Le 25 avril dernier, la Marche lesbienne appelée par le collectif Collages lesbiens, a réuni près de 10 000 manifestant.e.s à Paris. Elle dénonçait le rejet par le sénat, le 4 février dernier, de la PMA pour tout.e.s, gratuite, une promesse de campagne de Hollande puis de Macron. Votée cet été à l’Assemblée, elle a été retoquée par les sénateurs réactionnaires de LR, qui défendent les valeurs rétrogrades de la famille catholique traditionnelle, salués par la Manif pour tous et la non moins réactionnaire association « Marchons, enfants ! ».

Soutenues par l’Église et l’extrême-droite, ces associations intégristes exercent une pression continue pour défendre l’ordre patriarcal, la famille traditionnelle hétérosexuelle qui enferme la femme dans le rôle subalterne de servante et procréatrice, pilier de l’ordre moral et social de la bourgeoisie.

Mais la PMA pour tout.e.s, gratuite, comme le mariage pour tou.te.s, s’impose aujourd’hui comme une évidence, un droit démocratique lié à la modernisation de la société, à la dissolution de la famille patriarcale et au développement de formes nouvelles de la famille.

Macron ne cesse de reculer face à cette offensive idéologique réactionnaire qui accompagne l’offensive des classes dominantes contre le monde du travail et les classes populaires et, chassant sur les terres de Marine Le Pen et du RN, il a multiplié les appels du pied à la hiérarchie catholique, l’encourageant dès son arrivée au pouvoir à « nourrir de sa réflexion le débat sur les lois de bioéthique ».

Son prédécesseur Hollande avait repoussé la discussion sur la PMA pour tout.e.s jusqu’à son abandon et avait piteusement reculé en 2014 en rangeant dans les tiroirs les ABCD de l’égalité, un programme scolaire qui visait à sensibiliser les élèves dès la maternelle aux questions de genre et lutter contre les inégalités entre filles et garçons, un programme accusé par les milieux catholiques intégristes de prôner l’« indifférenciation sexuelle », de « détruire le modèle hétérosexuel de la famille ».

Ils n’ont de cesse de combattre la théorie du genre, qui décrit les stéréotypes, la construction sociale de normes qui imposent un rôle à chaque sexe, à la base des inégalités entre les hommes et les femmes, des violences de toutes sortes dont les femmes sont victimes, de leur surexploitation.

L’offensive économique et idéologique du capitalisme en faillite contre les classes populaires et les travailleur.se.s, remet partout en cause les droits conquis et tout particulièrement ceux des femmes. En retour, un vaste mouvement des femmes a émergé ces dernières années à travers le monde, qui conteste l’oppression patriarcale dans tous les domaines de leur vie, privée comme au travail.

C’est un incontestable renouveau du mouvement des femmes, à une échelle bien plus large et sur des bases bien plus radicales que dans le passé, un mouvement porteur d’émancipation pour tout.e.s les exploité.e.s. Il se pose à lui de nouvelles questions car l’offensive réactionnaire pour défendre l’ordre établi donne à la lutte pour l’égalité et pour les droits démocratiques un contenu révolutionnaire au sens où elle est inévitablement conduite à contester la logique de la défense du patriarcat indissociable de la propriété capitaliste.

Il nous pose le problème des perspectives à formuler pour le mouvement des femmes, en lien avec celui de tous les exploités. Comment contribuer à la prise de conscience que le combat des femmes constitue une des forces motrices du combat de tous les exploités pour l’émancipation, qu’il est le combat de toutes et tous ? Comment, dans cet objectif, dépasser les limites des conceptions purement féministes ?

L’offensive sociale et idéologique réactionnaire des classes dominantes… contre les droits des femmes

Partout dans le monde, les femmes sont les premières victimes des ravages de la pauvreté, de l’exclusion, des emplois les plus précarisés, dévalorisés, du développement de l’économie informelle, des migrations. Cette régression de la condition des femmes a été accélérée et renforcée par la pandémie. Ce sont aussi les violences sexistes, sexuelles, religieuses, les féminicides, qui sont en forte progression, expression d’une société capitaliste barbare en décomposition qui maintient sa domination à travers le patriarcat. Une société dans laquelle le viol se répand comme une arme de guerre en toute impunité en Afrique et au Moyen-Orient, qui exploite des dizaines de milliers de femmes et de migrantes comme esclaves sexuelles dans les zones de conflits, esclaves domestiques séquestrées, des centaines de millions mariées de force, mineures pour la plupart. Une société dans laquelle des dizaines de milliers de femmes meurent chaque année dans le monde sous les coups de leur conjoint, à l’image d’un des derniers en date, l’atroce assassinat de Chahinez brulée vive par son conjoint dans la banlieue de Bordeaux.

