Confronté à la montée de l’inflation et à la crise énergétique, Macron a ouvert le bal fin août : constatant que la France « vit une grande bascule », il nous annonçait « la fin de l’abondance ». Borne a repris le thème début octobre, présentant au Parlement un « plan de sobriété énergétique » censé faire baisser de 10 % la consommation du pays. Un « plan de mobilisation générale » dans lequel « chaque geste compte » et qui, cerise sur le gâteau, contribuerait à la politique de « transition énergétique » du gouvernement…

Elle expliquait : « Il y a 7 mois, en attaquant brutalement l'Ukraine, la Russie a changé l'ordre du monde. Aux bouleversements stratégiques se superpose une crise énergétique. La Russie a choisi de faire de son gaz un objet de chantage, provoquant, en Europe, des risques de pénurie pour cet hiver et une envolée des prix de l'énergie. […] A cette tension sur le gaz s'ajoute l'arrêt pour maintenance d'une part importante de notre parc nucléaire, qui limite notre production d'électricité. Mais grâce à la solidarité européenne et à la sobriété, nous pouvons passer les mois qui viennent en évitant des coupures d'énergie. »

Ce discours participe de la propagande de la bourgeoisie qui voudrait nous faire croire que la pandémie de covid, l’inflation, la guerre en Ukraine sont des hasards malheureux dont les effets se conjuguent pour créer une « grande bascule » de l’ordre économique et géopolitique mondial. C’est l’inverse qui est vrai. Bien qu’elles contribuent à l’aggraver, la pandémie, l’inflation, la guerre, le réchauffement climatique sont avant tout les conséquences de la crise globale du capitalisme financiarisé mondialisé. Crise dont les causes premières sont les contradictions inhérentes au système lui-même et les politiques menées pour tenter d’y remédier.

Borne tente de masquer l’impuissance chronique des États et de la bourgeoisie à mettre un coup d’arrêt à cette marche à la faillite. Ce qu’elle et Macron appellent « sobriété » est d’abord et avant tout un volet de l’offensive qu’ils mènent contre les travailleurs, les jeunes, les classes populaires pour le compte de la bourgeoisie aux abois.

L’inflation, ou quand les États subventionnent le capital parasitaire qui prélève sa dîme

Lorsque l’inflation est apparue, avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, on nous expliquait qu’elle venait des désorganisations des chaînes de production inhérentes à la pandémie et que tout allait rentrer dans l’ordre avec la « reprise ». On nous explique maintenant que c’est la guerre et les perturbations qui en découlent sur les approvisionnements en gaz, pétrole, céréales, etc., qui font que l’inflation se poursuit de plus belle…

En réalité, l’inflation est avant tout une conséquence de la politique de subventions à fonds perdus du capitalisme financier par les Etats et les banques centrales depuis la crise de 2007-2009. Et si désorganisation de la production et des réseaux de logistique il y a, elle vient avant tout de l’anarchie qui règne dans un système économique régi par la seule perspective du profit immédiat. Quant à la hausse des prix, elle profite principalement aux sociétés qui accumulent des profits gigantesques alors que l’ensemble de l’économie stagne, voire régresse : multinationales du pétrole, grandes compagnies maritimes, « grands investisseurs » qui spéculent sur les marchés des matières premières minières, agricoles et des énergies. Du fait des prix qu’ils imposent pour des produits et des services de base indispensables à toute production, les hausses de prix se répercutent à travers les chaînes de production à l’ensemble des biens et des services. C’est un véritable drainage des richesses qui se produit vers les sommets de ces multinationales, dont les « superprofits » explosent.

Les Etats, comme en France, mettent en scène les mesures qu’ils prennent pour, disent-ils, aider les plus défavorisés, les petites entreprises en difficulté. Mais face à l’augmentation faramineuse des prix de l’énergie, les « chèques énergie » et autres « boucliers tarifaires » sont bien loin de faire le compte. Alors que les prix alimentaires explosent, Borne vient d’annoncer la création, pour 2023, d’un « fonds pour une aide alimentaire durable » de 60 millions d’euros, destiné à permettre aux associations qui distribuent gratuitement repas et aliments aux plus démunis de faire face à des besoins en augmentation permanente. C’est une illustration crue de l’incurie de l’Etat qui, incapable d’organiser lui-même la prise en charge de ce soutien alimentaire élémentaire, le délègue à des associations de bénévoles à qui elle verse une aumône…

