A cinq mois de la Présidentielle, la campagne témoigne avec brutalité des accélérations politiques, expressions de l’intensification de la guerre de classe menée par les classes dominantes, de l’effondrement économique et social du capitalisme et de la décomposition morale qui l’accompagne. Le Pen, Ciotti, le répugnant Zemmour, Pécresse, Darmanin et bien d’autres surfent sur les préjugés, exaltant les rancœurs et les frustrations pour tenter de faire taire la révolte et les exigences des travailleur.ses, de la jeunesse, des classes populaires.

Cette colère s’exprime de façon encore diffuse, éparpillée dans des grèves locales, pour les salaires, contre les licenciements, dans les mobilisations telle celle des travailleur.ses du secteur social le 7 décembre ou celle, même si moins massive, du 4 décembre pour la défense de l’hôpital, et de façon radicale en Guadeloupe et Martinique.

Dans toute la société, la conscience s’élargit que la déliquescence en cours ne pourra déboucher que sur de profonds bouleversements. L’effondrement de la « gauche » et de sa pléiade de candidats en est l’expression. Jadot (crédité par les sondages de 6 à 7 %), Hidalgo, candidate du PS, parti au pouvoir il y a à peine 5 ans (3 % aujourd’hui), Montebourg (2 %) ou même Mélenchon (8 à 10 %), chacun a beau rappeler sa capacité à gouverner, maire de Paris pour l’une, anciens ministres ou entourés d’anciens ministres pour les autres, leurs effets de manche sont bien vains. Le trouble et le désarroi sont profonds parmi ceux qui se sentent « de gauche »… Certains cherchent encore à se raccrocher à l’illusion de « l’unité de la gauche » face au déclin général. Les 250 000 signataires de la pétition « pour une primaire populaire » à l’initiative de l’association « 2022 ou jamais » et de diverses personnalités qui entendent « faire gagner l’écologie, la justice sociale et la démocratie [et] proposer une candidate ou un candidat de rassemblement » illustrent cet état d’esprit. « Nous pouvons gagner. Nous devons gagner. Nous allons gagner » promettent-ils…

La farce du ralliement d’Hidalgo à une primaire de la gauche mercredi soir, assurant vouloir créer un « électrochoc » avec le soutien de Montebourg qui avait déclaré, grand seigneur, « je suis prêt à offrir ma candidature à un projet commun et à un candidat commun »… n’a mis qu’un peu plus en lumière la désintégration du PS et de ses différents satellites qui, durant des décennies, ont dirigé les affaires de la bourgeoisie dans des gouvernements « pluriels »… Coquerel, LFI, n’en a pas moins invité : « si demain, le PS estime que finalement pour gagner, il faut aller vers le candidat le mieux placé, nous on n’a pas de problème pour accueillir tout le monde ».

Accueillir du monde, c’est ce que Mélenchon a commencé à faire le week-end dernier en installant son « Parlement d’union populaire » dont la moitié des membres ne sont pas LFI. Il entend faire la démonstration qu’il est le mieux à même de regrouper à gauche, alors que tout le monde a en tête le coup d’après, les législatives, et parie sur les décompositions-recompositions à venir... dont l’après-Mélenchon. 200 personnalités au passé ont accepté de siéger dans ce « Parlement » destiné à donner de la crédibilité à la politique d’union populaire.

L’avenir en commun, programme de « l’insoumission » ?

« Après tant d’humiliations, de combats parfois perdus, mais toujours relevant la tête […] nous venons pour redonner au pays du courage alors qu’il est plongé dans l’obscurité de débats absurdes pour des affaires de religion ou de couleur de peau » a lancé Mélenchon à la Défense, appelant à faire « l’union à la base. Assez de jérémiades, assez d’hésitations, de pleurnicheries. Au combat ! ».

Un combat dont l’objectif est longuement détaillé, mesure après mesure, dans L’avenir en commun actualisé.[1].

« Nous ne voulons ni le cacher ni le flouter : « L’Avenir en commun », c’est l’insoumission devant l’ordre actuel du monde » y annonce Mélenchon, « un programme « prêt à l’emploi ». Une équipe expérimentée de parlementaires et de personnalités engagées dans les causes d’intérêt général pourra former un gouvernement compétent pour l’appliquer. À cette heure, il est le seul à rendre crédible en France un changement radical de cap ».