Le droit à l’avortement est remis en cause dans de nombreux pays, en particulier avec l’arrivée au pouvoir de gouvernements d’extrême-droite ou de droite extrême, comme au Brésil, en Hongrie, en Pologne qui s’est traduite par une attaque en règle contre les droits des femmes, contre l’égalité, au nom de la « réhabilitation des valeurs traditionnelles de la Famille ». L’une des premières décisions de Trump président, dans un des pays les plus modernes du monde, a été de supprimer le financement des organismes pratiquant des avortements aux États-Unis et dans d’autres pays. En 2018, les femmes espagnoles sont descendues par dizaines de milliers dans la rue pour défendre ce droit.

En février 2019, un rapport du Parlement européen pointait le « recul des droits des femmes et de l’égalité hommes-femmes dans l’Union », dans tous les domaines de la protection sociale, l’éducation, la santé, l’égalité salariale, les droits sexuels et reproductifs ou encore les violences faites aux femmes.

Face à l’offensive réactionnaire, le mouvement des femmes pour leurs droits, contre le patriarcat, remet en cause l’ordre social établi et la propriété privée

En quelques années, un vaste mouvement de masse des femmes a déferlé sur la planète, de la vague #MeToo qui a fait le tour du monde en 2017, aux mobilisations pour le droit à l’avortement et à l’égalité, en passant par toutes les luttes dans lesquelles les femmes ont été en première ligne dans les révolutions arabes ou Black Lives Matters aux USA, contre le racisme et les violences policières.

En octobre 2018, Le Monde titrait « #MeToo, du phénomène viral au mouvement social féminin du XXIe siècle ». La révolte des femmes contre le patriarcat de l’Argentine à l’Espagne, l’Inde, la Pologne… sous ses multiples formes, explose dans un vaste mouvement de sororité internationale.

Intégrées massivement sur le marché du travail mondialisé, sur tous les continents, les femmes, arrachées à l’arriération du patriarcat des campagnes et des villages, -un progrès considérable-, ont intégré le monde du travail, les secteurs modernes de la production, conquis des droits sociaux et démocratiques. Elles représentent aujourd’hui la moitié de la population active mondiale. Elles aspirent à l’égalité et à la liberté, qui entrent violemment en conflit avec le patriarcat et les idéologies réactionnaires et préjugés rétrogrades.

Chaque lutte des femmes dans un pays devient celle de toutes les femmes.

En Espagne, en 2018, 5,3 millions de femmes en colère se sont mises en grève pour réclamer la fin des discriminations de genre dans le monde du travail. L’année suivante, leur mobilisation contre les restrictions du droit à l’avortement, a été soutenue dans de nombreux pays par des dizaines de milliers de femmes. En 2015 et 2016, dans plusieurs villes d’Argentine, les manifestations massives contre le féminicide sous le slogan « Ni una menos » (pas une de moins) avaient été suivies en Uruguay, au Chili et au Pérou. De même que des centaines de « Women’s march » dans de très nombreuses villes du monde, avaient eu lieu à l’appel des femmes américaines contre le machisme grossier de Trump qui avait tenu des propos sexistes et haineux contre les femmes tout au long de sa campagne. Plus de 2 millions de personnes y avaient pris part le lendemain de l’intronisation de Trump.

Le mouvement des femmes s’inscrit dans la lutte globale des classes exploitées contre l’exploitation capitaliste. En luttant contre le patriarcat, il pose le problème d’en finir avec l’ordre social capitaliste et la propriété privée.

Le patriarcat qui assigne la femme au rôle de procréatrice au sein de la famille patriarcale monoparentale pour la transmission de la propriété de l’homme à une descendance incontestée, est né avec l’apparition de la propriété privée et des sociétés de classes, et sa disparition est la condition pour en finir avec le patriarcat.

C’est cette compréhension matérialiste, scientifique de l’origine et de l’histoire du patriarcat, des mécanismes de cette oppression, qu’Engels formulait dans son ouvrage L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat publié en 1884, qui dotait la lutte des femmes, « la première classe opprimée » des bases scientifiques pour son émancipation.  

Il écrivait : « Les tâches domestiques devinrent alors une affaire « privée » et la femme se retrouva confinée au foyer familial ». Ce fut « la défaite historique du sexe féminin ». Il écrivait : « L’homme a pris aussi le commandement dans le foyer ; la femme a été dégradée et réduite à la servitude ; elle a été transformée en esclave de sa luxure et en un simple instrument pour la production d’enfants ».

Le patriarcat a maintenu les femmes dans ce rôle à travers toute l’histoire des sociétés de classes, mais c’est avec la bourgeoisie que la famille patriarcale a imposé le plus crûment à la femme la domination du capital.

Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels écrivaient : « Abolition de la famille ! Même les radicaux les plus avancés s’indignent de cet infâme dessein des communistes.

Quelle est la base de la famille actuelle, de la famille bourgeoise ? Le capital, le gain individuel. Pleinement développée, elle n’existe que pour la bourgeoisie ; mais elle a pour contrepartie, la privation de famille imposée aux prolétaires et la prostitution publique. 

La famille du bourgeois cesse naturellement d’exister en même temps que son complément, et tous deux disparaissent en même temps que le capital ».

Plus que jamais aujourd’hui, l’intégration mondialisée des femmes à la production et au salariat donne une réalité très concrète à ce qu’écrivaient Marx et Engels. Elle contribue à la dissolution de la famille patriarcale bourgeoise vers d’autres formes, familles recomposées, monoparentales, homoparentales… qui préfigurent d’autres relations familiales, et crée les conditions pour en finir avec le patriarcat.

Pour un mouvement féministe qui fasse du combat des femmes pour leur émancipation celui de tous les exploités

Le mouvement féministe actuel, dans ses différentes composantes est aujourd’hui confronté au mouvement mondial des femmes. Mais l’absence d’une boussole de classe, de notre camp social, laisse le champ libre à la théorisation de chaque révolte ou exigence sans réussir encore à développer une perspective globale.

Le mouvement des femmes et des LGBTIQ a libéré les femmes de leur seule fonction de procréatrices, affirmant une sexualité pour le plaisir séparée de la reproduction, une avancée majeure dans la lutte des individus pour leur émancipation.

En France, les mouvements #Me too, la « Marche des grandes gagnantes ! On arrête toutes ! », les colleuses… participent de ce renouveau mondial d’un mouvement féministe rajeuni, d’une libération de la parole et des corps, qui revendique l’égalité et lutte contre la domination masculine sous toutes ses formes. C’est une formidable avancée qui inscrit la lutte de libération des femmes dans la perspective de la lutte de toutes les femmes, salariées, premières de corvées dans les secteurs les plus exploités du ménage, de l’hôtellerie, restauration, des services à la personne, la santé… dans celle de la lutte de tous les exploité.e.s pour en finir avec l’exploitation.

La théorie de l’intersectionnalité, formulée en 1989 par l’afro-féministe américaine Kimberlé Crenshaw voulait rendre compte et intégrer les oppressions croisées du sexisme et du racisme subies par les femmes afro-américaines aux Etats-Unis dans un féminisme qui était essentiellement celui des femmes privilégiées blanches. Sans boussole de classe, le féminisme intersectionnel a évolué aux Etats-Unis même, et plus tard en Europe, vers la théorisation de revendications spécifiques de sexe, de genre, de « race », sans réussir à englober toutes ces oppressions dans une même lutte contre l’oppression de classe pour le renversement du capitalisme.

D’autres évolutions sont apparues avec les théories queer, initiées par la féministe américaine Judith Butler en 1990 dont le livre « Trouble dans le genre » a été traduit en France en 2005. Elle y décrit le genre comme une construction sociale, qu’elle élargit au sexe biologique, niant la réalité d’un sexe biologique qui est notre lien à la nature, au monde animal dont l’humanité est partie intégrante. Une construction idéaliste qui veut répondre à la révolte profonde et à la souffrance de femmes et d’hommes contre l’oppression insupportable du patriarcat et l’assignation à un genre. Les progrès de la science et de la médecine peuvent permettre de changer de sexe, mais ils ne peuvent être une réponse aux souffrances engendrées par le patriarcat, par l’oppression et les discriminations, par les rapports sociaux qui, dans leurs multiples manifestions, trouvent leurs racines dans les rapports de domination et d’exploitation de classe.

Quelles que soient les oppressions, et il n’y a pas de hiérarchie entre elles, la lutte contre les discriminations ne se divise pas, elle est indissociable de la lutte globale contre le capitalisme.

Donner un contenu de classe, révolutionnaire à l’intersectionnalité, celui de la convergence des combats

L’émancipation des femmes nécessite de donner aux théories intersectionnelles qui décrivent la réalité des multiples oppressions des femmes, un contenu de classe qui unifie les combats, les intègre dans un même combat révolutionnaire. Parce qu’il en fait « les prolétaires des hommes », les plus exploitées, victimes de toutes les oppressions, les femmes, en luttant contre le patriarcat, sont à l’avant-garde d’un combat qui résonne à l’unisson d’un bout à l’autre de la planète et qui, même si les femmes ne constituent pas une classe sociale en elle-même prend aujourd’hui un contenu révolutionnaire, de classe.

