Parler de faillite du capitalisme peut sembler hors de propos alors que les Bourses n’ont jamais connu une telle période de croissance rapide et continue depuis l’effondrement brutal de mars-avril 2020, au début des mesures contre la pandémie. Le paradoxe n’est qu’apparent. L’exubérance est d’autant plus folle sur les marchés financiers, en particulier les Bourses d’actions, qu’elles offrent aux grandes institutions financières, par le trading frénétique qu’elles pratiquent, des rendements pour leurs capitaux impossibles à obtenir dans les investissements productifs dans une économie en panne de croissance. C’est pourquoi Wall-Street, Euronext et cie ont depuis longtemps rattrapé leurs pertes et atteignent des records, tout comme le CAC40 et les autres indices boursiers. Les introductions en Bourse de nouvelles entreprises se multiplient, à la recherche de capitaux frais sur des marchés financiers qui en regorgent, alimentés par les centaines de milliards gratuits déversés tous les mois par les banques centrales.

Signe de la dépendance des marchés financiers aux politiques monétaires des banques centrales, Wall-Street a connu une légère baisse cette semaine alors que se réunissait le comité directeur de la banque fédérale américaine, la FED. Cette dernière, confrontée à des signes de reprise de l’inflation – hausse de 5 % des prix à la consommation aux USA en mai - allait-elle relever ses taux directeurs ? Allait-elle mettre fin ou réduire sa politique de rachat d’obligations ? La FED a effectivement annoncé qu’elle comptait remonter ses taux dès 2023 au lieu de 2024, l’économie US devant prétendument connaître une « reprise spectaculaire » et l’inflation rester sous contrôle. Par contre, elle va poursuivre sa politique de rachat d’obligations, ce qui a permis à Wall Street de retrouver sa sérénité…

Comme on pouvait s’y attendre, la FED, comme la BCE ici, poursuit le maintien sous perfusion du monde de la finance. Il s’agit de « rassurer les marchés », éviter ou tout au moins retarder l’explosion inévitable d’une bulle spéculative boursière sans précédent, menace à laquelle s’ajoute celle d’une nouvelle crise de la dette, publique comme des entreprises, dont les montants dépassent de beaucoup ceux qui avaient déclenché la crise de 2007-2008. Cette politique contribue en même temps à alimenter une folie spéculative qui semble n’avoir aucune limite, contribuant ainsi à aggraver les risques de krach. C’est un cercle vicieux auquel les politiques monétaires sont incapables d’échapper, un des éléments de la marche à la faillite du capitalisme.

Une « reprise » aux perspectives calamiteuses

Les perspectives de reprise annoncées par la FED ainsi que par la propagande autour des plans de relance de Biden sont fortement tempérées par un rapport récent de la Banque mondiale. Elle a revu à la hausse ses prévisions de croissance mondiale pour 2021, 5,6 % au lieu de 4,1 %, tirée par quelques « économies majeures », en particulier la Chine (8,5 %). Mais ces chiffres masquent de profondes disparités, aussi bien au sein des pays riches où l’écart de richesse entre riches et pauvres se creuse, qu’entre pays riches et pauvres : « les économies avancées vivent leurs meilleurs jours, les pays à faible revenu les pires ».

A l’horizon de 2022, le PIB mondial serait inférieur de 2 % aux projections d’avant pandémie. 90 % des pays avancés retrouveraient leur niveau de PIB d’alors, pour 1/3 seulement des pays en développement. Les populations des pays pauvres et en développement subissent par ailleurs les conséquences d’une forte augmentation des prix alimentaires, 37 % sur un an, résultat d’une recrudescence de la spéculation sur les marchés des matières premières. Selon les statistiques de la Banque mondiale, 165 millions de personnes « souffraient de la faim » en 2020, 30 millions de plus que l’année précédente, tandis que le nombre de personnes vivant avec moins de 1,9 dollar par jour a augmenté de 125 millions.

Les politiques protectionnistes menées « coûte que coûte » par les Etats les plus riches pour permettre à leur bourgeoisie de traverser la crise sanitaire avec le minimum de dégâts se traduisent par une aggravation des inégalités et une explosion de la misère qui ne peuvent qu’accentuer la vague internationale de révolte qui secoue le monde depuis une décennie. Une perspective à laquelle le monde de la finance se prépare à faire face.

