Début septembre, divers instituts de conjoncture, dont l’OCDE et l’Insee, annonçaient une reprise économique plus forte que prévue. Ici, le PIB augmenterait de 6,25 % sur l’année, au lieu des 5,35 estimés précédemment. Il n’en fallait pas plus pour que Challenges titre : « La crise est finie… C’est l’Insee qui le dit ». Et Le Maire, présentant le projet de budget 2022, promettait : « une partie des fruits de la croissance doit aller à la réduction des déficits et à la baisse de la dette publique »…

Mais le soufflé n’a pas tardé à retomber. Vendredi 17 et lundi 20, les bourses mondiales plongeaient, le CAC40 perdait 2,4 %. En cause, la menace de faillite d’Evergrande, promoteur immobilier géant chinois endetté de plus de 300 milliards de dollars et incapable d’en payer les intérêts … faute de trouver des banques acceptant de lui prêter l’argent nécessaire ! La faillite de ce mastodonte pourrait avoir des conséquences considérables en Chine et bien au-delà, les titres de cette dette n’ayant pas manqué de se disséminer, à l’image des subprime en 2007. D’où cette réaction des marchés financiers, qui se sont repris depuis avec l’espoir que l’État chinois serait contraint d’intervenir, que l’onde de choc serait limitée.

A cette alerte s’ajoutait dimanche l’avertissement de la secrétaire d’État au Trésor US, Janet Yellen, sur les conséquences destructrices qu’aurait un nouveau « shutdown », arrêt des activités gouvernementales pour cause d’épuisement des caisses de l’État légalement mis dans l'impossibilité d'emprunter. Aux USA, le maximum que l’État peut emprunter sur une année est fixé par le Congrès. Or la limite pour l’année en cours - 28 400 milliards de dollars- est atteinte depuis le 1er août, et si le Congrès ne vote pas rapidement son relèvement, l’État se retrouvera courant octobre sans argent, dans l’incapacité d’honorer ses factures, de payer ses fonctionnaires… Pour Yellen, « cela précipiterait probablement une crise financière historique (...). Le défaut pourrait déclencher une flambée des taux d'intérêt, une chute brutale des cours des actions et d'autres troubles financiers ».

Ces deux faits illustrent la logique folle dans laquelle est enfermé le système financier mondial, logique où les entreprises, les États qui les servent n’ont pas d’autre solution, face au risque de faillite dû à leur endettement abyssal, que de s’endetter encore plus.

Le projet de budget 2022 du gouvernement n’échappe pas à cette fuite en avant. Contrairement à ce que prétend Le Maire, ni le déficit public (292 milliards d’euros), ni l’endettement (260 milliards) ne baissent par rapport à 2020 et 2021. Le « quoi qu’il en coûte » continue, bien que Le Maire prétende que sa fin a sonné… Il s’agirait maintenant de « conforter la croissance », qu’il estime à 6 % pour 2021 et à 4 % pour 2022, conformément aux prévisions de l’Insee. Mais ce que Le Maire cherche à faire passer pour une « réduction des déficits » et une « baisse de la dette », c’est leur pourcentage par rapport au PIB, qui baisse effectivement du simple fait de l’augmentation de celui-ci … si elle se produit !

Les faux-semblants de leur « reprise »

Cette petite entourloupe arithmétique est d’autant plus dérisoire que les prévisions de croissance établies par les instituts de conjoncture sont soumises comme jamais à l’instabilité du contexte international, aux incertitudes sur l’évolution de la pandémie, aux caprices des marchés financiers… Ainsi, jeudi 23, on apprenait que la pénurie de puces électroniques qui paralyse une partie de la production industrielle, en particulier la construction automobile où elle réduit au chômage partiel des milliers de travailleurs, ne s’achèverait pas comme attendu d’ici la fin de l’année. Certains pays où sont concentrées les productions de puces, dont le Vietnam, sont touchés par une recrudescence de la pandémie et les retards de production s’accumulent, au point que les approvisionnements ne devraient retrouver leur niveau normal que fin 2023. Au même moment, aux USA, la FED abaissait ses prévisions de croissance de 7 % à 5,9 % et augmentait celles de l’inflation de 3,4 % à 4,2 %.

