« Tous les candidats à la présidentielle parlent d'augmenter les salaires et c'est une bonne chose ! » vient de se féliciter Philippe Martinez, le secrétaire de la CGT. Ils en parlent tous parce qu’ils ne peuvent échapper à la question dominante, celle du pouvoir d’achat, des salaires, des inégalités qui se creusent. Chacun y va de ses prétendues solutions, mais toutes s’inscrivent dans une même logique, retrouver la croissance, la compétitivité, le tout financé par l’endettement et surtout en empêchant toute hausse du « coût du travail », autrement dit poursuivre la même politique, celle du « quoi qu’il en coûte ».

Les candidats révolutionnaires, notre camarade Philippe Poutou et Nathalie Arthaud, sont, eux, sommés d’expliquer devant les médias, quand ils ne se voient pas opposer sans autre discussion un « ça n’est pas possible » péremptoire, comment ils financeraient les augmentations de salaire mais aussi les mesures pour la santé, l’éducation, les services publics... Et si le monde du travail est convaincu de l’urgence d’enrayer la baisse du pouvoir d’achat beaucoup pensent que les exigences que nous formulons sont certes légitimes mais utopiques, pas réalistes. Les nombreuses grèves pour les salaires qui se déroulent en ce moment restent défensives, tentant de s’opposer à des reculs inacceptables. D’autres revendiquent une répartition plus juste des gains de l’entreprise, comme à Dassault Aviation où les salariés demandent leur part du pactole généré par l’explosion des ventes du Rafale.

Pourtant, en fait, les augmentations de salaire de 400 euros net, un revenu minimum net de 2000 €, l’indexation des salaires sur le coût de la vie, comme toutes les exigences sociales que nous mettons en avant, ne formulent que ce que la société actuelle, le développement technique, économique permettraient de mettre à la disposition du monde du travail, des classes populaires pour que tous puissent vivre dignement, c’est-à-dire accéder aux biens et aux services créés par leur travail. Nous avons toute légitimité à exiger ce qui n’est que notre dû, par notre organisation, nos luttes sociales comme politiques, sans crainte de remettre en cause les fondements même de la société capitaliste, le pouvoir d’une minorité d’ultra riches.

Il y a là une question politique de fond, le refus d’une économie qui n’est là que pour satisfaire les besoins du capital et des riches. La question de la répartition des richesses ne peut se limiter à quelques rééquilibrages pour éviter l’explosion mais implique de rompre avec cette logique économique pour imposer une autre logique solidaire. L’économie doit fonctionner pour satisfaire les besoins élémentaires de toutes et tous.

Un éditorialiste des Echos s’est fendu lundi dernier d’un « regard du jour » intitulé « L’équation insoluble du pouvoir d’achat ». Après avoir avancé l’idée qu’en France, « on ne travaille pas assez » et quelques arguments du même tonneau, l’auteur en vient rapidement à sa conclusion : personne, ni à droite, ni à gauche, ni « aux extrêmes » ne peut apporter une solution à ce problème, il est « insoluble »… Sous-entendu, insoluble aussi dans le cadre des luttes sociales... Circulez, il n’y a rien à voir !

Cette arrogance toute patronale voudrait étouffer la révolte qui monte. Mais elle pourrait bien aboutir à l’inverse, comme le notait un article dans le même journal, « les risques sociaux n’ont jamais été aussi élevés dans le monde […] la pandémie, le sentiment de déclassement des classes moyennes, la poussée de l'inflation et le creusement des inégalités font de 2022 une année à hauts risques ». C’est bien ce qui fait paniquer le grand patronat et les politiciens à son service. Pour le mouvement révolutionnaire, les militant.e.s du mouvement ouvrier, l’enjeu de la bataille politique actuelle est d’aider les travailleurs à voir clairement que la lutte pour le pouvoir d’achat, contre les inégalités, pour le bien être est une lutte globale pour prendre le contrôle de l’économie.

