Ce 8 novembre, deux ans après l’élection présidentielle de 2020, qui s’était conclue par le coup de force de Trump au Capitole le 6 janvier 2021, les élections de mi-mandat n’ont pas donné la revanche qu’il espérait à Trump annonçant la veille du scrutin « une vague rouge », c’est à dire républicaine. Cet échec personnel pourrait rendre plus difficile sa candidature pour la présidentielle de 2024 qu’il devait annoncer dans la foulée des midterms d’autant que Ron DeSantis – réélu gouverneur de façon triomphale en Floride – a, quant à lui, annoncé qu’il postulait à être le candidat des Républicains…

La déroute attendue des Démocrates n’a donc pas eu lieu, sursaut d’une fraction de l’électorat, en premier lieu les femmes et les afro-américains, en défense du droit à l’avortement et en réponse à la violence et à l’agressivité raciste, chauvine, sexiste et anti ouvrière des Républicains. Et surtout la jeunesse qui s’est mobilisée contre Trump alors que la popularité de Biden est en berne.

Ce sursaut, fruit des mobilisations des mois derniers, ne suffira pas pour enrayer l’évolution vers l’extrême droite des Républicains et la dérive réactionnaire de l’ensemble de la politique institutionnelle. Ainsi John Fetterman, démocrate élu sénateur de Pennsylvanie, qui se disait progressiste et défendait le Green New Deal, a fait campagne en plaidant pour le « fracking », extraction de pétrole par fracturation hydraulique, tout en tenant un discours à la Trump violemment anti-chinois flattant les inquiétudes et les illusions réactionnaires d’une partie du monde du travail blanc dont il voulait obtenir le vote. Les démocrates résistent certes mais leurs prétentions progressistes à se faire les défenseurs des travailleurs, des femmes, des minorités prennent de plus en plus le visage cynique et corrompu de politiciens soucieux de leur carrière et de servir les classes dominantes, un cynisme qui laisse la place à la démagogie populiste de Trump. Dès le lendemain des élections Biden se déclarait disposé à travailler avec les Républicains.

L’écœurement que Trump réussit à dévoyer est d’autant plus grand que les deux partis se réduisent à des machines électorales financées par les milliardaires et les riches. Plus de 10 milliards de dollars ont financé leurs campagnes publicitaires et ce seront au final près de 17 milliards de dollars qui auront été engloutis dans le harcèlement des électeurs. Le pouvoir du fric leur permet de s’assurer la main sur les élections. Les Républicains sont à ce jeu les gagnants en donnant à la méfiance contre le système le contenu complotiste des « élections volées ». « L’élection était truquée et volée, et on ne peut pas laisser cela se reproduire », accusait Trump pour mobiliser ses troupes pour contrôler les urnes, harceler et menacer les personnels des administrations locales et des bureaux de vote.

L’éventail des mécanismes visant à restreindre l’exercice du droit de vote ou à manipuler les votes, par exemple par le découpage des circonscriptions électorales, sont autant de moyens de mettre sous contrôle ladite démocratie. Près de 5 millions de citoyens sont privés du droit de vote en raison de leurs antécédents judiciaires, soit 2 % de l’électorat.

La démocratie du bipartisme n’a toujours été qu’une caricature, une mascarade destinée à légitimer la dictature de Wall Street et du Pentagone, un grand spectacle financé par les riches. Aujourd’hui elle s’enlise dans les insultes, la violence verbale mais aussi physique sous la pression des démagogues qui cherchent à détourner en leur faveur le discrédit qui frappe un système dont ils sont les défenseurs.

Trump accuse Biden des conséquences de sa propre politique que ce dernier poursuit...

Certes, les Républicains n’ont pas renversé la table lors de ces élections mais ils ont renforcé leurs positions. Les deux camps ont en réalité joué du rejet de l’autre, rejet des Républicains emportés dans des surenchères d’extrême droite voire fascisantes ou rejet des Démocrates jugés corrompus et entièrement soumis à Wall Street.

Il n’y a pas de réel soutien populaire à la politique de Trump en faveur de réductions d’impôts pour les riches, de réductions des dépenses sociales, en particulier des programmes de droits garantis comme la Sécurité sociale et Medicare, des attaques contre le droit à l’avortement, une intensification des attaques contre les immigrants et une escalade de la violence policière.