Ces prévisions de croissance ne sont par ailleurs qu’une moyenne, ne disant rien des écarts entre les divers secteurs d’activité, ni au sein de ces derniers entre les diverses catégories d’entreprises, selon leur taille, leur hiérarchie dans les chaînes de valeur. A voir les chiffres astronomiques atteints par les profits des entreprises du CAC40 au premier semestre 2021 (57 milliards pour l’ensemble, 33 % de plus qu’en 2019 dont 5,9 milliards pour Stellantis, 5,3 pour LVMH…), le mot « reprise » n’a certainement pas le même sens pour tous les « entrepreneurs », sans parler des travailleurs et de la grande majorité de la population.

Les résultats de Stellantis, produit de la fusion de PSA et de Fiat, sont caractéristiques de l’accélération qui s’est produite dans le marché mondial des fusions acquisitions depuis le début de la pandémie. Sur les huit premiers mois de l'année, le total mondial de ces opérations a atteint 3 800 milliards de dollars, une augmentation de 58 % par rapport au volume moyen de la période 2015-2019 (2 456 milliards de dollars). Certains économistes y voient l’augmentation des investissements productifs, un signe de la vitalité de la reprise économique. Mais ces investissements sont largement financés par le « quoi qu’il en coûte » et ils n’ont en aucune façon créé des emplois. Bien au contraire, ils ne visent qu’à l’élimination de la concurrence et aux « économies d’échelle », et se traduisent par la mise au chômage des travailleurs prétendument en « doublon » et la surexploitation des autres.

C’est à ce prix que les plus riches voient leurs fortunes s’envoler, que les dividendes versés par les grands groupes atteignent de nouveaux records, alors que l’immense majorité est confrontée à la régression de ses conditions de vie et de travail.

Inflation et hausse des prix, exubérance financière et instabilité économique

Un des facteurs de cette régression est l’augmentation des prix de la quasi-totalité des biens et des services. Les prix du gaz et de l’électricité s’envolent, tout comme ceux des denrées alimentaires. En France, selon l’Insee, l’inflation s’établirait pour l’année à 2 %, avec des pics à 2,4 %. Pour l’UE, elle est de 3,3 %, plus de 4 % aux États-Unis, 18 % en Turquie, 51 % en Argentine… En Afrique, avec la flambée des prix alimentaires, le nombre de personnes frappées par la famine explose.

On nous explique que ce retour de l’inflation serait la conséquence de la reprise qui créerait un pic de demande auquel les entreprises ne seraient pas capables de répondre faute de capacités de production suffisantes. Et tout devrait rentrer dans l’ordre lorsque l’économie aura retrouvé son régime de croisière. Il n’en est rien.

Il est vrai que les capacités de production existantes, largement suffisantes dans l’absolu pour faire face à une demande qui reste en dessous des niveaux de 2019, ont été et restent partiellement désorganisées du fait que la pandémie perdure - cf la production de puces électroniques- et de l’anarchie des restructurations consécutives à la vague de fusions acquisitions. Mais la principale cause de cette explosion des prix est ailleurs, dans la spéculation qui s’est abattue depuis le début de l’année sur les marchés des matières premières, minerais, produits agricoles, pétrole. Anticipant sur la reprise annoncée, les grands spéculateurs, gavés de l’argent du « quoi qu’il en coûte », ont fait des stocks, acheté par avance les productions à venir dans l’intention de les revendre plus tard au prix fort, profitant du retour de croissance, aussi limité soit-il. Les pays producteurs de pétrole se sont mis d’accord pour limiter la production en dessous de la demande avec pour résultat un prix du baril qui est passé de 40 dollars en novembre 2020 à 70 dollars en juin 2021. La Russie, profitant de son quasi-monopole sur la production de gaz en Europe, a multiplié son prix par 3…

Selon l’Insee, cette augmentation de prix de l’énergie serait responsable pour moitié de l’augmentation de l’inflation en France. Elle touche d’abord les plus pauvres, au point que le gouvernement a annoncé un « coup de pouce », un chèque de 100 euros qui sera distribué à 5,8 millions de familles pour les aider à payer leurs factures de gaz et d’électricité. Un geste dérisoire, mais significatif de leur crainte des conséquences sociales et politiques de cette flambée des prix.

