Près de cinq mois après son arrivée au pouvoir, Biden est venu, cette semaine, faire la tournée des popotes en Europe. « Mon voyage en Europe est l'occasion pour l'Amérique de mobiliser les démocraties du monde entier »Les paroles ont changé mais la musique reste la même autour d’une préoccupation : répondre au discrédit des grandes puissances, dont la première d’entre elles après 4 années de Trump, discrédit du capitalisme lui-même, une préoccupation qui ne peut masquer le fond, contenir et maîtriser les rivalités exacerbées par la concurrence mondialisée au profit de la puissance dominante.

Les chefs d’État se sont tous réjouis, comme rassurés d’un prétendu retour à la normale, voyant dans Biden une « bouffée d’air frais », les mêmes qui, comme Johnson ou Macron, avaient donné le même genre de spectacle ridicule et flagorneur il y a 4 ans avec Trump. Macron s’est félicité « d’avoir un président américain qui fait partie du club et a très envie de coopérer ». « Nous sommes sur la même ligne » lui a répondu celui-ci. Et Merkel désabusée d’ajouter « L’élection de Joe Biden ne signifie pas que le monde n’a plus de problèmes mais nous pouvons travailler à ces problèmes avec un nouvel élan ». Un nouvel élan dans la continuité…

La réponse du G7 à la pandémie est révélatrice. « Les États-Unis sont déterminés à travailler sur la vaccination internationale avec le même sens de l'urgence dont nous avons fait preuve dans notre pays », claironnait Biden. En écho Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a réclamé « un vrai plan pour doubler la capacité de fabrication des vaccins dans le monde. Il s’agit de lever les droits de propriété, mais pas seulement. Il faut aussi aider à la logistique, et faire du transfert de technologie pour aider à la production des vaccins, qui est un processus industriel complexe ». Et, au final, les pays les plus riches du monde promettent de livrer 1 milliard de doses de vaccins aux plus pauvres d’ici à un an. Vacciner 70 % de la population nécessiterait 11 milliards de doses ! La participation au financement total des États-Unis s’élève à seulement 5,5 milliards de dollars, soit moins d’un pour cent de leur budget militaire. Et les grands bénéficiaires en seront les trusts de Big pharma. Le nouvel élan vers une nouvelle coopération multilatérale ressemble à un coup de bluff, la réalité, c’est une guerre commerciale mondialisée dont la politique de vaccination est une sinistre illustration.

Du « comportement déstabilisateur » de la Russie...

Point d’orgue du voyage de Biden, sa rencontre à Genève avec Poutine. « Il n’y avait aucune animosité », dixit Poutine ajoutant que, « les deux parties ont démontré un désir de se comprendre l’une l’autre et de chercher les moyens de rapprocher les positions ». Et Biden de vanter une rencontre « positive », qui n’avait d’autre but que de donner à voir la nouvelle image qu’il souhaite donner à la diplomatie américaine en rupture avec la paranoïa de Trump.

En fait, la seule décision tangible a été le retour à leur fonction des ambassadeurs suspendus en mars après que Biden eut qualifié Poutine de « tueur », le reste relevant de bonne résolution ou d’échange informel : entamer des négociations sur le traité New Start, qui limite les armes nucléaires après son expiration, en 2026 ; propos rassurant sur la militarisation russe dans l’Arctique ou échange sur Nord Stream 2, le chantier de gazoduc russe sous la Baltique ; ou ouverture d’un dialogue en matière de « cybersécurité »...

Le G7 a cependant dans son communiqué final indiqué : « Nous réaffirmons notre appel à la Russie pour qu’elle mette fin à son comportement déstabilisateur et à ses activités néfastes, y compris son ingérence dans les systèmes démocratiques d’autres pays », l’appelant à retirer « les troupes et le matériel militaires à la frontière orientale de l’Ukraine et sur la péninsule de Crimée. Nous restons fermement convaincus que la Russie est une partie au conflit dans l’est de l’Ukraine, et non un médiateur ». Pas de paranoïa, peut-être, mais une pression pour limiter les marges de manœuvre de Poutine avec en ligne de mire ses relations avec la Chine.

... à la Chine, le nouvel empire du mal

Maintien des tarifs douaniers, listes noires d'entreprises chinoises, plan d'investissements dans la recherche et développement pour garder le leadership technologique, Biden fait du Trump à la différence qu’il tient à associer contre la Chine ses alliés au nom de « la démocratie », la vieille rengaine avancée pour couvrir l’expansionnisme impérialiste des USA.

