« Le droit à l’avortement, on s’est battu pour le gagner, on se battra pour le garder », « Solidarité avec les femmes du monde entier », « De New York à Paris, avortement libre et gratuit ! », des milliers de jeunes, de femmes et hommes de toutes générations ont manifesté ce samedi dans le pays, en écho et solidarité avec les mobilisations aux USA depuis plus d’une semaine.

Le 24 juin, la Cour suprême américaine, à majorité ultraconservatrice depuis la nomination par Trump de 3 juges anti-IVG, abrogeait l’arrêt Roe v. Wade. Cet arrêt de 1973, obtenu après de larges mobilisations, garantissait depuis 50 ans le droit à l’avortement sur tout le territoire des USA même si les embuches restaient nombreuses pour beaucoup de femmes.

C’est un profond recul qui frappe en premier lieu les plus démunies, en particulier les afro-américaines et latino-américaines (la moitié des femmes qui souhaitent avorter vivent sous le seuil de pauvreté) et c’est un signal lancé aux réactionnaires du monde entier, un avertissement à toutes les femmes et tou.tes les opprimé.es.

Depuis des années, tout ce que les USA comptent de réactionnaires et d’églises s’est mobilisé contre ce droit fondamental, ne reculant devant aucune méthode, de l’obligation faite dans certains Etats aux femmes voulant avorter d’écouter les battements du cœur du fœtus aux interventions musclées devant les cliniques pratiquant des IVG et jusqu’à l’assassinat de médecins. Dans 6 Etats, un seul établissement pratiquait des IVG !

Dès l’abrogation de l’arrêt, huit États ont déclaré tout avortement illégal. Le Missouri a été le premier avec une interdiction totale, y compris en cas de viol ou d’inceste. Dans le Kentucky, le Dakota du Sud, la Louisiane, l’avortement est immédiatement devenu un crime en vertu de lois adoptées par anticipation entre 2005 et 2019. Dans dix autres Etats, des lois identiques s’appliqueront dans un délai d’un mois. Dans d’autres, des lois extrêmement restrictives, antérieures à l’arrêt Roe v. Wade et jamais abrogées depuis 50 ans, s’appliquent à nouveau automatiquement. L’avortement risque ainsi d’être interdit à court terme dans la moitié des Etats, en particulier ceux du Sud et du Midwest. Un quart des 800 établissements qui pratiquaient jusqu’alors légalement des IVG sont menacés. Même les pilules abortives, qui peuvent être prescrites en téléconsultation avec l’accord de l’agence américaine des médicaments, sont remises en cause.

Pour des dizaines de millions de femmes et d’adolescentes américaines, c’est une régression aux conséquences dramatiques et immédiates. Des centaines de milliers d’avortements ne pourront plus être pratiqués que de façon clandestine, pour celles qui parviendront à y avoir accès, avec les risques que cela comporte. Face à cet immense recul, condamné par 67 % des femmes américaines, les manifestations se sont multipliées dans de nombreuses villes et la solidarité s’organise. Des réseaux de femmes se mobilisent pour ouvrir des centres de planning à proximité des frontières des Etats concernés, pour lever des fonds pour aider celles qui devront désormais faire des centaines ou milliers de kilomètres pour avorter. De l’autre côté de la frontière, au Mexique, des féministes s’organisent pour aider les femmes des États du sud des USA à continuer à avoir accès à l’IVG par-delà les frontières en organisant des livraisons clandestines de pilules abortives, et certaines mettent en place des « maisons d’accueil » côté mexicain… « C’est le monde à l’envers ! On croyait que le voisin américain était plus libéral que nous. Beaucoup de Mexicaines allaient même avorter là-bas. Les cliniques ferment maintenant aux États-Unis » dénonce une militante mexicaine.