Si chaque annonce de ce genre de mesures est soigneusement mise en scène et relayée par la presse, il n’en est pas de même pour le soutien, infiniment plus considérable, que les Etats apportent à ceux-là mêmes qui organisent l’inflation. Une enquête de L’Observatoire des multinationales[i] décrit « comment Shell, TotalEnergies et les autres majors européennes [Repsol et Eni] ont réussi à sauver leurs superprofits », 77,9 milliards d’euros depuis le début de l’année. Le fait que les dirigeants de ces compagnies pétrolières aient rencontré plus de 100 fois la Commission européenne sur la même période est d’abord une illustration claire, pour ceux qui en douteraient, de l’assujettissement des Etats au bon vouloir de ces puissances économiques. Pas question en particulier, de plafonner les prix et de toucher au libre jeu du marché : ce sont les États qui ont subventionné les réductions à la pompe pour les clients. Entre autres mesures, les États financent massivement la construction des nouvelles infrastructures gazières, plus de 300 en Europe destinées à accueillir les grands navires méthaniers et à traiter le gaz acheminé des USA et d’ailleurs par ces mêmes compagnies pétrolières et gazières qui le vendront au prix fort …

Non seulement les Etats nous mentent sur les causes de l’inflation et ne font rien pour s’y opposer, mais ils sont acteurs de ce hold-up généralisé, qu’ils subventionnent.

La crise énergétique, spéculations et grandes manœuvres capitalistes

Si « crise énergétique » il y a, ça n’est pas au sens où n’y aurait plus assez de pétrole, de gaz, de carburant pour répondre aux besoins mondiaux à court et moyen termes. Derrière ce terme de « crise énergétique » se jouent les grandes manœuvres à travers lesquelles s’affrontent pour le partage du gâteau les divers acteurs de la production pétrolière et gazière : pays producteurs qui empochent la rente, compagnies qui exploitent les ressources, raffinent et distribuent les produits finis, grands spéculateurs qui jouent sur les marchés de l’énergie.

Ignorant l’ordre du monde que souhaiteraient imposer les Etats-Unis et leurs complices européens de l’Otan face à leurs ennemis communs, Poutine et Xi Jinping, multinationales et pays producteurs jouent leur propre jeu, en fonction de leurs propres intérêts. Début octobre, les Emirats arabes unis, réputés amis des « démocraties occidentales », signaient des accords bilatéraux avec Poutine et s’abstenaient à l’ONU sur les sanctions infligées à la Russie. Plus récemment, l’OPEP+ dont ils sont membres avec la Russie et l’Arabie Saoudite, autre grande amie des USA, décidait une réduction importante de la production de pétrole afin de maintenir leur rente, anticipant sur la baisse de demande prévisible du fait de la récession et de l’aggravation probable des conflits économiques et militaires. Cette prise d’indépendance des Emirats et de l’Arabie Saoudite vis-à-vis des puissances occidentales est un des éléments des bouleversements en cours dans les rapports mondiaux, bouleversements dont ils tirent profit et auxquels ils contribuent.

Leur décision a suscité la protestation impuissante et hypocrite des dirigeants de l’UE et de Biden. Ce dernier, confronté à l’échéance des élections de mi-mandat au cours desquelles il risque de perdre sa majorité, s’en est pris, lundi 1er novembre, aux profits faramineux réalisés par les compagnies pétrolières : « si ces entreprises réalisaient les profits moyens qu'elles ont réalisés en raffinant le pétrole au cours des 20 dernières années au lieu des profits scandaleux qu'elles réalisent aujourd'hui, et si elles répercutaient le reste sur les consommateurs, le prix de l'essence baisserait d'environ 50 cents supplémentaires ». Si les compagnies pétrolières ne réduisent pas les prix de leurs produits raffinés, a-t-il menacé, « elles devront payer un impôt plus élevé sur leurs bénéfices excédentaires et subir d'autres restrictions »… Une posture électorale sur une mesure qu’il n’a aucune intention de voir aboutir.

A EDF comme dans tous les services publics, la faillite d’une politique

Borne pointe « l’arrêt momentané pour maintenance d’une part importante de notre parc nucléaire »… C’est un bel euphémisme pour parler de l’état catastrophique d’EDF, résultat de dizaines d’années de politique à courte vue qui visait à permettre au capital de s’emparer de tous les secteurs de l’activité économique dont il pouvait espérer tirer un profit à travers, entre autres, le dépeçage des services publics !

