Depuis une dizaine de jours, les déclarations provocatrices se succèdent reflétant autant l’impuissance et la panique du gouvernement face à l’aggravation de la crise globale du capitalisme et à la colère sociale qui monte, que le cynisme de sa fuite en avant au service des classes dominantes.

Après « la fin de l’insouciance et de l’abondance » annoncée par Macron, Elisabeth Borne a décliné la « sobriété » à toutes les sauces. « L’heure n’est plus aux querelles entre les partisans d’une écologie des petits pas et ceux de la décroissance », a-t-elle déclaré devant le Medef, appelant chacun à « prendre sa part, à sa mesure » en « organis[ant] ensemble la baisse de la consommation d’énergie ». Elle a demandé aux entreprises de réduire leur consommation énergétique de 10 % dans les prochaines semaines… diminution qui s’inscrit le plus souvent dans les plans de réduction des coûts que les entreprises prévoient déjà. L’occasion aussi pour certaines de réclamer de nouvelles aides de l’Etat comme Lactalis, leader mondial des produits laitiers, qui en a profité pour demander le déplafonnement des aides publiques à l’investissement dans la transition énergétique.

« Les entreprises feront leur part » pour mettre en place un « capitalisme décarboné », une « croissance sobre » a donc pu répondre, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, rajoutant même non sans cynisme, « j’assume le terme de planification écologique ».

Quant au reste de la population, elle aura surtout droit à de nouvelles leçons de morale qui n’empêcheront ni l’augmentation des prix ni probablement de réelles restrictions. « L’heure est venue de changer un certain nombre de nos habitudes », a prévenu Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. A l’issue du Conseil de défense réuni vendredi par Macron sur l’approvisionnement en gaz et en électricité à l’approche de l’hiver, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique a appelé à « la mobilisation générale », parlant de notre « responsabilité collective » : « L’Etat prendra sa part et sera exemplaire. C’est un effort collectif, proportionné et raisonnable : la sobriété, c’est la chasse au gaspillage, ce n’est pas demander aux entreprises de baisser leur production ou leur activité »... ni leurs profits ! Le « plan de sobriété » du gouvernement devrait être présenté courant septembre.

Pas de « sobriété » pour les profits

Quelques jours plus tôt dans la presse Borne avait déclaré qu’elle ne voulait pas « fermer la porte » à une taxation des « superprofits » des entreprises, argumentant que « personne ne comprendrait que des entreprises dégagent des profits exceptionnels alors même que les Français peuvent être inquiets pour leur pouvoir d’achat ». Propos sans lendemain mais qui exprime une inquiétude bien réelle du gouvernement. Ces profits exceptionnels qui s’affichent sans vergogne ne font que révéler aux yeux du plus grand nombre, en suscitant indignation et révolte profondes, l’égoïsme des classes dominantes et la folie d’un système capitaliste dont la seule logique est l’accumulation sans fin du capital quelles qu’en soient les conséquences pour les populations et leur environnement.

Cet été l’ensemble de la population a été confrontée à la multiplication de phénomènes catastrophiques : incendies, sécheresse, canicule, inondations, orages, qui se rajoutent à l’inquiétude que provoquent la guerre en Ukraine, les pénuries liées à la désorganisation de l’économie, l’inflation alimentée par les spéculations sur les matières premières et l’augmentation de leurs marges par tous les groupes industriels. Dans le même temps, les géants du CAC 40 ont dégagé des profits record qui, avec plus de 81 milliards de bénéfices pour le premier semestre 2022, font suite au record de 160 milliards d'euros de l’année 2021. Cela représente déjà une hausse de 24 % par rapport au premier semestre 2021. De bénéfices qui profitent avant tout aux actionnaires. Un nouveau record en euros a même été battu en France avec 44,3 milliards d’euros de dividendes versés au deuxième trimestre 2022.

Alors que toutes ces multinationales ont depuis des années pu largement profiter des cadeaux que l’Etat a multipliés pour maintenir coûte que coûte la machine à profit, Geoffroy Roux de Bézieux a eu le culot de déclarer que « le plus grand super profiteur », « c’est l’État », arguant que « les recettes fiscales du premier semestre 2022 ont augmenté de 27 milliards d’euros ». Et il n’a d’ailleurs pas hésité à réclamer de nouveaux cadeaux car « La meilleure façon d’aider les ménages français, c’est de rendre de la compétitivité à leurs employeurs » !

Message entendu par Bruno Le Maire qui a tranché : « Je ne sais pas ce que c’est qu’un super profit », « Je sais que les entreprises doivent être profitables, c’est tout ce que je sais » et de se réjouir que les aides de l’Etat aient pu ainsi alimenter les profits et dividendes des actionnaires.

