En pleine offensive raciste et xénophobe, anti-migrants, quelques jours à peine après la présentation du projet de loi immigration par Darmanin et Dussopt, l’odieuse campagne qui a entouré le meurtre de la petite Lola, les tombereaux de démagogie réactionnaire, le gouvernement a finalement autorisé le bateau de SOS Méditerranée, l’Océan Viking, à accoster dans la zone militaire du port de Toulon et à débarquer à l’abri des regards les 230 migrant.es recueilli.es au large de la Lybie (dont 57 enfants et plusieurs malades, d’autres ayant dû être évacuées la veille de toute urgence). « Un devoir d’humanité » a eu le culot de pérorer Darmanin après avoir négocié la « relocalisation » de 2/3 des adultes vers l’Allemagne, le Luxembourg, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie, la Lituanie, Malte, le Portugal et l’Irlande... Et il s’est empressé d’assurer à la droite et l’extrême-droite (dont Zemmour, Maréchal-Le Pen et les ex de Génération identitaire qui déversaient leur haine xénophobe devant les caméras à quelques pas) : ils « ne pourront pas sortir du centre administratif où on va les mettre et ne seront donc pas techniquement sur le sol français ». Après des procédures expéditives à l’abri de tout contrôle et la décision « sous 48h » de l’OFPRA, « ceux qui ne reçoivent pas l’asile seront éloignés directement depuis la zone d’attente vers leur pays d’origine »...

Le bal des tartuffes

Le drame de ces 234 personnes fuyant la misère, les violences et la guerre illustre le cynisme et l’hypocrisie des Etats européens qui se sont renvoyés la balle pendant trois semaines durant lesquelles le bateau errait en mer.

Dénonçant le refus de l’Italie et Malte de prendre en charge le navire, le gouvernement a suspendu le transfert prévu de 3500 migrants depuis l’Italie et a déployé durant le week-end 500 policiers et gendarmes supplémentaires le long de la frontière. L’Italie, elle, dénonce le non-respect d’un accord de 2019, réactivé en juin, qui prévoit que les migrants arrivés dans des pays de « première ligne » soient relocalisés dans d’autres Etats européens dont la France : sur les 8000 prévus, seuls 117 l’ont été depuis juin.

L’Europe s’est hérissée de murs et de barbelés de Ceuta et Melilla à la Pologne, la Serbie, la Turquie, la Lettonie, la Croatie ou Calais… qui tuent mais ne peuvent empêcher de plus en plus de femmes, d’hommes, d’enfants de fuir, quel qu’en soit le coût, la misère et les drames que produit la fuite en avant capitaliste. 1 912 personnes sont mortes dans la seule Méditerranée depuis le début de l’année en tentant de rejoindre l’Europe, 3231 l’an dernier, 25 000 depuis 2014. Quant à la Manche, près de 40 000 personnes ont risqué leur vie en la traversant pour rejoindre les côtes anglaises depuis le début de l’année. Le Royaume-Uni, qui entend comme le Danemark déporter vers le Rwanda les demandeurs d’asile le temps de leur instruction (!), vient de s’engager à verser 80 millions de livres supplémentaires à la France pour renforcer la surveillance policière le long des plages.

« On a un débat en France sur les sujets migratoires, débat très important qui suppose des réponses très fortes, rigoureuses […] Nous ne le réglerons jamais, d’abord si on n’a pas une vraie organisation européenne qui fonctionne, et encore moins si on ne sait régler les problèmes des inégalités avec le continent africain et les autres rives de la Méditerranée » a déclaré Macron, le patron de la Françafrique, lors du Forum de Paris pour la paix vendredi.

Le même déclarait fin octobre, reprenant les chiffres de l’ex préfet Lallement, « la moitié au moins des délinquants, des faits de délinquance qu’on observe, viennent de personnes qui sont des étrangers soit en situation irrégulière, soit en attente de titres ». Peu importe la grossièreté du mensonge et de la manipulation des chiffres, qui passe sous silence ce fait, rappelé par Toubon, ancien Défenseur des droits : « les jeunes perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d'être contrôlés » par la police.

« Les gentils et les méchants »

Présentant son projet de loi, Darmanin a embrayé : « on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils » promettant de « rendre la vie impossible » aux personnes visées par une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Il entend renforcer la répression, « simplifier » et accélérer la mise en œuvre des OQTF en augmentant leur nombre de 4000 par an (18 000 ont eu lieu depuis le début de l’année).

Cela tout en faisant son « marché » parmi les travailleur.es sans-papiers qui exercent des métiers « en tension » afin d’offrir aux patrons une main d’œuvre qualifiée, bon marché, précaire et corvéable à merci. Il prévoit un titre de séjour spécifique, à condition « que les gens qui viennent en France respectent nos lois, parlent notre langue, respectent notre drapeau » !

Quant à la question des mineurs non accompagnés (MNA) dont la police et les services de l’Etat contestent très souvent la minorité et qui n’obtiennent réparation au Tribunal qu’après des procédures longues et humiliantes, Darmanin veut donner tous pouvoirs à la police : « Auparavant, il fallait que la personne puisse démontrer sa majorité, par des tests osseux ou des informations des pays étrangers. Désormais les procureurs de la République acceptent que les policiers fassent des présomptions de majorité ». Quand un policier arrêtera « quelqu’un qui n'est manifestement pas mineur, parce qu’il a de la barbe, un corps extrêmement développé ou qui le connaît parce qu'il est dans son fichier […] le procureur de la République reconnaîtra la parole du policier ». C’est ce que Retailleau, président du groupe LR au Sénat appelle « une ouverture des vannes » !