La première puissance mondiale a désormais rejoint les pays les plus rétrogrades en matière d’avortement, révélant toute la violence de la domination capitaliste. Celle-ci ne peut se maintenir qu’en intensifiant l’exploitation et en s’en prenant aux droits démocratiques, au prix d’une brutale offensive réactionnaire qui secrète l’arriération la plus crasse. La veille de l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade, la même Cour suprême américaine avait ouvert la voie à un nouvel assouplissement de la législation sur le port d’armes en cassant une loi restrictive de l’État de New York, alors même que les mobilisations se sont multipliées face à une nouvelle vague de fusillades meurtrières. Une actualité également marquée par les témoignages produits par la commission d’enquête sur l’assaut du Capitole... qui éclairent s’il le fallait la réalité de la « démocratie » américaine, bien au-delà du personnage de l’homme d’affaires et ex-président Trump qui peut toujours compter sur nombre d’alliés et soutiens.

Gesticulations et jeu politiciens

Les gesticulations d’un Biden, par ailleurs fervent catholique, déplorant « une erreur tragique » et appelant à manifester « pacifiquement […] dans les urnes » lors des élections de mi-mandat… révèlent l’impuissance et l’hypocrisie des « Démocrates » qui partagent avec les Républicains la gestion des affaires des classes dominantes dans des institutions taillées sur mesure, là comme ailleurs, pour veiller à la stabilité de leur système.

D’un bout à l’autre de la planète, et en premier lieu dans le cœur battant du capitalisme mondialisé financiarisé, les classes dominantes redoutent les révoltes que leur fuite en avant ne peut manquer de provoquer. C’est cette trouille qui guide leur offensive réactionnaire, dont les femmes sont parmi les premières victimes. Les femmes dont la liberté, l’abnégation, la détermination redoublent la peur des dominants.

C’est cette peur qui pousse les dirigeants internationaux à rivaliser d’indignation et de déclarations enflammées, de Trudeau au Canada parlant de nouvelle « horrible » à Elisabeth Borne d’« un jour sombre pour les droits des femmes » et qui a amené l’État de New York à annoncer ce week-end vouloir inscrire le droit à l’avortement dans sa constitution.

En France, la présidente du groupe LREM à l’Assemblée, Aurore Bergé, a annoncé la semaine dernière le dépôt d’une proposition de loi pour inscrire « le respect de l’IVG » dans la Constitution. Nupes a en suivant invité « tous les députés hors RN » à cosigner une proposition de loi constitutionnelle dans le même sens… ne craignant pas de s’adresser, principe « républicain » oblige, aux Ciotti et autres féministes et progressistes amis des Darmanin, Abad et consorts du camp LR et Ensemble ! Des élus Nupes d’autant moins regardant que dans la précédente mandature 100 élus LREM avaient voté contre de tels amendements dont Attal, aujourd’hui ministre du Budget ou Olivia Grégoire, porte-parole du gouvernement. Yaël Braun-Pivet, actuelle présidente de l’Assemblée, reprochait alors de « brandir des peurs fondées sur la situation [...] dans d’autres pays ». Cynisme et démagogie sont par nature à géométrie variable…

Quant au RN, si Le Pen n’écartait pas la semaine dernière de voter une telle loi, elle dénonçait quelques jours plus tard une « diversion politique ». En 2012, la même défendait le déremboursement de l’IVG et dénonçait ce qu’elle appelait les « avortements de confort ». En 2016, sa nièce appelait à supprimer les subventions au planning familial. Quant au groupe RN à l’Assemblée, on y trouve de beaux spécimens antiavortement, tels Christophe Bentz comparant l’IVG à un « génocide de masse », Caroline Parmentier, proche conseillère de Marine Le Pen et journaliste au journal national-catholique Présent, auteure de pamphlets contre l’IVG, ou Hervé de Lépinau, militant catholique pro-vie, qui a toujours combattu la loi Veil et dénoncé une « culture de mort »… Trois autres membres du groupe, ex eurodéputé.es, votaient il y a à peine un an contre une résolution visant à « garantir l’accès universel à un avortement sûr et légal » en Europe. « La ligne du mouvement est très claire : nous n’avons jamais remis en cause l’accès à l’IVG » résumait Le Pen à France info mercredi !