Derrière les discours sur la « planification écologique », sur la « sobriété » du gouvernement, il n’y a qu’une nouvelle étape dans l’offensive des classes dominantes, avec de nouvelles attaques sociales pour le monde du travail et la jeunesse et de nouveaux cadeaux au patronat : réforme de l'assurance-chômage, du RSA, réforme des retraites d’un côté, baisse des impôts de production avec notamment la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de l’autre.

L’ampleur des catastrophes climatiques de cet été, la crise énergétique et l’inflation, la guerre en Ukraine, contribuent à transformer largement les consciences, à renforcer l’inquiétude face à l’avenir comme la conviction qu’il y a urgence à sortir de cette folie de la logique du marché, à contester le pouvoir des classes dominantes qui plongent l’humanité dans la pauvreté, la précarité généralisée et dont la folie menace les conditions mêmes de survie de milliards de personnes.

Pour Mélenchon une « rupture complète avec le capitalisme »… sur le terrain institutionnel

Tel est l’enjeu de la situation qu’exprime à sa façon Mélenchon quand il parle de la nécessité « de se déployer dans l’imagination d’une rupture complète avec le système capitaliste », reprenant lors de l’université d’été de LFI l’expression utilisée par Mitterrand, son modèle, à l’époque de l’Union de la Gauche…

Toute la question est de savoir quel contenu donner à cette rupture : simple effet rhétorique pour finalement ne dessiner comme seule perspective que la dissolution de l’Assemblée Nationale et de nouvelles élections ou une réelle perspective pour les luttes sociales en toute indépendance des institutions ?

Lors de l’Université d’été de la NUPES, Mélenchon a annoncé l’organisation d’une « grande marche contre la vie chère », de dimension nationale, un samedi d’octobre, tout en appelant tous ses militants à soutenir les luttes locales qui vont se multiplier dans les semaines qui viennent et à relayer les appels syndicaux, la journée d’action CGT du 22 septembre dans la santé et celle interprofessionnelle du 29 septembre appelée par la CGT, Solidaires et la FSU. Des appels dont il nous faut bien sûr nous emparer même s’ils ne s’inscrivent pas comme des étapes dans un plan de bataille pour passer à l’offensive.

De son côté Olivier Faure du PS a proposé un référendum d’initiative partagée sur la taxation des profiteurs de crise qui nécessite d’obtenir 4,5 millions de signatures. Un objectif repris par LFI qui met en ligne une pétition... comme s’il était possible d’obtenir la taxation des profits des multinationales pas une simple pétition quand toute la vie sociale, toute la politique des Etats est inféodée à la défense de leurs intérêts !

Mais surtout le problème est la perspective dans laquelle s’inscrivent ces appels à la mobilisation.

Pour Mélenchon c’est clair : « Si le mouvement populaire se mobilise, c’est nous qui dirons à Macron : il est temps de retourner aux urnes. » Comme l’avait résumé Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis à l’Assemblée, la semaine dernière :« La vie politique française est un compte à rebours vers la dissolution » … sous-entendu que la seule véritable perspective est de retourner aux urnes ! « Je n’ai cessé de croire que nous aurons bientôt à gouverner ce pays. » a conclu Mélenchon.

Ainsi pour les partis de la gauche institutionnelle, les paroles sur la nécessité de rompre avec la folie capitaliste comme les appels à la mobilisation sociale n’aboutissent d’une façon ou d’une autre qu’à la seule perspective de constituer un bon gouvernement de gauche, doté d’un bon programme qui, aussi radical qu’il se prétende, se réduit à une liste de promesses posées sur le terrain institutionnel, hors du rapport de force entre les classes, à mettre en place à coup de pétitions ou de votes majoritaires à l’Assemblé Nationale… éternel jeu de dupes institutionnel et électoral qui ne peut qu’enfermer la révolte du monde du travail et de la jeunesse dans une impasse.

Face à tous ceux qui veulent nous imposer au nom de la « sobriété » de nouveaux sacrifices pour continuer à garantir les profits de quelques multinationales, au risque de plonger l’ensemble de l’humanité dans le chaos, il n’y a pas d’issue dans le cadre de ces institutions taillées sur mesure par et pour les classes dominantes. Pas d’autres solutions que de contester le « droit » que les classes dominantes, cette poignée de parasites, s’est arrogé, de soumettre l’ensemble de la vie sociale à leurs seuls intérêts, à tout sacrifier à la course effrénée aux profits.

Tourner le dos à ces illusions institutionnelles est indispensable pour comprendre et tirer toutes les conséquences des raisons profondes de la faillite globale actuelle du capitalisme financier, qui plonge la société dans une régression sociale et politique mondiale, dans un état de crise permanente aux multiples aspects, économiques, sanitaires, écologiques, démocratiques.