Le communiqué final du G7 dénonce le travail forcé au Xinjiang, exige le respect de l’autonomie de Hongkong, affirme sa vigilance sur la stabilité en mer de Chine avec Taïwan et reprend à son compte le complotisme officiel des USA sur l’origine du virus du Covid-19 à Wuhan.

Affirmant la « responsabilité particulière des plus grands pays et des plus grandes économies dans le maintien du système international fondé sur des règles et du droit international », il poursuit avec « en ce qui concerne la Chine… nous continuerons à nous consulter sur des approches collectives pour contester les politiques et pratiques non marchandes qui nuisent au fonctionnement équitable et transparent de l’économie mondiale.[…] Nous réitérons l’importance de maintenir une région indopacifique libre et ouverte, qui soit inclusive et basée sur l’état de droit. Nous soulignons l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan et encourageons la résolution pacifique des problèmes entre les deux rives. Nous restons gravement préoccupés par la situation dans les mers de Chine orientale et méridionale et nous nous opposons fermement à toute tentative unilatérale visant à modifier le statu quo et à accroître les tensions ».

En résumé, en termes diplomatiques, le G7 désigne la Chine comme fauteur de troubles et une menace. Il a rejoint le projet « Rebâtir un monde meilleur » (Build Back Better World – B3W) lancé par les États-Unis pour contrecarrer celui de la Chine, la « Nouvelle route de la soie » (One Belt, One Road) qui vise à travers de nombreux projets d’infrastructures à étendre son influence. Geste à ce stade plus diplomatique que pratique d’autant que l’offensive de Biden se heurte à bien des réticences dont Macron se voudrait le porte-parole face à l’Allemagne. « Le G7 n’était pas un club hostile à la Chine » a-t-il déclaré, mais « un ensemble de démocraties qui entend travailler avec la Chine sur tous les sujets mondiaux, sur lesquels la Chine est prête à travailler avec nous, qu’il s’agisse du climat, qu’il s’agisse justement d’un vrai réengagement dans les règles du commerce mondial, qu’il s’agisse des politiques de développement et de la gestion des dettes africaines, etc. ».

En réalité, au-delà du discours et des manœuvres diplomatiques, Biden rencontre la même difficulté que Trump, les diverses interdépendances économiques et commerciales dans un monde économique multipolaire fissurent le bloc des vieilles puissances occidentales.

L’Otan, bras armé contre la Russie et la Chine

Dans la foulée, s’est tenu le 28ème sommet de l’Otan que Macron avait, en 2019, déclaré atteinte de « mort cérébrale » et qui semble reprendre vie en s’intégrant dans la stratégie américaine. « Les tentatives de l’OTAN pour construire un partenariat significatif et impliquer la Russie dans la création d’une architecture de sécurité euroatlantique post-guerre froide ont été repoussées », notent les conclusions, rappelant l’annexion de la Crimée en 2014. La Russie « va probablement demeurer la principale menace militaire pour l’Alliance » d’ici à 2030, ce qui implique une approche de dissuasion et de dialogue pour ne pas la pousser dans les bras de la Chine qualifié de « rivale systémique ». Parallèlement, l’Otan vise à se déployer en Asie...

Mais là encore les intérêts rivaux et les dépendances réciproques alimentent les tensions et les inquiétudes : « Les divergences politiques dans l’OTAN sont dangereuses, car elles permettent à des acteurs extérieurs, et en particulier à la Russie et à la Chine, d’exploiter les différends dans l’Alliance et de tirer profit d’alliés individuels de façon à mettre en péril leurs intérêts collectifs et leur sécurité ». Le capitalisme mondialisé multipolaire est d’une grande instabilité et suscite des comportements peu prévisibles que Biden aura bien du mal à maîtriser...

Prolifération nucléaire et budget militaire en hausse…

Le 14 juin, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) a diffusé une revue complète de l’état des arsenaux mondiaux qui montre que, malgré une réduction générale des stocks de têtes nucléaires dans le monde, un plus grand nombre d’entre elles ont été déployées - et donc pas seulement stockées - auprès de forces opérationnelles. Une première depuis la fin de la guerre froide, selon le Sipri, alors que la quasi-totalité de ces armements appartiennent à la Russie ou aux États-Unis.