Un combat international des femmes pour leur émancipation et celle de toute la société

Ce samedi, dans les manifestations, si certaines organisations appelaient à soutenir l’inscription de l’IVG dans la Constitution, nombre de femmes, de jeunes tenaient à prendre clairement leurs distances et dénonçaient les différentes tentatives de récupération institutionnelle.

Le droit à disposer de son corps, de choisir ou non de faire des enfants « si je veux, quand je veux » a été arraché par les luttes des femmes elles-mêmes, comme chacun de leurs droits démocratiques.

La légalisation de l’IVG, portée à l’Assemblée en 1974 par une ministre de droite du gouvernement Giscard, Simone Veil, est le fruit du combat acharné de dizaines de milliers de femmes. Le « manifeste des 343 salopes » qui déclaraient publiquement en 1971 avoir avorté illégalement, mettant leur notoriété d’avocates, écrivaines, auteures, actrices, militantes… au service de ce combat lui avait donné de l’écho. Les années 1960 avaient été des années de profonde contestation portant l’aspiration de centaines de milliers de jeunes et moins jeunes femmes et hommes à des relations humaines et sexuelles libérées de la crainte de tomber enceinte, de la morale religieuse et réactionnaire qui glorifiait la famille et la soumission des femmes. Ce combat féministe était partie prenante d’une lutte plus large pour l’émancipation, contre l’exploitation et toutes les oppressions, en particulier aux USA le mouvement noir, une lutte globale dont Mai 68 allait être un moment déterminant.

Le combat contre l’oppression des femmes, contre le machisme et le patriarcat est indissociable du combat contre le capitalisme qui instrumentalise les oppressions et les préjugés qui les « légitiment ». Ce combat ne peut se mener qu’en totale indépendance des institutions dont la fonction est au contraire la stabilité de cette société.

Il y a 200 ans, Charles Fourier, précurseur du mouvement socialiste, écrivait « dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale ». Rosa Luxembourg le rappelait cent ans plus tard « La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir ». Toute l’histoire du mouvement ouvrier l’atteste : les mouvements d’émancipation, les luttes démocratiques et sociales, ouvrières, ont toujours trouvé des femmes aux avant-postes aux côtés des hommes. C’est dans les périodes de profonds bouleversements où la classe ouvrière était à l’offensive que les droits des femmes ont réellement avancé.

Depuis des années, les réactionnaires de tous continents et de toutes religions sont à l’offensive. Le pape comparait il y a quelques années le recours à l’avortement à celui de « tueurs à gage », parlant d’« eugénisme en gants blancs »… Partout, des réseaux lobbyistes pro-life puissants sont en croisade contre le droit à l’IVG, glorifiant la famille et la femme au foyer. La décision de la Cour suprême US est un formidable appel d’air pour tous les réactionnaires.

Mais l’électrochoc qu’il a produit entraîne en miroir des prises de conscience accélérées. Nombre de jeunes femmes, d’adolescentes et de leurs compagnons et amis, aux USA comme partout dans le monde, s’éveillent à la lutte pour leurs droits, leur vie, leur avenir. C’est aussi une nouvelle étape pour un mouvement féministe en profonde transformation, jeune, internationaliste, radical dans le sens où il lui faut revenir à la racine des choses pour comprendre et agir. Les nouvelles générations sont émancipées par la force des choses de nombre des illusions institutionnelles tant la brutalité de la marche du capitalisme leur laisse peu de place. Elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, leur détermination, les solidarités entre opprimé.es pour changer les choses, transformer l’opinion, imposer les droits fondamentaux de toutes et tous, et contester l’ordre failli, rétrograde du capitalisme qui répand la guerre et l’arriération, pour construire par les luttes et en leur sein une société de coopération et de respect, affranchie de toutes les relations de domination.

Isabelle Ufferte

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