Les « 694 propositions » qui suivent, aussi « insoumises » soient-elles, se situent dans le cadre de l’État national qu’il suffirait de réorienter : « La collusion entre des intérêts privés, financiers ou industriels, et l’oligarchie qui s’est emparée de nos institutions est devenue criante sous Emmanuel Macron […] Nous voulons défaire ce système injuste, rappeler le principe fondamental de l’égalité entre tous, organiser la séparation de l’État et de la finance ». Un État qui échapperait à la mainmise de la finance et des multinationales sans que les travailleurs eux-mêmes prennent le contrôle de l’économie, de la production, des banques, dirigent la société ? Un Etat dont la police deviendrait « loyale et attachée aux principes de l’état de droit ». Et le programme de promettre, entre autres, de « renforcer les moyens humains du renseignement en revenant sur la fusion de la direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux (RG) et privilégier l’infiltration humaine plutôt que le mirage du tout-technologique »… ou encore d’« intégrer les effectifs de police municipale à la nouvelle police de proximité […] et la placer sous l’autorité fonctionnelle du maire et l’autorité hiérarchique du préfet »…

Cet État prendrait à bras le corps la question écologique, désormais placée avant la question sociale. Mélenchon élu, il fera « adopter des lois-cadres instaurant une planification écologique et démocratique coordonnant les niveaux national et local ; donner les moyens humains et financiers à l’État et à ses opérateurs publics ; relever les ambitions climatiques de la France avec pour objectif une baisse de 65 % des émissions en 2030 (au lieu de 40 % actuellement) » ou encore créera « une Agence pour les relocalisations dépendant du Conseil à la planification écologique, chargée de recenser les secteurs industriels indispensables à la souveraineté nationale et à la bifurcation écologique »… Mais comment cette planification, indispensable pour répondre à la catastrophe écologique, pourrait voir le jour sans que les travailleurs, la population arrachent le pouvoir aux groupes capitalistes ? Et comment ne l’envisager qu’au seul niveau national ?

Et quand Mélenchon passe du « je » au « nous », ce ne sont pas nous les exploités, les pauvres, les exclus de tous pays, c’est nous « la France »… Dans une récente interview au journal La Tribune (2) le candidat détaille longuement sa vision du monde et de « l’après », quand il sera Président : « La sécurité du monde et la place de notre pays sont en jeu. Nous ne sommes que 67 millions : on a intérêt à être vigilants.[…] La France défend ses frontières toute seule. Et elle doit prendre tous les moyens d'exercer des représailles ». Il se pose en défenseur de l’industrie spatiale française : « A Kourou, nous avons le 3ème port spatial du monde. Nous tirons de beaux engins : Ariane 5, bientôt 6 et des fusées russes, italiennes. On sait tout faire, d'un bout à l'autre de la chaîne […] Si l'industrie spatiale continue et joue un rôle plus grand, cela entraînerait le reste de l'économie. C'est pourquoi je suis partisan d'investir beaucoup dans ce secteur clé ». Mais « Il faut d'abord nous débarrasser des mauvais alliés, qui ne tiennent pas leur parole : les Allemands. […] Ils éprouvent le besoin d'aller se traîner aux pieds des Américains, dont ils sont les alliés et les vassaux. […] Si je suis élu Président, je n'accepterais pas que reste à Toulouse le centre de l'Otan pour l'espace. Ils iront plus loin, mais pas à portée d'écoute de leurs ‘grandes oreilles’ ». L’avenir en commun promet lui d’« adopter une loi de programmation militaire visant à restaurer notre indépendance », de « prioriser l’acquisition de matériel militaire français dans l’armée ».

« Pour les patrons et les industries du futur, je suis une affaire formidable » expliquait Mélenchon à La Tribune[2] ajoutant un peu plus loin « J'ai la pratique de l'économie concrète, plus que beaucoup d'autres qui font des phrases. J'ai été ministre de l'enseignement professionnel. J'ai négocié avec toutes les branches patronales du pays »… ou encore « Les riches doivent partager. Mais on fera les choses raisonnablement, ne vous inquiétez pas. On le fera progressivement »… La proposition d’un SMIC à 1400 euros nets, soit une augmentation de 142 euros, à la page 84 du programme, semble en effet le confirmer.

