qui n’ont nulle raison d’accélérer la logique guerrière tout préoccupés que sont la Maison Blanche et le Pentagone de tirer le maximum d’avantages de la poursuite de la guerre en Ukraine pour préparer la suite…

Ce numéro de duettistes illustre la véritable nature de ce genre de sommet, une mise en scène hypocrite complaisamment relayée par les médias et dont le scénario est écrit à l’avance par des semaines de rencontres diplomatiques qui aboutissent, avant même que le sommet ne commence, sur un projet de « communiqué final » dont toutes les formules sont pesées afin qu’il puisse « faire consensus ». Mission accomplie cette fois encore puisque, malgré l’imprévu du missile tombé sur la Pologne, le projet a été « adopté » à l’unanimité…

Pas de consensus sur la guerre en Ukraine…

Selon ce communiqué, « la plupart » des membres du G20 « ont condamné fermement la guerre en Ukraine ». La « plupart », c’est-à-dire tous sauf la Chine, l’Inde, l’Indonésie, et bien sûr la Russie.

Depuis le début du conflit, les USA et leurs alliés au sein de l’Otan tentent d’associer le maximum de pays à leur dénonciation de Poutine comme son unique responsable. Cela passe par voter des déclarations à l’ONU, s’associer aux sanctions économiques contre la Russie, contribuer à l’armement de l’armée ukrainienne au nom de la défense des droits du peuple ukrainien à disposer de lui-même… Le G20 en a été une nouvelle occasion avec un résultat semblable, le refus de certains des participants de s’associer à cette croisade.

La guerre en Ukraine s’inscrit dans un processus d’une trentaine d’années au cours duquel les puissances occidentales ont étendu leur influence économique et militaire sur les pays d’Europe de l’Est devenus indépendants à la dislocation du « bloc soviétique ». Les multinationales occidentales y ont trouvé de la main d’œuvre bon marché et compétente, des usines bradées, de nouvelles ressources minières et agricoles. Cette offensive des vieilles puissances impérialistes ne pouvait qu’accentuer les tensions et pousser Poutine dans ses derniers retranchements « grand russes » jusqu’à l’odieuse folie de l’agression contre l’Ukraine. En 2014, il annexait la Crimée et envoyait ses troupes soutenir les séparatistes pro-russes de Lougansk et du Donetsk, entretenant une guerre civile qui n’a jamais cessé depuis. L’agression de février dernier était inscrite dans cette escalade guerrière qui oppose en réalité la Russie aux pays de l’Otan, auxquels la population ukrainienne sert de chair à canon.

Les USA et leurs comparses européens tiennent à associer le reste du monde à la dénonciation de Poutine non pour défendre le droit des peuples qu’ils ont piétiné tout au long de leur histoire mais pour avoir les moyens politiques et militaires de poursuivre et d’accentuer leur offensive, sinon pour la reconquête de leur leadership économique et politique mondial, du moins pour préserver leur domination, en premier lieu contre la Chine. A travers leur campagne politico-diplomatique contre Poutine, ils tentent de serrer les rangs derrière eux dans la perspective d’imposer un rapport de force qui leur soit favorable au risque d’une exacerbation du conflit avec la Chine et d’un affrontement militaire.

Ce contexte d’affrontement inégal entre les deux super-puissances offre aux bourgeoisies des puissances « secondaires » l’occasion de jouer leur propre jeu. C’est ainsi le cas de l’Indonésie, riche en métaux rares et qui, selon Les Echos, « construit son succès économique sur la concurrence entre grandes puissances ». D’où son refus, avec l’Inde et bien évidemment la Chine et la Russie, de s’associer à la condamnation de la guerre…

Mais si la question des responsabilités de la guerre les divise, tous les participants au sommet se sont, semble-t-il, entendus pour la désigner comme le facteur qui « sape l’économie mondiale ». Maniant la même rhétorique, la directrice du FMI a déclaré dans son discours au G20 : « Les signes encourageants de reprise de l’année dernière ont été remplacés par un brusque ralentissement de l’économie mondiale en raison du COVID, de la guerre en Ukraine et des catastrophes climatiques sur tous les continents ». Un euphémisme du point de vue de la gravité de la situation globale et une entourloupe pour tenter de masquer la cause profonde, systémique, commune à l’ensemble de ces crises, la déroute du mode de production capitaliste dont elles sont à la fois les conséquences et un facteur aggravant dont personne n’a le contrôle.