Ouverture à la « concurrence libre et non faussée » oblige, EDF a été contrainte de vendre à bas prix de l’électricité qu’elle produisait et transportait à divers « distributeurs » privés dont le rôle purement parasitaire se limitait à passer un contrat avec un client et à empocher l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente. La détermination de ces prix avait été confiée à un marché européen de l’énergie et par ailleurs assujettie aux prix du gaz. La flambée de ce dernier a entraîné la flambée du prix de l’électricité, déclenchant le retrait d’une multitude de ces distributeurs-parasites, tandis que l’Etat « renationalisait » EDF et ses dettes dont il était responsable. Plus précisément, rachetait avant qu’elles ne s’effondrent les actions détenues par les quelques 17 % d’actionnaires privés d’EDF… Pendant ce temps, le parc de production était resté en jachère, la maintenance de plus en plus confiée à des sous-traitants et 8400 emplois étaient supprimés depuis 2016, avec pour résultat une perte de compétences de l’entreprise qui se trouve aujourd’hui en grande difficulté pour faire face à ses problèmes techniques et assurer le rôle central qu’elle joue dans la société.

Avec la pandémie, on a vu les conséquences de cette politique de casse et de privatisation sur les services de santé. Rien n’a changé depuis, sinon en pire, comme on le constate aujourd’hui alors que les hôpitaux sont incapables de faire face à l’épidémie de bronchiolite qui sature les services pédiatriques. C’est au même phénomène qu’on assiste dans l’éducation, la formation professionnelle, dont les professeurs étaient dans la rue le 18 octobre. C’est aussi le cas à la SNCF, devenue incapable d’assurer ses fonctions dans de bonnes conditions du fait de la dégradation des infrastructures, du manque de personnel et de moyens matériels.

On mesure aujourd’hui les résultats de cette politique destructrice des services publics. Les conséquences touchent bien évidemment toute la population. Mais elles se retournent aussi contre les classes dominantes elles-mêmes, dont les entreprises subissent les hausses de prix et les menaces de rationnement qui sont autant de facteurs de récession, de désorganisation de l’appareil de production.

La sobriété, une offensive généralisée contre le monde du travail…

L’appel à la « sobriété énergétique », l’offensive contre les retraites qui suit celle sur l’assurance chômage, sont l’expression de l’inévitable exacerbation de la guerre des classes qui résulte de ce que le capital n’a pas d’autre issue, pour maintenir ses profits, que d’augmenter le taux d’exploitation, d’extorquer toujours plus de plus-value absolue.

C’est en particulier vrai ici, comme dans toute l’Europe dont la situation économique ne cesse de se dégrader dans un monde soumis aux remous générés par l’exacerbation de la guerre commerciale entre les USA et la Chine ainsi que par la mobilisation des États derrière l’OTAN dans la guerre en Ukraine.

Dans ce contexte, au-delà de la « sobriété énergétique », c’est une « sobriété générale » que le gouvernement voudrait nous voir accepter sans trop broncher. Accepter, au nom d’une prétendue « solidarité nationale » de réduire notre propre consommation alors que les prix continuent de grimper et que gouvernement et patronat font tout pour limiter la hausse des prestations sociales et des salaires.

Ils ont une théorie pour justifier cela : la menace d’une prétendue « boucle salaires-prix », qui, si on la laissait s’installer, produirait un emballement incontrôlable de l’inflation. Macron n’a pas hésité à dégainer ce mythe lors de sa dernière prestation télévisée : l’indexation des salaires sur l’inflation aboutirait à « entretenir la hausse des prix » et à créer une « boucle qui ne s’arrête plus »… Il souhaite « qu'il y ait dans les entreprises une négociation sociale qui permette, quand les choses vont bien, que le cycle est bon, d'augmenter les salaires et de partager la valeur »… Et il s’est vanté des mesures prises pour limiter les hausses de l’énergie : « On protège les plus faibles, on aide notre industrie, on protège plus que nos copains »…

Alors que les prévisions sur la dégradation de la situation économique générale se succèdent, Macron, avec l’aplomb et le cynisme qui le caractérisent, nous demande d’attendre que les « choses aillent bien », que le « cycle soit bon » !

Le gouvernement tente de retarder les échéances par diverses mesurettes, « chèque énergie », « bouclier tarifaire », censées ralentir les effets sociaux de la dégradation générale. Il espère désamorcer ainsi autant que faire se peut une explosion de la révolte sociale qu’il sait inévitable. L’appel à la « sobriété » participe de cette politique. Il vise à faire patienter, voire à nous faire participer à la mise en œuvre de notre propre régression sociale. Il vise également à isoler ceux qui se battent pour leurs salaires, dénoncés, tels les grévistes des raffineries Total et Exxon, comme des privilégiés ne jouant pas le jeu de la « solidarité nationale ».

… pour sauver un capitalisme addictif

S’il est un secteur où la « sobriété » n’est pas à l’ordre du jour, c’est celui de l’armement. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, la mobilisation des Etats européens au sein de l’OTAN derrière les Etats-Unis, s’est traduite par une accélération importante de la course aux armements. Plusieurs journaux ont essayé de découvrir combien de jours tiendrait l’armée française en cas de guerre ouverte, venant ainsi à la rescousse du gouvernement qui, de son côté, « pousse » les industriels de l’armement à « renforcer leurs capacités de production » et augmente significativement le budget militaire.