Démagogie xénophobe et raciste pour tenter de retarder les explosions sociales

Droite, extrême-droite, droite extrême, de Macron au nouveau patron du RN Bardela, le personnel politique de la bourgeoisie est lancé dans une fuite en avant réactionnaire qui répond aux besoin des classes dominantes conscientes de l’inéluctabilité des explosions sociales et tente de diviser les exploité.es en instrumentalisant les préjugés.

Ils mènent une guerre de classe politique, économique, idéologique. Une guerre dont fait partie la situation faite aux travailleurs sans papiers, chair à patrons subissant une exploitation féroce dans la restauration, le secteur du nettoyage, des livreurs Uber Eats ou Deliveroo, dans le BTP, etc. Précarisés à l’extrême, discriminés, soumis au chantage permanent, leur surexploitation exerce une pression sur l’ensemble du monde du travail.

Il y a juste trois ans, Macron déclarait à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles qu’il voulait « sortir 100 % des gens qui n’ont rien à faire là ». Pure démagogie : selon les derniers chiffres du ministère de l’intérieur, « seules » 8,25 % des OQTF prononcées en 2021 ont été exécutées.

Car au-delà de « rendre la vie impossible » aux migrants, la fonction des lois en cascade, des gesticulations et de la surenchère démagogique réactionnaire est politique. L’État ne cherche pas à mettre en application ses lois, et n’en a de toute façon aujourd’hui pas les moyens (manque de centres de rétention, de forces de l’ordre, coût des rapatriements forcés…).

Mais la mécanique réactionnaire s’auto-alimente, chaque jour une nouvelle provocation, qu’elle vienne du gouvernement, d’un plateau TV ou à l’Assemblée d’un député RN propriétaire viticole dans le Médoc, un temps pressenti pour devenir porte-parole du parti, qui hurle « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ».

Cette surenchère, crasseuse pour les un.es, policée pour d’autres, ne peut se combattre sur le mode de l’indignation, encore moins au nom des prétendues « valeurs » de la République et de la France.

Le combat des migrants pour vivre est celui de toute la classe ouvrière

« Enfin la France prend la décision à la hauteur de ce qu’incarne son drapeau pour le monde. Il était temps ! Ce n’est pas pour rien que notre devise contient le mot Fraternité » tweetait vendredi, dans un vibrant élan patriotique, le député insoumis Antoine Léaument. Daniele Obono se félicitait elle sur France Info « le gouvernement a enfin répondu aux appels de détresse du navire […] Au-delà des désaccords politiques, c’est notre devoir d’humanité ». Quant à Mélenchon, il s’exclamait à CNews « On est la France, on n’est pas un pays de barbares dirigés par des fascistes comme en Italie […] A un moment donné il faut savoir faire acte de raison et d’humanité » donnant un satisfecit à la politique du gouvernement tout en étalant ses préjugés nationalistes, aujourd’hui anti-italiens, qualifiés de « barbares », hier anti-allemands…

Il faut dire que la gauche s’y entend en « acte de raison et d’humanité » vis-à-vis des migrants depuis des décennies. « Il y a dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l'Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles » déclarait le socialiste Rocard en 1989, appelant à « résister à cette poussée constante » et annonçant une « mobilisation de moyens sans précédent pour lutter contre une utilisation abusive de la procédure de demande d'asile politique ».

En juillet 1991, Edith Cresson, première femme cheffe de gouvernement, à qui Borne a récemment rendu hommage, faisait affréter des avions charters pour expulser des migrants, reprenant la méthode Pasqua en 1986 qui avait renvoyé par vol spécial 101 Maliens, menottes aux poignets, vers leur pays d’origine.

Alors oui, il n’y a pas de solution à la « misère du monde » autre que le renversement de cette société de classe qui ne peut se survivre qu’en condamnant des milliards d’individus à la famine, à la guerre, aux catastrophes climatiques et aux exils forcés. Il ne peut y avoir d’« humanité », de « fraternité » sans bouleversement révolutionnaire, sans que les opprimé.es et les exploité.es du monde entier contestent la propriété capitaliste et prennent le contrôle de l’économie et de la société.

La lutte des migrant.es pour la vie, leur courage, leur détermination révèle et accuse les classes dominantes, tous les politiciens qui leur refusent ce droit et le poison du nationalisme que sécrètent et instrumentalisent nos ennemis de classe. Il est un élément central de la lutte de classe, la nourrit de sa force, de sa jeunesse, des expériences accumulées dans cette lutte pour la vie, et participe de la maturation accélérée des conscience des travailleur.es et de la jeunesse dans le monde entier. Notre place dans cette lutte est de combattre le poison du racisme, de la xénophobie, de nous unir contre les démagogues cyniques de droite et d’extrême droite en toute indépendance de ceux qui, à gauche, prétendent parler en notre nom dans le même temps qu’ils défendent la république des classes dominantes et le nationalisme. Notre patrie, c’est l’humanité !

Isabelle Ufferte

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