La journée d’action interprofessionnelle du 18, qui avait été appelée à la hâte par la CGT, Solidaires, FSU et FO le mercredi 12 octobre en solidarité avec les raffineurs en grève, contre les atteintes au droit de grève que sont les réquisitions, pour l’augmentation des salaires a été marquée par de nombreuses initiatives qui témoignent des raisons multiples du mécontentement, d’une profonde colère latente. Plusieurs débrayages et grèves parfois reconductibles pour les salaires ont eu lieu dans de grandes entreprises chez Airbus à Toulouse ou à la SNCF ou se sont poursuivies comme chez EDF dans les centrales nucléaires. D’autres dans des entreprises plus petites où la grève est rarissime comme entre beaucoup d’autres dans l’entreprise de bus en Essonne, Kéolis-Daniel Meyer où les salarié.es ont installé un piquet de grève 24 heures sur 24 devant leur dépôt à Monthléry. Ils n’en peuvent plus de leurs salaires à 13,23 euros bruts de l’heure pour des journées qui peuvent commencer à 5 heures ou se terminer à 23 heures. Le 18, c’était aussi la forte mobilisation des enseignants des lycées pro contre une réforme qui, après celle de Blanquer, est destinée à liquider l’enseignement professionnel. « Nos élèves ne sont pas de la chair à patrons », un des slogans de leurs cortèges, résume la réforme. 11 semaines d’heures d’enseignement sont remplacées par des stages en entreprises et le gouvernement veut en finir avec le caractère national des diplômes afin d’adapter les jeunes -680 000 élèves concernés- aux besoins locaux du patronat. Il veut aussi réduire ces budgets, 8000 à 10 000 enseignants seraient contraints de quitter leur établissement. Dans de nombreuses villes, des cortèges de jeunes étaient présents, certains avaient bloqué leur lycée, contre cette réforme dans les lycées pro, mais aussi dans les lycées d’enseignement général et dans les facs, contre la sélection accrue en faculté à travers Parcoursup, en solidarité avec les travailleurs en grève pour les salaires, contre la répression, l’expression d’une révolte contre ce monde qu’ils jugent insupportable.

Quel que soit le motif immédiat et déclencheur de la colère, les raisons de fond en sont les mêmes, ce sont les conséquences de l’aggravation de l’exploitation du Travail par le Capital, directement par la baisse des salaires réels, l’intensification et la pénibilité du travail, indirectement par l’offensive menée par l’État pour réduire toutes les dépenses utiles à la population pour mettre l’argent public au service des groupes capitalistes. La question de l’augmentation des salaires face à la hausse des prix, qui atteint 8,9 % pour les produits alimentaires en supermarché sur un an selon les statistiques de l’Insee, une question qui concerne tous les travailleurs, pourrait être un puissant facteur d’unification de ce mouvement qui travaille en profondeur la société.

Les représentants du patronat, le gouvernement ne s’y sont pas trompés, ils craignent la multiplication des grèves, un mouvement possible de la jeunesse, une explosion sociale et ils se préparent à un affrontement.

La hargne réactionnaire contre les grévistes doublée d’une odieuse campagne raciste

Les médias aux ordres ont donné la charge contre les grévistes, Le Figaro, sur un thème repris en boucle par bien d’autres médias, montrant du doigt « les 90 grévistes de Total-Energies qui bloquent les raffineries en France », alors qu’il y a 3400 salariés à Total. Des chiffres du lundi 17 où la grève était minimale avant la journée de mardi. Les grévistes de Total ont été accusés, comme ceux d’Exxon-Mobil avant eux, de « prendre en otages » les automobilistes et les routiers alors qu’ils auraient dû accepter les accords signés par la CFDT et la CFE-CGC et dits « majoritaires » parce que ces syndicats ont eu plus de voix aux élections professionnelles bien avant la grève. Ces accords se révèlent d’ailleurs être plus près de 5 % d’augmentation de salaire (face aux 10 % demandés par les grévistes) que des 7 % annoncés, la différence étant faite d’augmentations individuelles. Champion de la démocratie et du dialogue social, le gouvernement a accru le nombre des réquisitions, salariés convoqués de force, encadrés par des policiers, menacés de graves sanctions -15 000 euros d’amende et 6 mois de prison ferme- s’ils s’y opposaient.