Significatif également de l’impuissance des gouvernements face aux marchés financiers. Patrick Artus titrait ainsi une tribune dans Les Echos : « Les pays riches pris au piège de l’excès de dette ». Jusqu’à présent, la politique monétaire des grandes banques centrales, en maintenant sous perfusion les marchés financiers, avait réussi à repousser les échéances, à maintenir bon an mal an un semblant de stabilité dans un système au bord du gouffre. Mais le piège semble en effet se refermer, avec la reprise de l’inflation, le risque de voir de gigantesques entreprises faire faillite pour dette, de voir repartir à la hausse les taux des dettes publiques, menaçant d’asphyxier des États sous le poids des intérêts. Les gouvernements et les Banques centrales sont confrontés à une situation d’où peut surgir à chaque instant un évènement susceptible de précipiter « une crise financière historique », un défaut qui « pourrait déclencher une flambée des taux d'intérêt, une chute brutale des cours des actions et d'autres troubles financiers » comme l’écrit Yellen. Mais ils sont condamnés à poursuivre leur politique, la fuite en avant dans la folie de l’endettement et de la spéculation financière…

Après eux le déluge, mais en attendant, les richesses d’une minorité explosent, fondées sur des capitalisations boursières de plus en plus démentielles, la pluie de dividendes, le tout alimenté sans compter par la planche à billets des banques centrales. Les quelque 3000 milliardaires que compterait le monde ont vu leur fortune globale augmenter de 10 000 milliards de dollars pendant la pandémie. Parallèle dramatique, selon la FAO (Organisation des Nations Unies sur l’alimentation et l’agriculture), entre 83 et 132 millions de personnes supplémentaires auraient été plongées dans la « malnutrition chronique » pendant la même période, pour un total qui atteindrait 811 millions, 10 % de la population mondiale. C’est en raccourci l’illustration des inégalités sociales qui se creusent entre une infime poignée d’ultra riches et la grande majorité de la population mondiale.

Vers des affrontements de classes politiques et sociaux

Le creusement des inégalités sociales et leurs conséquences dramatiques, la violence des offensives que mènent patrons et gouvernements contre les travailleurs pour tenter d’extorquer la moindre goutte de plus-value approfondit la crise politique et sociale inaugurée il y a une décennie avec le printemps arabe et les mouvements des indignés. Cette vague de révoltes a connu une recrudescence ces dernières années dans de nombreux pays, pour les conditions de vie, les droits démocratiques, les droits des femmes, contre le racisme et les discriminations, pour le climat. Elle ne peut aujourd’hui que s’accentuer, déboucher sur de nouveaux affrontements.

Les gouvernements et les capitalistes en sont bien conscients et s’y préparent. Comme ici Macron et sa politique sécuritaire, ses offensives réactionnaires dont se nourrissent tant Le Pen, Bertrand que Zemmour, créature des médias entre les mains de Bolloré and co. Ou encore, dans le projet de budget, la part qui est faite aux postes dits « régaliens », toujours plus d’hommes et d’armes pour l’armée et les flics… Macron prétend le faire au nom de la sécurité, de la défense des citoyens, des valeurs de la France… Il le fait en réalité pour la défense des intérêts de classe d’une minorité de parasites, la protection de leur sacro-saint droit de propriété.

C’est bien que ce qui est en jeu dans les affrontements qui se préparent, inéluctablement. La question du pouvoir, de qui décide dans cette société, entre une minorité de parasites qui n’ont en vue que leur propre intérêt immédiat, et celles et ceux qui produisent toutes les richesses, qui ont en main la possibilité d’organiser collectivement l’économie dans le but de satisfaire les besoins de tous, d’instaurer un nouveau mode de production, socialiste, communiste.

Daniel Minvielle

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