Il y a un écœurement à l’encontre des Démocrates et plus globalement d’un système corrompu alors que la classe ouvrière reste dominée par les appareils syndicaux qui soutiennent les Démocrates.

Au cours des deux dernières années, la préoccupation centrale de l’administration Biden a été la poursuite de la guerre en Ukraine, alors que l’inflation monte en flèche et que le niveau de vie de la classe ouvrière est fortement réduit. La Réserve fédérale mène une politique délibérée d’augmentation du chômage par le biais de la hausse des taux d’intérêt contre les salaires. En deux ans de mandat, les Démocrates n’ont rien fait pour améliorer les conditions de la grande majorité de la population, pour protéger les droits des migrants, intensifiant au contraire les expulsions et l’exclusion des demandeurs d’asile à des niveaux records. Ils considèrent le droit des femmes à l’avortement comme un argument électoral tout en refusant, le plus souvent, de le défendre dans la pratique.

Biden a promis que la première loi à l’agenda du Congrès en cas de victoire démocrate aux élections garantirait le droit à l’avortement en s’engageant sinon à poser son « veto » dans le cas où les Républicains l’emporteraient et voudraient le bannir au niveau fédéral. Et il a distribué des miettes comme d’annuler une partie de la dette étudiante. Rien qui touche un tant soit peu les intérêts des classes privilégiées tout en faisant passer deux lois qui, elles, les servent, l’une contre la concurrence chinoise sur les semi-conducteurs (« Chips and Science Act »), l’autre sur le climat (« Inflation Reduction Act »).

Sur le fond, la politique économique et internationale de Biden n’a en rien représenté une rupture avec celle de Trump, illustration de l’impuissance des Démocrates à réaliser ce qu’ils prétendaient faire, la démocratie et la justice. La violence de Trump leur sauve la mise mais le processus de régression sociale et politique n’est pas enrayé, loin s’en faut.

De l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, aux midterms, l’offensive réactionnaire

La violence politique qui a marqué cette campagne est apparue aux yeux du monde entier avec l’agression dirigée contre Paul Pelosi, mari de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi. Indépendamment des légitimes interrogations sur ce qui a permis une telle agression, cette tentative d’assassinat apparaît bien comme la conséquence des haines et des menaces attisées par Trump et le Parti républicain qui en portent la responsabilité politique ainsi que des milliers d’agressions qui ont accompagné la campagne.

Alors que Biden parle de sauver la démocratie, Trump organise des rassemblements « Sauver l’Amérique » auxquels participent des milliers de fidèles partisans et au cours desquels il traite Biden d’« ennemi de l’État » ou Pelosi « d’animal » tout en posant au sauveur de l’Amérique : « Les Républicains du mouvement MAGA [Make America Great Again] ne sont pas ceux qui essaient de saper notre démocratie. Nous sommes ceux qui essaient de sauver notre démocratie. Le danger pour la démocratie vient de la gauche radicale, pas de la droite. » MAGA, le mouvement proTrump, continue de prospérer rassemblant mouvements et milices d’extrême droite, complotistes, notamment QAnon. Selon un décompte du Washington Post, plus d’un candidat républicain sur deux engagés dans l’élection le 8 novembre a repris à son compte les accusations de fraude et de vol de l’élection présidentielle, les théories complotistes pro-Trump et anti-élites gagnent les rangs du Congrès...

La décomposition sociale et politique nourrit la violence réactionnaire

Cette hystérie réactionnaire bornée et stupide, criminelle trouve son origine dans la décomposition sociale qui touche la première puissance mondiale. La chute de l’espérance de vie de 2,7 ans dans les deux dernières années selon l’agence américaine pour la santé des Centers for Disease Control (CDC), en donne la dramatique mesure. Le fait n’est pas nouveau puisque la population américaine perd régulièrement quelques mois d’espérance de vie tous les ans depuis 2014 mais il s’agit de la plus forte baisse depuis la crise de 29.