« L’âge des désordres est devant nous »

Fin septembre 2020, la Deutsche Bank écrivait un rapport, « L’âge des désordres », dont une analyse succincte est accessible sur le site « Terrestres », « La fin du monde vue par le capital financier ». Les spécialistes de la banque prennent acte de la fin des quatre décennies de « mondialisation heureuse » au cours desquels le capital financier a connu une accumulation sans précédent, dans « les meilleures conditions possibles » ... C’était « une fin annoncée », écrivent-ils, mais qui a été précipitée par la pandémie et qui débouche sur l’avènement d’une « ère du désordre » menaçant « les valorisations financières et les équilibres conquis par le capital ». D’où ce rapport destiné à aider les riches parasites de ce monde « à défendre leurs positions menacées sur plusieurs fronts ainsi que leur vision du monde ». Une « vision du monde » où ils se voient bien sûr au sommet de l’édifice, tirant les ficelles de l’économie mondiale pour en extraire le maximum de profits…

Parmi leurs préoccupations : une nouvelle donne géopolitique défavorable à la mondialisation des échanges, dans laquelle l’Europe perd du terrain face à l’affrontement Chine – USA ; les privilèges menacés de la bourgeoisie mondiale après l’ouverture de la « boîte de pandore du financement public » ; la crainte qu’une reprise de l’inflation associée à une pénurie de « travail low-cost » n’entraîne une montée des salaires, donc une baisse des profits...

Mais surtout la crainte des mobilisations populaires « résultant de la hausse des inégalités de plus en plus intolérables avec la massification de la misère au cœur de l’OCDE dans les mois et les années à venir ». Les banquiers de la Deutsche Bank voient venir et craignent « l’affrontement entre la vie et le monde de l’économie », des « années de conflit agressif entre ceux qui priorisent l’économie et ceux qui luttent pour l’environnement ». Prêts à tout pour maintenir leurs « valorisations », les auteurs du rapport et ceux qui les mandatent n’ont aucune intention de faire quoi que ce soit contre le dérèglement climatique qui s’opposerait un tant soit peu à leur soif de profit. Leur seule préoccupation est de savoir comment répondre, sur le plan politique, à ces « conflits agressifs », conflits de classe auxquels ils savent ne pas pouvoir échapper. La solution qu’ils envisagent est dans la division des exploité.es et des opprimé.es, tenter de regrouper autour d’un programme conservateur, un programme populiste à la Trump, celles et ceux qui, dans les couches populaires, pensent avoir encore quelque chose à perdre, pour les opposer à celles et ceux, en particulier les jeunes, qui savent n’avoir rien à perdre et se mobilisent pour changer les choses.

Les auteurs du rapport de la Deutsche Bank préviennent leurs « clients » : « voir l’avenir en prolongeant les courbes passées pourraient constituer votre plus grave erreur ». Ils les incitent à se préparer à une guerre sociale pour la survie du capital financier, à imposer leur « ordre », l’ordre capitaliste, face aux aspirations des pauvres et des jeunes.

Un mode de production en faillite

Dans les faits, la politique préconisée par la Deutsche Bank est déjà à l’œuvre dans bien des pays. Les « désordres » auquel elle tente de faire face sont la conséquence directe des politiques menées par les Etats et les Banques centrales pour maintenir la domination de la minorité de parasites qui dirige l’économie et garantir ses profits.

Les capitalistes et leurs gouvernements auraient en réalité tout intérêt à ce que les mesures qu’ils prennent permettent, tout en assurant les profits, de retrouver la croissance nécessaire pour assurer la stabilité politique, la paix sociale propice aux affaires et à la poursuite de l’exploitation du travail humain. Mais tout démontre qu’il est devenu impossible pour le mode de production capitaliste de maintenir ses profits tout en assurant un minimum à chaque être humain ses moyens de subsistance, se nourrir, se loger, se soigner, etc.

Le mode de production capitaliste, en faillite, ne peut maintenir sa domination et ses profits qu’au prix d’une aggravation de l’exploitation, de la misère de centaines de millions d’individus, des destructions et des menaces économiques, sanitaires, écologiques, militaires qu’il fait peser sur l’humanité. Confronté aux conséquences sociales et politiques que cela implique, il y répond par une escalade répressive, antidémocratique et réactionnaire qui ne peut en retour qu’exacerber la révolte sociale.

Le pouvoir des travailleurs pour changer de mode de production

Pas plus que les patrons conseillés par la Deutsche Bank, nous ne pouvons continuer à « voir l’avenir en prolongeant les courbes passées ». Les capitalistes financiers nous le disent eux-mêmes, ils ne se préparent pas à « poursuivre l’agenda libéral », comme on peut le lire, mais bien à un affrontement de classe dans lequel ils considèrent leur domination, le contrôle qu’ils exercent sur l’économie mondiale, comme un des enjeux.