Concrètement, les chercheurs estiment que le nombre d’armes nucléaires actuellement déployées est passé de 3 720 à 3 825 entre 2020 et 2021, une hausse répartie à égalité entre les deux pays. Sur ces 3 825, « environ 2 000 sont maintenues en état d’alerte opérationnelle élevée », note le rapport. La Russie, de son côté, a aussi augmenté « son stock nucléaire militaire global d’environ 180 ogives ».

Ce constat survient alors que Moscou et Washington ont prolongé in extremis, en début d’année et pour cinq ans, le traité sur les armes nucléaires New Start qui limite notamment à 1 550 le nombre d’ogives déployables. Un traité dont la dernière utilité est d’établir un minimum de transparence sur les armements nucléaires sans le moindre engagement des États au moment où l’ensemble des dépenses d’armement explosent dans le monde.

« Rebâtir un monde meilleur » ou la nécessité d’un nouvel ordre social international

Les décisions du G7 ne répondent pas plus à la pandémie ou aux tensions internationales que son engagement début juin d’établir, à une date non précisée, « un impôt minimum mondial ambitieux » sur les multinationales, un impôt qui ne dépasserait pas « 15 pour cent sur une base pays par pays ». Un plan de vaccination dérisoire, des discours creux sur le multilatéralisme, un impôt illusoire, autant de mesures qui prétendent répondre à la colère suscitée dans l’opinion publique à l’égard des super-riches qui se sont gavés pendant la pandémie et ont profité de plans de sauvetage à hauteur de plusieurs milliers de milliards de dollars…, les mesures du G7 sont dérisoires. Elles soulignent l’incapacité de ce système à répondre aux drames auxquels il confronte l’humanité : comment lutter contre le danger croissant de guerre, la menace de pandémie et le réchauffement climatique, la catastrophe sociale et économique en cours ? Face à ces questions soulevées par leur propre politique, la logique de l’économie de marché et du profit, les dirigeants du monde n’ont qu’une réponse, la fuite en avant.

« La petite clique » comme la Chine désigne les vieilles puissances capitalistes occidentales, est en réalité divisée sous la pression du développement du marché et de l’économie mondiale. Les grands capitalistes internationaux, les quelques milliers de milliardaires et de multimillionnaires sont reliés entre eux par leurs intérêts financiers, qui ne coïncident pas nécessairement avec les intérêts des grandes puissances qui elles-mêmes sont rivales et interdépendantes. La politique de relance économique de Biden a besoin de l’apport des capitaux venant du monde entier comme elle a besoin du marché mondial tant pour vendre ses produits que pour s’approvisionner en matière première. La Chine, comme la Russie, l’Inde ou le Brésil, aucune nation ne peut échapper aux contraintes de l’économie mondiale devenue un tout.

En réponse à cette évolution du monde, Trump avait engagé une politique de repli national, les USA contre le monde. Biden voudrait rassembler ses alliés occidentaux tout en neutralisant la Russie en isolant la Chine pour maintenir la concurrence dans un cadre qui soit favorable aux USA. Son multilatéralisme est à sens unique, il veut se soumettre l’Europe et neutraliser l’alliance Chine-Russie, mais il ne pourra empêcher le multilatéralisme réel d’une économie mondiale intégrée de faire son œuvre à travers des relations politiques internationales de plus en plus instables.

Ce multilatéralisme économique soumis à la concurrence mondialisée, à la politique des multinationales et des États aggrave les tensions et les déséquilibres, l’instabilité qui engendrent le militarisme. La guerre commerciale et économique engendre les dictateurs imprévisibles et paranoïaques, les Trump et autres Bolsonaro, conduit aux guerres, à la guerre.

Les réponses ne peuvent venir que des populations victimes de ces politiques qui créent les conditions pour que l’opposition de la classe ouvrière se développe.

En même temps que la classe dirigeante attaquait le prolétariat mondial et accumulait toujours plus de capital, elle a opéré une vaste expansion et intégration du système de production capitaliste à l’échelle mondiale. Le résultat le plus significatif et le plus révolutionnaire de ce processus - poussé par les avancées stupéfiantes de la science et de la technologie - est la croissance massive de la classe ouvrière mondiale. C’est elle qui détient la clé de la situation.

Sa puissance, combinée aux prodigieux progrès scientifiques et techniques, est porteuse d’un nouvel ordre économique prévisible, planifiable et capable de répondre aux besoins humains, le bien-être, la paix, l’harmonie avec la nature.

Yvan Lemaitre

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