L’économie mondiale « sapée » …

Le G20, comme la COP27 qui se tenait au même moment, se déroule dans la pire conjoncture économique depuis la crise de 2007-2008. Confrontés à une hausse de l’inflation dont ils sont les premiers responsables, les États comme les banques centrales enchaînent les mesures qui non seulement l’entretiennent, mais entraînent l’économie mondiale vers une récession généralisée tandis que la crise écologique ne cesse de s’aggraver.

Selon le FMI, la croissance mondiale ne devrait pas dépasser 2,3 % en 2023, et sera négative pour une trentaine de pays. La Commission européenne annonçait, le 11 novembre dernier, que « L’UE, la zone euro et la plupart des pays membres devraient plonger en récession au dernier trimestre de cette année » et que leur croissance ne devrait pas dépasser 0,3 % en 2023. Parmi les plus touchés, l’Allemagne, l’Italie… La France, quant à elle, vient de battre son record de déficit commercial vis-à-vis de ses partenaires européens. En Grande Bretagne, le marasme est terrible. En Chine, dont la croissance devrait rester positive, la production industrielle ralentit alors que la crise immobilière s’accentue.

Aux États-Unis, la croissance est également en berne avec, en première ligne, certaines entreprises des GAFAM (Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft). Amazon vient d’annoncer la suppression de 10 000 emplois suite à la diminution de 9 % de son bénéfice net sur le dernier semestre. Le patron de Meta-Facebook se dit confronté, du fait du ralentissement économique, à la baisse du nombre de clients payants pour les publicités qui truffent les « post », et il liquide 13 % des effectifs du groupe… En y ajoutant Twitter, Microsoft, Uber et quelques autres, ce sont 120 000 salariés qui ont perdu leur emploi en 2022 dans le secteur de la « Tech ». En plus d’être un baromètre de la dégradation économique, ces véritables purges donnent un avant-goût de la catastrophe sociale, de la vague de chômage qui se prépare alors que la récession s’approfondit.

Conséquence de l’assombrissement de leurs perspectives de profit, la valeur boursière des GAFAM s’est effondrée. En un an, 1 500 milliards de dollars de la capitalisation boursière des cinq entreprises réunies sont ainsi partis en fumée. Indépendamment de l’effondrement des fortunes de leurs grands actionnaires qui en résulte, sur lequel personne ne pleure, cette sévère purge boursière, limitée pour l’instant à un secteur de l’économie, donne une idée de l’ampleur du krach généralisé qui se prépare et dont la folie spéculative a rassemblé les ingrédients.

A cette menace de krach des marchés financiers s’ajoute celle d’une nouvelle crise de la dette. Depuis quelques mois, cherchant à freiner l’inflation sans s’attaquer à ses causes, diverses banques centrales, dont la BCE, dans le sillage de la FED américaine, augmentent progressivement leurs taux directeurs (auquel elles fournissent de l’argent aux banques privées). Cela se traduit immanquablement par une hausse des taux auxquels ces dernières prêtent de l’argent aux Etats, aux entreprises et aux particuliers. En plus d’être un facteur supplémentaire de récession, cette hausse augmente considérablement les risques de faillite d’entreprises, tandis que s’accumulent les conditions d’une crise majeure de solvabilité, l’incapacité pour les banques de récupérer leur mise entraînant leur propre faillite, avec pour conséquence la paralysie de tout un pan de la production de biens et de services, privé de crédit.

… par la sénilité du capitalisme

Ni la Covid, ni la guerre, ni le dérèglement climatique ne sont responsables de la crise dans laquelle s’enfonce l’économie mondiale. Ils en sont avant tout une conséquence qui contribue à l’aggraver dans une spirale sans fin. Cette logique destructrice est l’expression de la maladie chronique qui touche le moteur même du capitalisme, la nécessité pour lui d’accumuler toujours plus de capital. La guerre en Ukraine, l’inflation mondialisée, la crise de l’énergie, l’emballement du réchauffement climatique, la pandémie du Covid sont autant de signes que cette maladie est entrée dans une phase aiguë où chaque symptôme en manifeste l’aggravation.