L’arrogance des profits engendrée par l’aggravation de l’exploitation et la politique de l’État

Les annonces successives de la croissance du PIB à 7%, de la baisse du chômage, des bénéfices record des entreprises du CAC40 - 136 milliards d’euros dont 70 distribués aux actionnaires -, sont utilisées par le patronat et le gouvernement comme preuve de l’efficacité de la politique du « quoi qu’il en coûte », une incitation à la poursuivre, un processus à travers lequel les inégalités sociales ne devraient pas manquer de s’atténuer… Si on en croit Bruno Lemaire, le ministre de l’Economie, nous serions engagés sur le chemin qui mène aux « temps heureux » promis par Macron. Les milliards d’argent public engloutis dans les plans de relance à répétition auraient fait leur effet, remis le pays sur la voie de la réindustrialisation, d’une certaine « souveraineté stratégique ». C’est un mensonge éhonté. La seule croissance réelle est celle du secteur des services, suffisamment forte pour compenser une baisse de 1,6 % de la production industrielle. Baisse de production qui s’est traduite par une nouvelle aggravation du déficit commercial, qui atteint 84,7 milliards d’euros. Mais Lemaire ne se démonte pas, il nous promet maintenant de retrouver une balance commerciale excédentaire d’ici dix ans, soit deux mandatures présidentielles…

Les résultats des entreprises du CAC40 ne résultent pas d’un rebond de la croissance économique. Ils sont portés par une surexploitation des travailleurs et par la redistribution par l’État des richesses publiques en faveur des profits.

Cela commence au niveau de l’entreprise, par la diminution des impôts de production et celle des cotisations patronales. Le montant de ces allègements par le biais du CICE mis en place par Hollande en 2013 pour créer un « choc de compétitivité », était de 40 milliards d’euros en 2019, 20 milliards les années suivantes. Comme l’expliquait un rapport d’évaluation de 2016, si le CICE a eu un effet limité sur l’emploi, il a par contre permis aux entreprises de « restaurer leurs marges »… Ces dernières explosent aujourd’hui, après qu’au CICE, réformé par Macron, se soient ajoutées les diverses mesures d’allègements fiscaux et des cotisations patronales spécifiques aux plans anti-covid. Du seul fait de ces mesures, le taux de marge des entreprises financières, part des profits nets sur la valeur ajoutée, est monté à 35,8 %, un niveau jamais atteint depuis 1949.

Et les patrons en redemandent. Du Medef aux syndicats patronaux des PME, tous réclament aux candidats entre 30 et 35 milliards de diminution de l’impôt de production. Trappier, PDG de Dassault et secrétaire du syndicat des patrons de la métallurgie y ajoute la revendication de 17 milliards de baisse des cotisations patronales pour les entreprises industrielles. Et comme il faut bien compenser la baisse que cela va constituer pour le salaire socialisé, il propose de fixer à 65 ans l’âge de départ à la retraite et une réforme de la sécurité sociale « vers plus d’assurantiel », c’est-à-dire un système où la protection sociale de chacun dépendra des moyens qu’il aura de se payer une assurance, mutuelle ou privée, au grand bonheur de leurs actionnaires.

Le ruissellement de l’argent magique, un gaspillage contre la population

Le soutien des fortunes des plus riches par la politique fiscale ne s’arrête pas au cadre de l’entreprise. Elle est bien plus générale, de la suppression de l’ISF par Macron aux accommodements entre amis qui semblent être de règle lorsqu’il s’agit de traiter la question de l’évasion fiscale des entreprises. Derrière les discours officiels affichant la volonté d’en finir avec les paradis fiscaux, la publication de listes noires, se cache une complaisance de fait. Selon le directeur de l’ONG Tax Justice Network, « Sous pression de grandes sociétés et de paradis fiscaux comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni et son réseau, nos gouvernements ont fait passer les désirs des riches entreprises et individus avant les besoins de tous les autres ». En 2020, la perte fiscale qui en résulte s’élevait à 427 milliards au niveau mondial, 20 milliards pour la France. Il y a bien quelques contrôles fiscaux. Mais les sommes exigées par le fisc dans le cadre des redressements sont souvent inférieures aux sommes détournées. Quant à la pénalité de 80 % censée s’appliquer, elle est tout simplement oubliée. En 2019, 116 cas de fraude ont été traités, pour lesquels l’Etat aurait renoncé à 1,12 milliard d’euros de récupération d’impôts et 514 millions de pénalités, soit 1,6 milliard.