La pandémie n’en est responsable que dans la mesure où elle a frappé une population, dont un tiers souffre d’obésité et 10 % de diabète, souvent sans protection sociale et que la politique vaccinale n’a pas répondu aux besoins : seulement 30 % de la population a reçu une dose de rappel contre le Covid-19, contre 60 % en France.

Décès liés aux drogues et à l’alcool, suicides et maladies cardiométaboliques (diabète, obésité, cardiopathie hypertensive, par exemple) participent depuis des années à la hausse de la mortalité. Depuis 2010, le nombre de décès par overdose explose. Des millions d’Américains sont devenus dépendants aux médicaments antidouleur à base d’opiacés à la suite de campagnes de marketing agressives de la part de l’industrie pharmaceutique.

Les inégalités se sont creusées notamment avec les hispaniques et les Noirs américains. L’inflation vient aggraver cette régression. Au cours de l’année écoulée, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 13,5 % en un an, celui du carburant de plus de 10 pour cent alors que les salaires ont baissé en moyenne de 3 %.

En 2020, Biden avait promis de créer de « bons emplois avec de bons salaires ». Mais l’inflation ronge les salaires, qui sont de moins en moins « bons ». Les travailleurs les moins bien lotis doivent enchaîner deux emplois pour s’en sortir. Par contre, la promesse du président démocrate d’augmenter le salaire minimum fédéral jusqu’au seuil de 15 dollars de l’heure – ce qui est très peu au regard de l’inflation actuelle – est restée... une promesse.

Pendant ce temps, la rentabilité des entreprises a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré. L’aide massive que l’État fédéral leur a octroyée pendant la période du Covid a pris ensuite la forme de plans de relance de centaines de milliards de dollars qui dopent les profits et l’inflation.

Contre l’offensive réactionnaire pour conquérir la démocratie et les droits sociaux, contre le militarisme et la guerre, le parti des travailleurs...

Si les démocrates ont évité la déroute ce n’est pas grâce à la campagne de Biden même si celui-ci a multiplié les initiatives pour tenter de se fabriquer une image de président des travailleurs, grand discours lors de la fête du Travail, réception à la Maison Blanche des syndicalistes d’Amazon et Starbucks, interventions à des congrès syndicaux, statut des travailleurs ubérisés et promesse d’une grande loi fédérale, le Protect the Right to Organize (PRO Act), pour protéger les droits sociaux et syndicaux… Ils le doivent aux mobilisations, à la dynamique de syndicalisation et de grèves, inédite depuis des décennies, qui secoue le pays depuis deux ans, aux luttes des femmes, des minorités qui se battent pour leurs droits, de la jeunesse qui ont pour beaucoup apporté leur vote aux candidat.es de la gauche des Démocrates. Cela sauve ces derniers de la déroute, met Trump en difficulté mais n’apporte aucune réponse aux questions décisives qu’engendre l’offensive des classes dominantes.

De toute évidence la rivalité entre les deux partis du capital va se dérouler encore plus à droite dans les deux ans qui nous séparent de l’élection présidentielle de 2024 alors que l’inflation va déboucher sur une récession, voire un krach et que les menaces de guerre vont s’accentuer alimentant le nationalisme, le racisme pour le profit de l’extrême droite.

Pour sortir de ce piège mortifère des rivalités entre les partis du capital qui provoque l’inflation, la guerre, la catastrophe climatique, les travailleurs n’ont pas d’autre moyen que de faire leur propre politique, de s’organiser pour défendre leurs propres intérêts de classe et ceux de l’ensemble de la population victime de Wall Street. Une politique qui combatte les tentatives du patronat de les diviser selon la couleur de peau et l’origine, le genre, la nationalité, l’âge, le niveau d’étude ou la qualification professionnelle. Il leur faut se regrouper autour d’un programme pour se défendre contre la déroute du capitalisme dans la perspective de le renverser pour construire le socialisme, retrouver la fierté, la confiance et aussi la conscience de leur force, de la nécessité de rompre avec la politique institutionnelle pour faire valoir leurs droits et intérêts, se faire les porte-parole de toutes celles et ceux qui sont victimes de la politique des classes dominantes et de leur État.

Yvan Lemaitre

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