L’achat massif d’armes de toute sorte est une façon pour le gouvernement de garantir les profits des marchands de canons et de leurs actionnaires. C’est un drainage monumental de richesses, un palliatif organisé par l’Etat au profit de la bourgeoisie face à la récession généralisée qui s’installe.

Cette poussée de fièvre militariste est le pendant de l’exacerbation de la concurrence internationale, alors qu’à la guerre en Ukraine s’ajoutent les provocations bellicistes de Biden à l’égard de la Chine. Sur le plan politique, Macron, le gouvernement, soutenu par une bonne partie de la presse, prend prétexte de ce contexte pour tenter de nous enfermer dans leur « union nationale », contre Poutine aujourd’hui, peut-être demain contre Xi Jinping.

Cela alors qu’une autre menace se précise, bien réelle, celle de la déroute du système.

Vers une récession mondialisée, un système au bord de la banqueroute

Dimanche 31, le JDD titrait en Une « Récession, inflation, chômage, à quoi va ressembler la crise ? ». De fait, de nombreux facteurs contribuent à entraîner l’économie mondiale vers la récession. C’est le cas en particulier de la hausse des taux directeurs des Banques centrales, qui, sous prétexte de vouloir juguler l’inflation en diminuant la quantité d’argent circulant, cherche en réalité à éviter un krach financier majeur, quitte à créer une récession planétaire.

Mais il est vain d’en attendre une baisse de l’inflation. La hausse des taux pratiqués par les banques centrales se répercute nécessairement sur ceux pratiqués par les banques privées auprès des Etats, des entreprises et des particuliers. Le résultat sur les profits de ces banques privées ne s’est pas fait attendre : ceux de BNP Paribas ont bondi de 10,3 % sur l’année, à 12,76 milliards ; + 10 %, 1,4 milliard pour la Société générale pour le seul dernier trimestre…

Ce renchérissement du crédit contribue à la hausse des prix, à la contraction du marché solvable, en définitive à la récession. Récession qui ne peut, à plus ou moins court terme, que se traduire par des faillites, des fermetures d’entreprises, et en conséquence une recrudescence du chômage. Chômage qui, par la pression qu’il exercera sur le marché du travail, agira comme un frein sur les salaires.

La formule du JDD, loin d’être une hypothèse catastrophiste, décrit malheureusement une perspective bien réelle, dont Macron comme Borne et leurs donneurs d’ordre sont parfaitement conscients.

Quant à celles et ceux qui verraient dans la campagne du gouvernement pour la sobriété un pas fait vers la « décroissance », la limitation du productivisme à défaut de sa suppression, c’est exactement l’inverse qui se produit. Tandis que de plus en plus d’êtres humains sont contraints à une telle « sobriété », qu’ils manquent de tout et sont acculés à la famine, le capitalisme n’aura pas d’autre solution que d’accentuer sa prédation sur les hommes et les femmes comme sur la terre pour se survivre et permettre à une infime minorité d’accumuler des profits insensés.

Contre toute forme d’union nationale, l'union des exploités pour prendre le contrôle de la société

Il est vital pour les travailleur.es, les jeunes, les classes populaires, de refuser de se plier à cet appel à la sobriété comme à l’appel à l’union nationale derrière l’Otan contre Poutine. Les deux relèvent du même vieux procédé qu’utilisent les Etats pour détourner les exploité.es de leurs intérêts de classe en les mobilisant autour d’un prétendu « intérêt national », contre un prétendu ennemi commun.

Alors que la situation économique, sociale, écologique, géopolitique ne cesse de se dégrader, l’urgence est au contraire à l’indépendance de classe, à la défense de nos propres intérêts, à commencer par les salaires. Pour mettre un coup d’arrêt à la dégradation de nos conditions de vie, il est indispensable d’exiger l’indexation des salaires et de toutes les prestations sociales sur l’inflation, à un niveau suffisant pour vivre décemment. La réalisation de ces exigences vitales remet en cause la logique même de leur système failli et pose la question d’une autre organisation économique, permettant de mettre au service de l’humanité dans son ensemble les moyens techniques et scientifiques formidables qu’elle a créés par son travail, et qui, mis au service de la satisfaction des besoins de chacun, permettront de prendre toutes les mesures indispensables à stopper la dégradation des équilibres écologiques.

Daniel Minvielle

 

[i] https://multinationales.org/fr/enquetes/guerre-en-ukraine-et-superprofits-petroliers/

 

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