A cela s’ajoutent diverses autres mesures de soutien, dont celles des commandes d’armement. Selon la revue patronale L’usine nouvelle, qui parle « de fardeau des armées », « La France a fait le choix clairement assumé d’accélérer ses achats pour venir en aide notamment aux industriels de l’armement qui ont souffert de la crise du secteur aéronautique fortement touché par le Covid. A titre d’exemple, elle a avancé son calendrier d’acquisition d’hélicoptères Caracal pour soutenir Airbus Helicopters et ses sous-traitants, mais aussi d’avions ravitailleurs pour soutenir le groupe Airbus ». A cela, il faudrait ajouter quelques Rafales, des blindés de toute catégorie, etc. A 52,4 milliards d’euros, le budget militaire atteint désormais 2,1 % du PIB. Ce gaspillage absurde n’est pas perdu pour tout le monde. Airbus vient de publier un bénéfice net de 4,2 milliards d’euros pour 2021, battant son record de 2018 (3,1 milliards) alors qu'il a produit près d'un quart d'avions en moins !

Le même processus est en route, en France et dans l’Union européenne, dans les secteurs de l’énergie dite propre et de la fabrication de puces électroniques. Sous couvert de garantir la disponibilité de composants stratégiques, trois vastes plans sont en route pour développer la production de batteries, d’hydrogène et de puces informatiques. Ce sont les Etats qui financent ces plans dont bénéficieront en fin de compte les multinationales qui les portent… s’ils atteignent leur objectif. En attendant, ce sont des dizaines de milliards d’argent public supplémentaires qui sont mis à leur disposition. Le seul plan « puces », plan européen piloté par l’ex-ministre Thierry Breton aujourd’hui commissaire européen au marché intérieur, est budgété à plus de 50 milliards d’euros, dont 30 à la charge des Etats membres.

Tout cela contribue à aggraver la situation des comptes publics alors que la dette est passée de 100 % à plus de 115 % du PIB sous le coup des plans de relance « anti-covid ». Si le financement de cette dette était jusqu’à présent indolore du fait de taux très bas, voire négatifs, la situation est en train de changer du fait de l’inflation qui s’installe et se généralise, poussant les taux d’intérêt à la hausse. A tel point que la Cour des comptes s’en inquiète, prévenant que « la France allait devoir faire des efforts sans précédents pour contenir la dépense publique ». Lemaire y répond en assurant que cela se fera par le simple effet de la croissance, sans plan d’austérité. Cela alors que le pouvoir se prépare, dès les élections passées, à reprendre l’offensive contre les retraites, qu’il poursuit sa casse systématique des services publics…

Aujourd’hui, ici comme partout dans le monde, le capitalisme, c’est l’explosion des richesses d’une infime minorité au prix d’une régression sociale globalisée. Il n’existe aucune base matérielle, comme cela a pu être le cas par exemple lors de la période de croissance qui a suivi la seconde guerre mondiale, qui pourrait laisser croire qu’il serait possible de réformer le système, donner du crédit à une politique réformiste sans remettre en cause de fond en comble la logique capitaliste comme le prétend aujourd’hui Mélenchon. Le capitalisme mondialisé et financiarisé est enfermé dans une fuite en avant dont il n’est possible de sortir qu’en imposant une autre logique politique et sociale. Résoudre la question du pouvoir d’achat, des salaires, développer les services publics, permettre à chacun de bénéficier dans tous les domaines de la vie sociale des richesses que nous produisons ne peut, encore moins que par le passé, se poser en termes de répartition plus équitable entre le travail et le capital.

