La guerre barbare et réactionnaire déclenchée par Poutine contre l’Ukraine s’inscrit dans un tournant politique majeur dans la situation internationale, en Europe et ici qui bouscule pour les années à venir les conditions dans lesquelles les travailleurs, les militants du mouvement ouvrier mèneront leur combat.

C’est pourquoi cette discussion est plus que nécessaire, et il est indispensable de s’affranchir de tout ultimatisme qui au nom d’un prétendu anticampisme voudrait disqualifier les positions qui ne cadreraient pas avec un nouveau type de... campisme.

Je fais partie d’un courant politique qui n’a jamais sacrifié au campisme de la lutte anti-impérialiste pour toujours se définir par rapports aux intérêts de notre camp social et politique, notre camp de classe, le seul à même de défendre les droits démocratiques dont le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Au nom de la solidarité avec la population ukrainienne face à la guerre meurtrière de Poutine, il faudrait se rallier à la guerre dite de libération nationale. En France, Macron exhorte la population à payer le « prix de notre liberté et de nos valeurs », Biden et l’Otan usent de cette même propagande de la guerre pour la liberté, pour la démocratie, pour afficher leurs objectifs, construire un nouvel ordre mondial…

Notre solidarité avec la population ukrainienne, avec sa mobilisation pour résister à l’invasion décidée par Poutine va de soi, elle est évidente pour nous tous aussi, faut-il le rappeler, avec les populations de Russie. La discussion commence après.

Invoquer un nouvel « impérialisme » pour faire de cette guerre une guerre « anti-impérialiste » et de libération nationale, c’est s’aveugler sur les mécanismes qui ont conduit à la guerre et sur ses enjeux.

C’est oublier que les fauteurs de militarisme et de guerre les plus importants dans le monde et, on le verra, aussi en Ukraine, sont les vieilles puissances impérialistes rassemblées dans l’Otan, les USA et leurs alliés, dont la France et les autres pays européens.

Dire cela ne justifie en rien la guerre barbare déclenchée par Poutine contre l’Ukraine, est-il besoin de le dire, mais souligne le fait que les intérêts des travailleurs et des populations ukrainiens et russes sont incompatibles avec aussi bien ceux de Poutine et des capitalistes russes, qu’avec ceux des Etats-Unis et de l’Otan qui mènent leur guerre par procuration en faisant des Ukrainiens leurs supplétifs.

Au-delà de la barbare agression de Poutine, les responsabilités de l’Otan

Six mois après le début de l’offensive russe, alors que les manœuvres diplomatiques et militaires se sont multipliées et que la question de Taïwan et de la Chine a été brutalement posée par la visite toute récente de Nancy Pelosi à Taïwan, tout le monde voit bien que la guerre en Ukraine n’est pas qu’une guerre locale.

La brutalité et le cynisme de l'agression russe ont pu aveugler mais l’offensive militariste déclenchée à la faveur de cette guerre par les USA et leurs alliés européens, par l’Otan, l’UE, éclaire leur rôle. La guerre n’est pas la seule conséquence de la folie grand russe de Poutine, les USA et leurs alliés portent une lourde responsabilité tant dans son mûrissement que dans son déclenchement ou sa poursuite.

Fin juin l’Otan et ses 30 Etats membres ont adopté un nouveau concept stratégique qui désigne la Russie comme la première menace pour la sécurité en Europe. Mais cela fait longtemps que l’Otan se renforce face à la Russie au risque calculé de la pousser à la guerre. Elle a intégré 12 Etats de l’ancien bloc de l’Est de 1999 à 2009. Les Etats-Unis et le Royaume Uni forment et arment des soldats ukrainiens depuis 2014. Et aujourd’hui les USA et leurs alliés, l’Otan, profitent de la guerre pour renforcer les budgets militaires et les déploiements de troupes et de matériels partout en Europe. Le gouvernement allemand a décidé 100 milliards de dépenses militaires, en rupture avec les dernières décennies, les USA ont voté pour un budget militaire de plus de 800 milliards de dollars en 2023, l’Otan a porté le nombre de soldats mobilisables en Europe de l’Est à 300 000.

Le militarisme et la guerre consubstantiels d’un capitalisme à bout de souffle

Cette montée du militarisme et de la guerre qui se manifeste sur toute la planète et dont la guerre en Ukraine constitue une étape déterminante, est la conséquence de l’essoufflement du système capitaliste, des difficultés de plus en plus grandes des capitalistes à dégager suffisamment de profits pour valoriser les énormes masses de capitaux avides de plus-value. La concurrence exacerbée par les crises entraîne une recherche effrénée de nouvelles sources de matières premières, de travail humain à exploiter.

La première puissance mondiale, les Etats-Unis, jouent un rôle essentiel dans cette évolution qui s'inscrit dans la continuité de l'offensive de la mondialisation capitaliste engagée à la fin des années 1970 pour faire remonter les taux de profit, qui a débouché sur la liquidation par la bureaucratie elle-même de l’URSS et son intégration au capitalisme mondialisé, tout comme tous les anciens pays coloniaux, la Chine…

Après avoir réussi à rétablir les profits en ouvrant l’ensemble du monde dont la Chine à leurs capitaux, les USA se heurtent à l’essoufflement du système, dont la crise de 2008 a été l’expression, à la nécessité vitale de trouver de nouvelles sources de profits, dans le contexte de l’émergence de nouvelles puissances.

Ils ne se contentent pas de défendre leur hégémonie, la logique même de l’accumulation du capital leur impose de conquérir de nouveaux marchés, de nouvelles sources d’approvisionnement, énergie et matières premières pour valoriser les capitaux. Il leur faut soumettre l'ensemble de l'économie mondiale et l’ensemble des Etats à leurs besoins au prix de la ruine de l'humanité et de la planète.