Et puis, vendredi 14 octobre, on apprenait que le corps d’une adolescente de 12 ans sauvagement assassinée avait été retrouvé dans une malle dans un immeuble du XIXème arrondissement de Paris. Et qu’une jeune femme, algérienne et sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) était la principale suspecte du meurtre. Une partie de la classe politique, l’extrême droite mais aussi LR a utilisé ce drame pour mener une campagne abjecte et raciste, Zemmour parlant de « francocide », son parti Reconquête organisant, au mépris de la volonté des parents de Lola, des manifestations dans plusieurs villes. Marion Maréchal Le Pen retweete des extraits d’un article haineux d’un journaliste de Valeurs actuelles, journal régulièrement invité sur les chaînes des télévisions privées. Marine Le Pen s’exclame à l’Assemblée : « la suspecte de cet acte barbare n’aurait pas dû se retrouver sur notre territoire ». Le député LR Eric Pauget interpelle le gouvernement sur son bilan dans l’expulsion des étrangers sous le coup d’une OQTF, Ciotti accuse « un laxisme migratoire criminel ». Une odieuse campagne à laquelle le gouvernement, en la personne de son porte-parole, Véran, donne du crédit en indiquant à propos des reconduites à la frontière « qu’il devait évidemment faire mieux ».

Il y a un lien entre la hargne anti-ouvrière qui s’est exprimé contre les grévistes de Total ou d’Exxon-Mobil, ces prétendus « ultra-privilégiés » qui « prennent le pays en otage » et le racisme haineux qui établit un lien entre deux faits qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre ou la démagogie xénophobe distillée par Véran et d’autres ministres, une même peur des classes possédantes devant la révolte que leur domination suscite et leur détermination à s’affranchir de la démocratie si besoin pour faire appliquer leur politique.

49.3, autoritarisme gouvernemental au service du Capital et impuissance de la gauche parlementaire.

A l’Assemblée nationale, Borne a déjà déclenché deux fois le 49.3 sur la première partie du projet de loi de finance (PLF) pour 2023, c’est-à-dire le budget de l’État, et sur la première partie du projet de loi de finance de la Sécurité sociale (PLFSS). Le gouvernement, assuré de ne pas être mis en minorité par une motion de censure, passe outre le débat parlementaire. Ceci dit, concernant le budget, ce débat ne posait pas les questions de fond, la NUPES elle-même en restant à une contestation admissible dans le cadre des institutions.

Comment le budget pourrait-il être amendé alors qu’il souffre d’une supercherie à la base, celle d’un Etat qui se présente comme étant au service de toute la population, au-dessus des classes, alors qu’il est au service exclusif des classes possédantes. Côté recettes, la TVA, qui fait payer le même pourcentage de taxe aux milliardaires comme aux smicards, représente 37,9 % des rentrées fiscales, l’impôt sur le revenu, 23,8 %. Les plus riches, les entreprises, et parmi elles les plus grosses, bénéficient de quantités de moyens légaux de diminuer leurs impôts. Ainsi l’impôt sur les sociétés est passé de 33 % à 25 % depuis 2017, mesure décidée sous Hollande qui fait gagner 15 milliards d’euros par an au patronat, et les impôts de production que Macron voudrait encore réduire, ont déjà été diminués d’un montant total de 10 milliards. Voilà par quoi est creusée essentiellement la dette, alourdie par les mesures du « quoi qu’il en coûte » de la crise sanitaire -440 milliards d’euros- et des plans qui ont suivi -130 milliards- dont le gouvernement a isolé une partie dans la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), financée par la CRDS et dont l’existence a été prolongée en mai dernier de 2024 à 2033. Quant à l’utilisation des recettes publiques, le gouvernement prévoit d’augmenter le budget de l’armée de 3 milliards et ses effectifs de 1500 militaires, les effectifs de policiers de 3000 alors qu’il diminue les effectifs d’enseignants de 1985 -masquée par une apparente hausse du nombre de fonctionnaires due au fait que les postes d’AESH y seront comptabilisés à partir de 2023.