Alors oui, bien des aspirations des travailleurs, de la jeunesse et des classes populaires semblent partiellement prises en compte dans le pot-pourri parfois improbable de l’Avenir en commun, mais pour mieux essayer de les contenir dans le cadre des institutions, d’une 6ème république fantoche revenue à un capitalisme raisonné et national. Il ne se situe pas dans une perspective socialiste, internationaliste, et conduit à une impasse flattant au passage le poison des préjugés souverainistes.

Rassembler sur une base d’indépendance de classe, poser les bases d’un parti révolutionnaire des travailleurs

Il ne peut y avoir d’issue à la faillite capitaliste, aux drames sociaux, économiques, démocratiques, écologiques et sanitaires auxquels sont confrontés les exploité.es, les pauvres et les jeunes du monde entier, sans contester la propriété capitaliste, sans affrontement de classe.

Quel avenir peut avoir une société où 26 personnes possèdent autant que la moitié de la population mondiale ; où les laboratoires Pfizer, BioNTech et Moderna engrangent 1000 dollars de profits chaque seconde tandis que l’immense majorité de la population n’a pas accès aux vaccins, condamnant des millions de personnes et rendant illusoire toute lutte véritable contre la pandémie ?

La vie, la conscience du monde du travail et de la jeunesse en sont profondément impactées à l’échelle internationale. Chacun sait que des déflagrations sociales violentes sont inéluctables, ont déjà commencé.

Pas plus ici qu’ailleurs le clivage n’est entre la droite et la gauche, fût-elle « de gauche » ou « radicale ». Le clivage est social, entre des classes aux intérêts irréconciliables.

C’est sur la base de cette conscience grandissante qu’il nous faut rassembler les militant.es, les travailleur.ses, les jeunes qui se tournent vers nous. Cela implique de rompre avec les ambigüités qu’ont en particulier illustré les aventures électorales du NPA avec LFI aux régionales en Nouvelle Aquitaine et en Occitanie.

L’enjeu aujourd’hui n’est sûrement pas d’essayer de peser sur quelque recomposition ou décomposition à gauche mais bien au contraire de se situer en totales extériorité et indépendance pour mener une politique d'unité des révolutionnaires.

C’est la condition pour pouvoir regrouper autour d’un programme pour les luttes des exploité.es et opprimé.es, de la jeunesse pour porter la nécessité d’exproprier les banques, les multinationales, l’urgence d’une planification de l’économie sous le contrôle des travailleurs et de la population.

La perspective socialiste et communiste n’a rien de la promesse d’un mythique grand soir. Elle est contenue dans la marche même de la société, de la lutte de classe.

Le succès, en particulier dans la jeunesse, des meetings de notre camarade Philippe Poutou, de la campagne de Nathalie Artaud et d’Anasse Kazib témoigne de la révolte qui cherche à s’exprimer, de la soif d’idées pour transformer le monde, de la volonté de prendre en main l’avenir collectif.

La campagne et ses lendemains vont être l’occasion d’une politisation accélérée. L’extrême-gauche ne pourra y répondre en théorisant la vie autonome de chacune de ses composantes, leur ignorance mutuelle et le sectarisme qui en découle. C’est pourquoi nous pensons que la campagne et la politique du NPA ainsi que de l’ensemble des militants révolutionnaires de toutes sensibilités et tendances, devrait porter cette perspective pour se dépasser et préparer à jeter les bases d’un parti révolutionnaire des travailleurs.

Isabelle Ufferte

 

[1] Jean-Luc Mélenchon présente L’Avenir en Commun, le programme pour l’Union populaire, ed Seuil.

[2] La Tribune, 3 décembre 2021, propos recueillis par Marc Endeweld et Philippe Mabille https://www.latribune.fr/economie/france/jean-luc-melenchon-pour-les-patrons-et-les-industries-du-futur-je-suis-une-affaire-formidable-avec-moi-au-revoir-les-aleas-du-marche-897725.html

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn