Macron l’a emporté, selon les estimations, avec 58,2 % contre Le Pen 41,8 %, score jamais atteint jusque-là par l'extrême droite, et une abstention entre 28 et 29 %, un record depuis 1969, sans trop de surprise même si « l’accident démocratique » était possible, issue la plus probable d’une élection dont tout a concouru à souligner le caractère antidémocratique. La machine a fini laborieusement par désigner celui qui, dans les années à venir, présidera à la gestion des affaires des milliardaires, des classes dominantes en répondant à leurs vœux, d’abord et avant tout la stabilité dans ce monde instable pour pouvoir au mieux ou au moins mal continuer leur business. Le débat entre les deux candidats de la bourgeoisie a poursuivi ce qu’il est convenu d’appeler la banalisation de Le Pen, c’est à dire la banalisation de ses préjugés réactionnaires dont Macron est le principal responsable et de par sa politique et de par sa campagne. En contribuant, avec courtoisie, à cette banalisation il reconnaît lui-même, reprend à son compte ses préjugés réactionnaires pour discuter de façon apolitique avec Le Pen de qui est le mieux à même de gérer les affaires des milliardaires en trompant le bon peuple. Il a introduit ainsi l’étape suivante de sa campagne : après avoir attiré à lui les gogos des sommets des partis de gauche pris de peur devant ce qu’ils ont eux-mêmes contribué à enfanter, bâtir pour les législatives un mouvement d’union nationale autour de lui ouvert non seulement à la droite mais aussi à l’extrême droite contre Zemmour et son union des droites. Le Pen éliminée, il affrontera l’extrême droite en portant ses habits neufs du président respectueux de... Le Pen… Jeux de rôles politiciens animés par des ambitions rivales toutes hostiles et arrogantes à l’égard du monde du travail.

Il n’avait pas été démontré depuis longtemps de façon aussi évidente à quel point la machine électorale bourgeoise est une machine à dominer les esprits, les aliéner aux préoccupations des classes dominantes et de leurs serviteurs politiciens, journalistes, idéologues. Et il n’a pas manqué d’esprits démocratiques pour tenter de nous ramener dans le droit chemin des urnes sous couvert d’éviter le pire, en fait le plus sûr moyen de désarmer le monde du travail.

Toutes celles et ceux qui se sont détournés de cette mascarade par l’abstention, voire le vote blanc ont eu raison. Pour le monde du travail, la seule politique était de délégitimer et les protagonistes et les institutions pour se préparer à agir en fonction de ses propres intérêts, de ceux de l’ensemble de la société quel que soit le vainqueur.

L’élection de Macron n’est en rien un soulagement. Il faudrait être aveugle pour être soulagé de voir la catastrophe mûrir, à son rythme, dans sa logique, inexorable si nos cerveaux ne se libèrent pas du cadre de pensée institutionnel rodé à embrigader et soumettre les exploités.

Depuis des semaines et des semaines le monde dit intellectuel intégré au système, à la bourgeoisie déploie mille et un arguties pour nous convaincre que notre sort est entre nos mains grâce au bulletin de vote sans oublier de faire la morale aux travailleurs qui seraient, d’une certaine façon, un peu coupables et responsables de la situation ! Et aujourd’hui, grâce à ce bulletin de vote, les électeurs auraient barré la route au fascisme !

Illusions aveugles dont seul nous sauve le fait que le fascisme n’est encore qu’un fantasme dans les cerveaux d’une gauche sans force ni politique même si la montée de l’extrême droite constitue une menace bien réelle qui ne peut se combattre que par la méthode de la lutte de classe.

Barrer la route à l’extrême droite, c’est mettre fin à l’offensive réactionnaire de Macron

Oui, aujourd’hui l’agent le plus menaçant de l’offensive réactionnaire des classes dominantes est bien Macron qui mettra en œuvre sa politique en s’appuyant sur les préjugés dont l’extrême droite fait son beurre et que lui-même contribue à banaliser. Il s’en servira en fonction des besoins de sa politique, des rapports de force, de l’évolution de l’opinion et surtout, d’abord et avant tout, des besoins de ses commanditaires en fonction de l’évolution de la guerre militaire, mais aussi sociale et économique.

Pendant longtemps, les antifascistes ont présenté le Front national de Le Pen comme un parti qui n’était pas un parti comme les autres, ce qui ne pouvait avoir qu’un sens, le désigner comme un parti antiparlementaire que l’ensemble des partis parlementaires devaient rejeter. Ce raisonnement justifiait la politique de front républicain pour faire barrage aux fascistes et le soutien des antifascistes à ce front. Si jusqu’à aujourd’hui ce raisonnement a pu correspondre à une certaine réalité, ce n’est pas à cause de « l’ADN fasciste » du FN mais bien parce que celui-ci s’inscrivait dans une continuité de la droite pétainiste dont De Gaulle était l’ennemi, et qu’il était l’enfant de l’OAS, du putsch des généraux durant la guerre d’Algérie, de ceux qui avaient tenté d’assassiner De Gaulle, et que la droite gaulliste rejetait.

Trois phénomènes ont permis l’intégration du FN devenu RN dans le jeu politique national parlementaire. Le premier est la mondialisation financière et l’accentuation dramatique de la crise du capitalisme. Le second est, de reniement en reniement, l’effondrement de la gauche combiné au discrédit des vieux partis institutionnels. Le troisième est, en conséquence, l’émergence de tendances populistes, bonapartistes dont Macron, Le Pen et Mélenchon ont été le produit, que Macron va tenter de renforcer pour son propre compte.

Cette intégration ne signifie nullement la banalisation des menaces que représente l’idéologie d’extrême droite, raciste et xénophobe que porte Le Pen. Bien au contraire, elle signifie que ces menaces sont les conséquences globales de l’évolution des rapports entre les classes, qu’elles ne sont pas un mal tombé du ciel mais s’inscrivent dans un ensemble d’évolutions sociales et politiques qu’il faut comprendre pour les combattre.

L’arrivée de Le Pen à la tête de l’État aurait signifié une accélération et une radicalisation des tendances réactionnaires, racistes, xénophobes déjà à l’œuvre initiées par tous les gouvernements de gauche ou de droite. Elle aurait encouragé, voire directement aidé les groupuscules fascistes toujours prêts aux agressions contre le mouvement ouvrier, les immigrés, des milices racistes multipliant les agressions avec le soutien de la police gangrenée par l’extrême droite tout comme l’armée. Mais le fait que Le Pen ait perdu les élections ne nous protège en rien de ces dangers, cette accélération sera l’œuvre de Macron si nécessaire et l’appareil d’État aura les mêmes complaisances à l’égard des milices d’extrême-droite.

Prétendre que le vote Macron pouvait nous protéger de quoi que ce soit est une duperie. Le bulletin de vote peut être utile dans la lutte contre le système à condition qu’il nous serve à exprimer nos idées, à construire un rapport de force politique, à armer les consciences et à donner confiance...

Du vote utile à la cynique farce parlementaire

Pour préparer la suite, nous avons besoin de pousser le raisonnement jusqu’au bout. Les forces du monde du travail, de la jeunesse, des femmes sont potentiellement pleines de vigueur et d’avenir, elles n’ont nul besoin de postulant sauveur suprême ! Elles ont besoin de prendre conscience d’elles-mêmes et confiance en elles-mêmes et pour cela de dégager leurs pensées des logiques parlementaires, du vote utile, de la domination des politiciens qui voudraient leur vendre l’illusion que ce seraient d’eux que dépend leur avenir.

« Je demande aux Français de m'élire Premier ministre. (...) J'appelle tous ceux qui veulent rejoindre l'Union populaire à nous rejoindre pour cette belle bataille » a déclaré Mélenchon dès le mardi 19 avril avant même le résultat du deuxième tour ! Emporté dans son élan, il a ajouté, « Je serai le Premier ministre pas par la faveur ou la grâce de monsieur Macron ou madame Le Pen, mais parce que les Français l'auront voulu. »

« Si je ne me bats pas pour cette victoire, qu'est-ce que je fais ? Je ne veux pas que Marine Le Pen prenne le pays, et je ne veux pas qu'Emmanuel Macron garde le pouvoir. Je résous cette contradiction en disant 'Il y a un troisième tour'. »

Et dans la foulée, de s’adresser aux partis de gauche en vue de ces législatives des 12 et 19 juin prochain dans un courrier envoyé à EELV, au PC et au NPA. Le PS aurait été écarté mais cela n’empêche pas les discussions… Il propose un label commun, une répartition des candidatures proportionnelle aux scores du premier tour de l’élection présidentielle pour constituer une majorité de gouvernement qui imposerait Mélenchon au poste de Premier ministre.

Le comble de l’aveuglement parlementariste est bien de croire qu’une cohabitation permettrait d’empêcher Macron en l’occurrence, mais aussi Le Pen si elle avait été élue, de mener l’offensive réactionnaire contre la population laborieuse. Une imposture d’autant plus cynique que c’est bien la cohabitation droite-gauche d’abord sous Mitterrand puis sous Chirac qui a impulsé et nourri le développement du Front national. Cohabitation que Mélenchon connaît bien puisqu’il a participé en tant que ministre à la troisième de 1997-2002, Chirac-Jospin, cohabitation qui s’est conclue par la présence, pour la première fois, de Le Pen au second tour.

Si les élections législatives à venir peuvent avoir un intérêt, c’est bien au contraire pour servir de tribune pour combattre les illusions du vote utile et donner confiance aux travailleurs, aux jeunes qui se révoltent contre le système, les aider à s’organiser pour se préparer à l’affrontement qui mûrit sans mettre un doigt, aussi petit soit-il, dans les manœuvres parlementaires pour constituer une majorité de gouvernement !

Changer le rapport de force entre les classes, une stratégie et un programme pour les luttes et la conquête du pouvoir

L’alarmisme antifasciste après avoir ouvert la porte au vote Macron débouche maintenant sur le troisième tour électoral. La politique du votez pour moi, ça vous évitera les grèves et les manifestations jusqu’à la lie. Le plus court chemin pour accélérer la montée de l’extrême droite.

Pour le camp des travailleurs, la réponse est simple, la seule politique est de dire sans la moindre ambiguïté que pour gouverner au service de la population laborieuse, pour construire un autre monde, il est indispensable non seulement de contester le régime présidentiel, ses institutions antidémocratiques mais et surtout d’en appeler à la mobilisation des travailleurs et des jeunes pour leurs revendications, leurs exigences et imposer leur gouvernement, un gouvernement des travailleur.se.s et de la population pour remettre en cause la domination de l’oligarchie financière, prendre le contrôle de l’économie afin de satisfaire aux exigences sociales, écologiques, sanitaires, démocratiques de la population.

Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, nous organiser par nous-mêmes, nous donner un parti démocratique et révolutionnaire instrument pour mener notre propre politique de classe et faire prévaloir nos aspirations.

C’est pourquoi l’activité essentielle du mouvement révolutionnaire, en dégageant les enseignements de la campagne présidentielle, doit être, en perspective des législatives comme dans notre activité quotidienne, un travail d’agitation politique unifié pour défendre et illustrer, mettre en œuvre une stratégie et un programme pour la transformation révolutionnaire de la société en rupture avec les manœuvres et jeux parlementaires.

Yvan Lemaitre

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