Financer les augmentations de salaires en prenant sur les profits, financer le bien être pour toutes et tous en prenant le contrôle de l’économie

On le voit l’argent nécessaire à la satisfaction des revendications salariales existe, y compris l’argent nécessaire pour satisfaire à la hausse de l’ensemble des salaires, garantir un minimum à 2000 euros nets. Il suffirait pour cela de mettre fin aux gigantesques gaspillages, réorienter les masses considérables de richesses produites par les 99 % des coffres des 1 % d’ultra riches vers la satisfaction des besoins de tous.

C’est possible dès maintenant mais cela signifie mettre un terme aux spéculations financières, à la course au profit, à la concentration des richesses, c’est-à-dire rompre avec la logique du capital qui ruine la société.

Cela veut dire contrôler la marche de l’économie comme l’exige aussi la mise en œuvre de l’échelle mobile du temps de travail, la répartition du travail entre toutes et tous.

Cela pose la question de la prise de contrôle du système financier par les travailleurs et les classes populaires, par les « producteurs associés » pour utiliser un terme de Marx. Cela suppose l’expropriation de toutes les institutions financières privées, banques, compagnies d’assurances, fonds d’investissements, etc., et leur regroupement au sein d’une institution financière publique ayant le monopole du crédit et de la politique monétaire, placée sous le contrôle des producteur associés. L’abolition des marchés financiers, dont les bourses d’actions, en découle, mettant fin aux risques incontrôlables de krach financier.

La prise de contrôle du système financier et monétaire est la seule façon de régler de façon rationnelle la question des dettes publiques et privées, c’est-à-dire d’abord l’arrêt immédiat du paiement de la dette publique et de ses intérêts, qui représentent 30 milliards d’euros par an pour les annuler, sans dépouiller les petits épargnants. Nombre d’entre eux ont en effet placé leurs économies dans des assurances vies et autres « organismes de placement collectifs ». Ils se retrouvent ainsi détenir une part de la dette publique, part très faible cependant, quelques 3 % du total pour 50 % des ménages.

Le contrôle des investissements est indissociable du contrôle de l’appareil de production et d’échange. Ce dernier est aujourd’hui structuré pour une part largement prépondérante autour des multinationales et de leurs « chaînes de valeur », c’est-à-dire leur réseau de filiales et de sous-traitants. Prendre le contrôle de la production et des échanges, c’est prendre le contrôle de ce qui en constitue l’ossature, en expropriant les patrons et actionnaires des multinationales.

Orienter la production vers la satisfaction des besoins signifie la mise en place d’un système démocratique de planification. Ce dernier pourrait bénéficier des réseaux mis en place par les grandes multinationales de l’e-commerce, dès lors mis au service de l’intérêt commun. Un tel système de planification de la production signe également la fin des gaspillages considérables consacrés par les entreprises à faire face à leurs concurrents. Elle est aussi le seul moyen possible pour stopper la fuite en avant vers une catastrophe écologique.

Un tel programme peut sembler sans commune mesure avec le simple objectif de vivre correctement de son travail. Il n’en est rien. L’état de sénilité dans lequel se trouve le capitalisme, aujourd’hui mondialisé et financiarisé, fait qu’il ne se survit qu’en plongeant de plus en plus l’humanité dans la misère. D’autre part, dans sa dernière phase de développement, le capitalisme, plus exactement le travail des exploités, a mis en place une organisation économique et sociale, des moyens techniques, des réseaux internationaux qui rendent d’autant plus possible sa prise de contrôle par les travailleurs que ce sont eux qui les font fonctionner. Il s’agit, dans les faits, que le collectif de travail de la multinationale, organisé démocratiquement, décide désormais de la mettre au service des intérêts de la collectivité et non plus à ceux, privés, de la poignée de parasites qui règnent aujourd’hui sur elle. La question de la prise de contrôle du système financier se pose dans les mêmes termes, elle n’est pas technique, elle est politique.

Daniel Minvielle

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