Après l’échec de leurs interventions militaires en Irak et en Afghanistan, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est pour les Etats-Unis l’occasion d’un redéploiement militaire par le biais de l’Otan en Europe, une offensive pour soumettre leurs alliés dont les Etats européens à leur politique.

Le militarisme et la guerre, béquilles du capitalisme russe et de son Etat

Le militarisme grand russe de Poutine, dans la continuité de l’URSS stalinienne, ses exactions guerrières sont aussi le résultat de l’évolution qu’a connue le pays depuis l’effondrement de l’URSS. Le rétablissement du capitalisme a débouché dans les années 90 sur une catastrophe économique et sociale, la population a payé d’un prix terrible cette « thérapie de choc » qui a abouti à la domination sur l’économie et la politique de quelques oligarques.

Lorsqu’il remplace Eltsine en 1999 après la crise financière de 1998, Poutine réorganise l’État russe, met les oligarques au pas, reconstitue l’appareil militaro-industriel en procédant même à quelques renationalisations. La reprise en main de l’État et de l’économie par Poutine ne contrarie pas l’intégration de la Russie dans le marché mondial et le capitalisme pour peu qu’il garde le contrôle des oligarques et impose son pouvoir dictatorial aux travailleurs et à la population. En 2011 la Russie adhère à l’OMC.

Après un rétablissement économique dans les premières années 2000, l’économie russe a subi les contrecoups de la crise de 2008. La Russie mobilise d’autant plus ses capacités militaires que ses performances économiques se détériorent. Les dépenses d’armement destinées à l’armée russe se montent à 4 % du PIB, au même niveau de pourcentage du PIB qu’aux USA.

Le nouvel ordre mondial américain contre la Chine, une menace pour l’humanité

La guerre en Ukraine constitue un tournant pour l’avenir du monde, à l’heure où la conjonction des crises, économique et sociale, politique, écologique prend des dimensions catastrophiques et où le militarisme et la guerre s’imposent partout dans le monde.

Pour les Etats-Unis, il s’agit comme ils l’ont déjà annoncé d’en finir avec les prétentions militaires de la Russie et de se renforcer dans l’affrontement déjà existant avec la Chine, devenue depuis 2008 la 2ème puissance économique mondiale.

Leur supériorité militaire est écrasante. Leurs dépenses militaires représentent 40 % des dépenses militaires mondiales, plus que le total cumulé des 9 pays suivants. Ils disposent de près de 800 bases militaires réparties dans plus de 70 pays. L’Administration Biden annonce une augmentation jamais vue du budget militaire qui atteindra 813 milliards de dollars en 2023.

Il ne fait aucun doute que le nouvel ordre mondial que les Etats-Unis disent vouloir construire est dirigé contre la Chine qui est pour eux la principale menace géopolitique et économique. La guerre commerciale, économique, diplomatique est permanente et multiforme sans déboucher à court terme sur un affrontement ouvert. La mondialisation se réorganise en suivant les contours des alliances diplomatiques et militaires, une « mondialisation entre amis » comme le dit Janet Yellen, la secrétaire d’État au Trésor du gouvernement américain. Les travailleurs sont la chair à canon de cette nouvelle guerre multiforme, composante essentielle de la politique d’accumulation du capital.

La lutte pour le droit des peuples et la paix indissociable de la lutte pour le socialisme

C’est pourquoi il est totalement illusoire d’attendre de la guerre menée par Zelensky pour le compte des USA et de leurs alliés une indépendance démocratique des peuples d’Ukraine. Comme il est illusoire de demander aux Etats une politique de désarmement. La lutte contre le militarisme et la guerre, pour la paix et le droit des peuples est indissociable de la lutte contre l’exploitation capitaliste et ses ravages tant économiques et sociaux qu’écologiques et climatiques.

La seule voie, aussi difficile soit-elle, qui ouvre une issue positive dépend de l’intervention des travailleurs et des peuples pour défendre leurs droits sociaux et démocratiques, la paix, contre les dirigeants de ce monde et leurs serviteurs en rupture avec toute forme de nationalisme.

Nous ne sommes pas en mesure de formuler la politique qui permettrait la fraternisation entre les classes opprimées, les travailleurs d’Ukraine et de Russie, nous n’en avons pas la prétention mais nous devons défendre la seule politique qui pourra mettre un terme à la guerre, une politique internationaliste, une politique d’indépendance de classe qui dénonce les justifications prétendument démocratiques des vieilles puissances impérialistes, leur mensonge sur le droit des peuples.

Oui, l’ennemi est dans notre propre pays, c’est notre bourgeoise et son Etat, son gouvernement qui voudrait construire une union nationale pour nous faire payer le prix de leurs profits, de leur droit à participer au pillage de la planète.

Cette guerre participe de l’accélération de la décomposition du capitalisme mondial, dans lequel le militarisme est le complément de la concurrence mondialisée accentuée par l’essoufflement du capitalisme sénile. Les USA et leurs alliés sont poussés, contraints par la logique de l’accumulation du capital à ouvrir pour leurs capitaux de nouveaux marchés, à développer l’économie de guerre, à prendre le risque d’une guerre nucléaire dans leur volonté de plier les puissances montantes la Russie, la Chine, L’Inde, le Brésil à leur politique.

C’est dans le capitalisme lui-même que le militarisme et la guerre trouvent leur moteur, c’est pourquoi la lutte contre la guerre, pour la paix est indissociable de la lutte pour le socialisme.

Trame de l’intervention de Galia Trépère à l’université d’été du NPA

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