Les masses énormes de capitaux qui circulent ne trouvent plus assez de terrains d’investissements productifs, les seuls qui créent des richesses nouvelles. L’exploitation du travail humain ne produit plus assez de plus-value au regard des investissements qu’elle exige. Les marchés solvables sur lesquels les capitalistes réalisent leur profit en vendant leurs marchandises se réduisent du fait de la perte de pouvoir d’achat de la grande majorité de la population, conséquence de la hausse des prix qui se poursuit alors que les salaires stagnent. Pour tenter de sauver la machine à profits, les Etats et les Banques centrales la maintiennent sous perfusion, un gigantesque transfert de richesse qui contribue à gonfler encore plus la masse déjà pléthorique de capitaux.

Enfermé dans ce cercle vicieux, confronté à un ralentissement chronique des gains de productivité, le capital est dans une impasse. A d’autres moments de l’histoire, le mode de production capitaliste a pu trouver un nouveau souffle en étendant son contrôle sur de nouveaux espaces, à la fin du XIXème siècle avec les conquêtes impérialistes, après la crise des années 1970 par la mondialisation libérale. Aujourd’hui, alors qu’il a globalisé le marché et la concurrence, qu’il s’est accaparé le moindre secteur de l’activité humaine, il se heurte aux limites que la planète impose à son besoin insatiable d’expansion. Il n’a pas d’autre choix, pour survivre, que d’extorquer toujours plus de plus-value absolue, par la surexploitation des travailleurs et de la nature. A bout de souffle, de plus en plus parasitaire et prédateur, destructeur de l’environnement, générateur d’un état de guerre permanent, il est devenu incontrôlable.

C’est cette réalité que les grandes messes médiatiques, G20 et autre COP, se donnent pour mission, à défaut de pouvoir la masquer, de donner l’illusion que les maîtres du monde gardent le contrôle d’une situation qui leur échappe totalement.

Un théâtre d’ombre à usage de politique interne et d’enfumage idéologique

Un des principaux objectifs des sommets internationaux réside dans cette fonction politique, tenter de rassurer sur le fait que, si la situation est grave, les hommes et femmes qui nous dirigent la tiennent sous contrôle, sont capables de surmonter leurs divergences pour « apaiser les tensions », s’entendre sur des sujets comme les questions climatiques ou géopolitiques dont tout le monde sait qu’ils exigent une approche internationale.

Derrière le bluff des postures politiques de chacun des protagonistes se tient l’espoir de se redonner une crédibilité politique dans leur propre pays. C’est entre autres le cas de Biden qui, s’il a évité la catastrophe annoncée aux élections de mi-mandat, n’en reste pas moins confronté à une crise politique profonde. Xi Jinping, lui, s’est imposé au dernier congrès du PCC, mais c’est dans un contexte de fragilité économique inédit qui ne peut manquer d’avoir des répercussions politiques et sociales. Quant à Macron, il n’a pas raté une occasion de donner libre cours au rôle dans lequel il excelle, celui de la mouche du coche, sans la moindre crainte du ridicule…

Mais ces sommets ont aussi une fonction plus générale, éviter que soit remise en cause la légitimité même du mode de production capitaliste et, pour cela, au-delà de masquer l’état de faillite dans laquelle il se trouve, tenter de convaincre que des solutions existent pour remédier à ce qui est présenté comme des aléas de parcours et que, réuni à Bali ou à Charm el-Cheikh, tout ce beau monde, main dans la main, va les trouver et les mettre en œuvre.

Personne ne peut bien évidement y croire, d’autant que leur dénonciation hypocrite de la guerre, au nom du fait qu’elle « sape l’économie mondiale », s’accompagne d’une nouvelle poussée de l’escalade militariste.