Quant au budget de la Sécurité Sociale, il a été l’occasion des attaques les plus odieuses contre les auteurs de fraude sociale et ceux qui profiteraient des arrêts de travail, autrement dit des petites gens, des travailleurs. C’est au nom de la nécessité de réduire le déficit des caisses que le gouvernement prépare une nouvelle réforme des retraites mais il n’est rien dit des déficits creusés par les exonérations ou diminutions des cotisations sociales pour le patronat, des dizaines de milliards par an.

C’est pourquoi les solutions proposées par les différentes composantes de la NUPES, une taxe sur les superprofits, un rétablissement de l’ISF, l’ajout de tranches d’imposition, une TVA à 0 % sur les produits de première nécessité, ne pourraient corriger autrement qu’à la marge l’injustice criante de tout le système budgétaire. Aucune amélioration n’est possible sans l’annulation pure et simple de la dette publique, un monopole public bancaire, le contrôle de la population.

Indépendance de classe et organisation démocratique des luttes 

C’est un mouvement de contestation globale, de l’ensemble du système, qui mûrit dans les profondeurs de la société. Des dizaines de milliers de militants, de travailleurs, de jeunes, sont conscients que le maintien de la domination des groupes capitalistes conduit le monde à la catastrophe, que la conjonction des crises économique, écologique, militaires, est une conséquence et une expression de la faillite du système. Des millions de femmes, hommes, jeunes, éprouvent des difficultés croissantes, le manque d’argent, la pénibilité du travail, le mépris, le harcèlement et la répression des directions et de l’encadrement, l’absence d’avenir pour leurs enfants. Ils ressentent dans leur vie quotidienne cette crise sociale, le poids de l’exploitation et de l’oppression qu’ils subissent même s’ils n’en ont pas une compréhension claire et s’ils n’y voient pas d’échappatoire.

Les grèves pour la hausse des salaires étaient déjà nombreuses mais dispersées, locales, pendant l’hiver et au printemps derniers. Celle des raffineries fin septembre a fait éclater sur le devant de la scène politique cette question, l’augmentation nécessaire des salaires face à l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat et l’a rendue potentiellement contagieuse. Les directions syndicales l’ont bien compris, qui ont appelé à la journée du 18, et la direction de la CGT maintenant à deux autres journées de mobilisation le 27 octobre en appui aux grèves déjà existantes et le 10 novembre, une journée interprofessionnelle. Est prévue aussi une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des lycées pro, le 17 novembre. Ces journées peuvent être autant d’étapes dans la mobilisation du monde du travail et de la jeunesse et surtout dans son organisation, dans sa capacité à tisser des liens pour préparer la suite. On connaît assez les directions des appareils syndicaux, leur méfiance à l’égard de leur base, des militants et des travailleurs du rang, leur soumission au dialogue social, pour n’avoir aucune confiance en eux pour organiser l’affrontement nécessaire. A l’heure où il s’agit de renforcer les forces collectives de la classe ouvrière, les bureaucrates de la fédération des Métaux veulent obtenir en faisant appel à la justice bourgeoise l’exclusion des militants et membres du syndicat CGT PSA-Poissy dont Farid Borsali et Jean-Pierre Mercier. Jeudi dernier plus de 500 militants.es se sont rassemblé.es devant le tribunal de Bobigny pour les soutenir, défendre la démocratie ouvrière indispensable à la lutte. Et c’est tous les jours qu’il faut se battre pour imposer non seulement aux patrons mais aussi aux appareils cette démocratie qui est l’oxygène même des mobilisations, le droit pour les travailleurs de prendre en main leur propres affaires, décider eux mêmes.

Seul un mouvement construit par en bas peut changer les choses, les travailleurs, les jeunes prenant en mains leurs luttes, les organisant démocratiquement, mettant en discussion partout les revendications répondant à leurs besoins, une augmentation générale des salaires et leur indexation sur le coût de la vie, des embauches dans les entreprises et les services publics, la répartition du travail entre tous, le contrôle de la population, des travailleurs sur l’ensemble de l’économie.

Galia Trépère

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