Non seulement les réponses à la crise écologique dont la pandémie est une manifestation, mais aussi la faillite sociale et économique en cours, la défense des droits de travailleurs ne peuvent trouver de réponse dans le cadre du système. La question qui est posée, c’est celle d’une révolution sociale, la prise de contrôle de l’économie et de la société par ceux qui produisent toutes les richesses, les travailleurs. C’est une nécessité pour en finir avec un mode de production basé sur la propriété privée des capitaux, les lois de la concurrence et des marchés, l’exploitation du travail humain, mettre en place une autre organisation sociale, communiste, basée sur la coopération internationale des travailleurs.

Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels expliquaient déjà que le capitalisme, dans son développement et de façon totalement involontaire, mettait en place les bases matérielles d’une telle société. Le capitalisme était cependant loin d’avoir épuisé ses capacités de développement quel qu’en soit le prix pour l’humanité. Aujourd’hui, la globalisation mondiale du capitalisme des dernières décennies se traduit par la globalisation de sa forte capacité de nuisance, son pouvoir destructeur, son incapacité à sortir de son impasse historique. Au point que cela masque une autre réalité. La mondialisation, avec l'explosion des nouvelles technologies, a tissé une multitude de liens de communication et de transport entre les grandes multinationales et une myriade de filiales et de sous-traitants. La division du travail et la socialisation de la production et des échanges sont devenues mondiales, la coopération internationale des travailleurs que prévoyaient Marx et Engels est devenue un fait patent. Mais cette coopération est soumise au bon vouloir des holdings financières qui les dirigent, et c’est ce qui fait du mode de production capitaliste une machine à broyer, à détruire, à piller.

Libérés de cette mainmise, ces liens innombrables constituent un atout considérable du point de vue des perspectives révolutionnaires. Leur réseau, qui est en même temps humain et matériel, est prêt pour servir de support à la planification démocratique de la production et des échanges. Les outils d’analyse de données dont les GAFAM se servent pour cibler leur clientèle sont toxiques. Mais mis au service de cette planification, ils constitueraient de puissants moyens d’évaluation et de satisfaction des besoins, à l’échelle du monde entier et quasiment en temps réels.

Cette prise de contrôle de la production et des échanges par les travailleurs et les populations suppose en même temps la prise de contrôle des circuits monétaires et financiers. C’est cela qui permettra d’annuler les dettes, d’en finir avec la spéculation par l’abolition des marchés financiers. Et c’est une condition pour orienter la circulation des capitaux, les affecter dans les entreprises en fonction des besoins à satisfaire, et respecter en même temps les contraintes écologiques.

Loin d’être utopique, ce nouvel ordre économique est réalisable d’un point de vue strictement matériel, il est inscrit dans les évolutions techniques et sociales. Les collectifs de travail qui font fonctionner l’ensemble de la structure de production et d’échange se plient actuellement aux exigences de leurs patrons. Mais rien n’empêche, techniquement, qu’ils se « mettent à leur compte », qu’ils décident de placer l’outil de production sous le contrôle de la collectivité, leur contrôle. Franchir ce pas, c’est socialiser les multinationales industrielles et financières, après en avoir exproprié les propriétaires parasites.

Ça suppose une rupture profonde avec l’idéologie dominante, une évolution des consciences qui est déjà en route, dans la « mondialisation de la révolte » qui a commencé dans les années 2010 avec le printemps arabe, les indignés en Grèce, en Espagne, aux USA… Elle a connu une recrudescence en 2019 et elle se poursuit aujourd’hui, confrontée parfois à une répression féroce. Les exigences sont diverses, démocratiques, sociales, pour le droit des femmes, contre le racisme, les discriminations, les violences policières, pour le climat… Mais toutes désignent un même responsable, le capitalisme, le pouvoir destructeur de la finance, des « 1% ».  

C’est un front international du refus de l’existant, des exigences d’un autre futur. Il est porteur de l’idée que le capitalisme a fait son temps, que ça ne peut plus durer comme ça, qu’il faut que le monde change… Et il constitue en même temps la seule force capable de mener à bien les changements nécessaires.

La tâche des révolutionnaires, au quotidien comme les jours d’élection, est de diffuser ces idées, aider celles et ceux qui ne se résignent pas à se donner pour objectif la seule mesure capable de changer le monde : prendre, collectivement, démocratiquement le contrôle économique et politique de la société.

Daniel Minvielle

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