Face aux catastrophes en cours, prendre le contrôle de la marche de la société pour planifier la production des biens utiles

Comme l’ont souligné plusieurs scientifiques du climat, l’été 2022, avec son enchaînement de catastrophes est un avant-goût de ce qui va se passer dans les prochaines décennies, avec des événements climatiques extrêmes plus intenses et plus fréquents. « Un été comme celui qu'on connaît aujourd'hui sera un été moyen des années 2040 » prévient le climatologue Jean Jouzet.

Le système capitaliste est non seulement responsable de l’accélération et de l’ampleur prises par le réchauffement climatique qui menace l’avenir même de l’humanité mais il est aussi le principal obstacle pour y faire face, y compris dans la gestion de crise, quand il s’agit de se protéger de ses effets catastrophiques les plus immédiats.

Si l’ampleur des incendies est la conséquence de la combinaison de la sécheresse et de la canicule provoquées par ce réchauffement, elle est aussi la conséquence de toutes les politiques de démantèlement des services publics que ce soit l’ONF chargée de la gestion publique des forêts, Météo France ou les pompiers qui dénoncent depuis des années leur manque de moyens humains comme en matériel, du camion-citerne aux moyens aériens...

Il est désormais inévitable que les évènements catastrophiques, incendies, inondations, orages mais aussi pandémie se multiplient. S’il n’est plus possible de l’empêcher, il faudrait au moins l’anticiper, s’y préparer, s’y adapter en mobilisant les moyens matériels et humains suffisants pour être capables de protéger les populations.

Mais, à cause de leur soumission aux intérêts des classes dominantes et à cette logique absurde d’accumulation sans fin et sans limite du capital, les gouvernements et les États sont bien incapables de mettre en œuvre la moindre politique répondant à l’intérêt général que ce soit pour limiter l’ampleur du réchauffement climatique ou pour gérer dans l’urgence les situations catastrophiques qu’il entraîne.

Même si l’enjeu écologique semble universel, les Etats n’ont jamais pris de décisions politiques à la hauteur des recommandations des scientifiques, car cela impliquerait de s’en prendre aux intérêts des multinationales dont ils servent les intérêts. Tout au contraire, les conférences pour le climat qui se succèdent depuis une trentaine d’années comme la « planification écologique » de Macron ou le « green New Deal » de l’UE, n’ont servi et ne serviront à rien d’autre qu’à défendre les intérêts de ces multinationales en faisant la promotion d’un capitalisme « vert » pour leur permettre, à grands renforts de fonds publics, de continuer à faire du profit en exploitant les populations, en pillant les richesses naturelles, en ravageant l’environnement.

C’est pour cela que la situation ne peut qu’empirer et le réchauffement s’accélérer… Pour ne prendre qu’un exemple de ce double langage des multinationales et des Etats à leur service, en trente ans, la part des énergies fossiles dans le « mix énergétique » mondial n’a baissé que de 4 % (86 % en 1992, 82 % en 2021). Les énergies renouvelables ne remplacent pas les énergies fossiles : elles s’y ajoutent permettant aux mêmes multinationales de faire du profit sur les deux tableaux, avec les énergies fossiles sur lesquelles elles spéculent aujourd’hui provoquant la hausse des prix de l’énergie comme avec les énergies renouvelables en bénéficiant des aides de l’Etat au nom de la « transition énergétique ». La conséquence est que les concentrations dans l’atmosphère des gaz à effet de serre ont atteint des niveaux records en 2021, tout comme la hausse du niveau des océans, selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA).

La crise écologique, sous ses multiples aspects, réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, pollution de l’eau, de l’air, des sols est une manifestation du caractère spécifique, global de la crise actuelle du capitalisme, de la faillite historique d'un système et de l’impasse que constituent aujourd’hui les Etats et les institutions qui le défendent.

Comprendre les causes profondes de la crise écologique, c’est prendre conscience que face aux catastrophes annoncées, mobiliser tous les moyens humains, scientifiques, techniques pour mettre en œuvre les solutions à la hauteur des enjeux implique d’affronter les intérêts sociaux et politiques des classes dominantes, d’une poignée de multinationales et de leurs actionnaires, de remettre en cause la propriété capitaliste.

L’impasse de la situation actuelle est aussi porteuse d’espoir car elle ne peut qu’entraîner la généralisation des révoltes qui éclatent déjà à travers le monde, c’est cette révolte qui est porteuse de la rupture possible et nécessaire avec le capitalisme en toute indépendance de ses institutions. Ce n’est qu’en rupture avec l’ordre social actuel, en prenant directement, collectivement le contrôle de la marche de la société pour imposer d’autres choix sociaux qui fassent passer la défense des intérêts du plus grand nombre et la préservation de l’environnement avant ceux d’une minorité, que l’ensemble de la production et des échanges pourra être réorganisé dans le cadre d’une planification démocratique au service de la satisfaction des besoins de tous.

Bruno Bajou

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