Ils disent vouloir la paix et préparent la guerre, ils disent lutter contre l’inflation et préparent la récession et le krach

La chute probablement non voulue d’un missile sur un village polonais a eu pour effet de booster les postures guerrières des dirigeants réunis à Bali, dont Macron, ou encore le nouveau premier ministre britannique. Tous mettent en avant la faiblesse de leurs forces armées actuelles face à une augmentation du risque de « guerre de haute intensité », risque dont l’évaluation relève plus des besoins de leur propagande que d’une réalité objective, du moins pour l’instant.

Cette propagande vise, dans un contexte économique et social dans lequel s’exacerbent les tensions de classe, à mobiliser autour d’un ennemi commun, à enfermer les travailleurs dans une politique d’union nationale pour mieux les désarmer vis-à-vis de la défense de leurs propres intérêts. Ils cherchent à militariser les esprits, tout en justifiant leur deuxième objectif, économique. En finançant massivement, sur fonds publics, la fabrication d’armes nouvelles, ils soutiennent les profits de la bourgeoisie confrontée à la récession qui touche l’ensemble des secteurs de l’économie. Financer l’armement contribue ainsi à accentuer le mécanisme de drainage des richesses collectives vers des « investisseurs » qui ne manquent pas de se précipiter sur l’aubaine.

Cette course aux armements est une illustration parmi les plus absurdes de la fuite en avant dans laquelle nous entraîne le mode de production capitaliste devenu sénile. Un gâchis monumental de moyens matériels et humains auquel seuls les travailleurs et les peuples, mobilisés pour la défense de leurs propres intérêts, peuvent mettre un terme.

Une seule issue, l’intervention révolutionnaire des travailleurs et des peuples

Le développement qui précède peut sembler relever du catastrophisme, mais il ne fait que rendre compte, partiellement, des bouleversements sociaux et politiques en cours, de la logique dans laquelle ils s’inscrivent et à quoi ils conduisent inexorablement. Dire que l’issue ne peut venir que de l’intervention révolutionnaire des travailleurs et des peuples ne relève pas davantage d’une incantation propagandiste. La marche à la catastrophe du mode de production capitaliste et l’incapacité de ses dirigeants politiques et économiques à y remédier sont des faits avérés dont une fraction croissante de la population, des travailleurs, de la jeunesse prend conscience. Il apparaît de plus en plus clairement qu’il n’est plus possible de continuer ainsi même si la nécessité et la possibilité d’une transformation révolutionnaire de ce mode de production sont encore mal comprises.

Les forces objectives pour ce changement existent. Le prolétariat n’a jamais eu une telle puissance à l’échelle internationale, tant sur le plan numérique, de ses liens et de sa coopération que sur le plan de son niveau de culture élevé, de ses capacités à l’auto-organisation, à utiliser toutes les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies. L’offensive qui se développe, en particulier dans les GAFAM, vise toutes les catégories de travailleurs, et bien des ingénieurs et techniciens ont conscience de leur statut de prolétaire, de chair à profit. La dégradation des conditions sociales qui n’a jamais cessé depuis la crise de 2007-2008 a fait naître une profonde contestation sociale qui traverse le monde depuis plus de dix ans, une véritable « mondialisation de la révolte » dont, dernière en date, la puissante révolte des femmes et de la jeunesse en Iran, force motrice d’une nouvelle révolution montante qui entraîne avec elle toutes les couches sociales victimes de la dictature religieuse des mollahs et de l’armée. La lutte des migrants pour échapper à la misère et à la guerre participe de cet essor des luttes de classes.

Pour être à même de débarrasser le monde du capitalisme mortifère qui conduit l’humanité à la catastrophe, cette force a besoin d’un programme politique contestant ses fondements mêmes. En finir avec la propriété privée des moyens de production et d’échange, en expropriant les grands actionnaires des multinationales financières et industrielles qui contrôlent l’essentiel de la production mondiale pour en prendre, collectivement, le contrôle. En finir avec les lois du marché et de la concurrence qui font régner sur la planète un état de guerre permanent et sont source d’immenses gaspillages et destructions, pour mettre en œuvre une planification de la production visant à satisfaire les besoins de chacun, condition par ailleurs indispensable pour mettre un coup d’arrêt à la catastrophe écologique. Un programme pour le communisme.

Daniel Minvielle

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