On les a vues en tête des révolutions arabes contre les dictatures et la démocratie, des mobilisations contre le racisme et les violences policières comme aux États-Unis dans le mouvement Black Lives Matter. Elles sont au premier plan dans les luttes et résistances d’Amérique Latine ou d’Afrique contre les conséquences du pillage des ressources et la destruction de la planète, ou dans les pays d’Asie contre l’exploitation féroce des multinationales du textile qui impose aux ouvrières des conditions inhumaines dans des ateliers insalubres.

Surmonter les divisions, faire de la lutte contre chaque discrimination, chaque oppression, une lutte convergeant vers une perspective commune d’émancipation est une condition pour que le mouvement des femmes puisse porter la perspective de notre émancipation indissociable de l’émancipation de tous les exploités, de l’émancipation collective.

Pas de combat pour l’émancipation sans combattre les religions de toutes obédiences, instruments de soumission des femmes

Les femmes ne peuvent lutter pour leurs droits, leurs libertés, sans combattre les religions, quelles qu’elles soient. Les religions participent de l’oppression sociale, instrument idéologique des classes dominantes en prônant la soumission, la morale de l’ordre établi. Elles sont le principal allié de tous les pouvoirs, des impérialismes et puissances régionales partout dans le monde pour imposer aux peuples l’aggravation de l’exploitation. L’offensive des religions qui accompagne l’offensive du capitalisme mondialisé est particulièrement violente et meurtrière envers les femmes. Partout dans le monde, les religions de toutes obédiences imposent des reculs considérables à leur condition, y compris dans les pays les plus avancés comme on l’a vu avec la remise en cause du droit à l’avortement dans beaucoup d’entre eux.

Au Moyen-Orient, en Afrique, tout comme en Amérique et en Europe, les droits conquis des femmes sont bafoués, remis en cause par des religieux qui veulent imposer leur obscurantisme et leurs préjugés rétrogrades, leur haine des femmes à toute la société, avec des conséquences d’autant plus dramatiques pour elles lorsqu’ils sont au pouvoir.

Des femmes, de plus en plus nombreuses, sont contraintes de couvrir leur corps, de porter le voile, la perruque ou autre instrument de leur soumission, sont bafouées, violées, réduites à l’esclavage, niées… perdent leurs droits civiques, leurs droits à l’accès aux soins, à l’éducation… sont menacées d’un retour aux « valeurs traditionnelles de la famille » sous la pression réactionnaire des religions. Aucune religion ne peut exprimer une quelconque émancipation, même lorsqu’elle est prétendument la religion d’un peuple opprimé tant toutes les religions sont les ennemies des femmes, de leur corps et de leur liberté. La lutte contre l’oppression religieuse est fondamentale et partie intégrante de la lutte contre le patriarcat, pour l’émancipation.

Le mouvement des femmes, la force renaissante du mouvement ouvrier, a besoin pour se développer d’une théorie pour l’émancipation, le marxisme

Le mouvement de masse des femmes contre le patriarcat et toutes les oppressions, sexistes, sexuelles, racistes, religieuses qui a fait irruption sur la scène mondiale depuis une dizaine d’années s’inscrit pleinement dans la lutte sociale des opprimés contre l’aggravation de l’exploitation du capitalisme mondialisé et l’offensive idéologique des classes dominantes. Il est en cela une composante de la renaissance de la contestation de la domination capitaliste et de celle du mouvement ouvrier.

Les femmes défient leurs oppresseurs, leur morale, leur violence, libèrent leur parole et leurs corps, mais pour que leur mouvement s’unifie, se renforce, devienne un combat révolutionnaire armé de la conscience des évolutions en cours qui rendent nécessaire le combat pour le socialisme, il a besoin d’une perspective globale et d’une théorie pour son émancipation, le marxisme.

Portées par le mouvement ouvrier révolutionnaire, ces idées avaient trouvé leur réalisation concrète pour les femmes dans les premières mesures de l’État ouvrier, né en Russie de la révolution d’octobre 17, qui avaient libéré la femme du foyer en l’intégrant pleinement à la production socialisée, à la vie politique et en collectivisant toutes les tâches domestiques et d’éducation des enfants, en légalisant l’avortement et la contraception, en abolissant le mariage religieux. Ces conquêtes furent remises en cause par la contre-révolution bureaucratique stalinienne qui imposa son pouvoir et ses privilèges en ramenant « le vieux fatras », les anciennes valeurs bourgeoises, la sacro-sainte famille, s’empressant de remettre les femmes sous le boisseau, d’interdire l’avortement. Partout, les partis communistes stalinisés s’alignèrent et imposèrent dans le mouvement ouvrier des conceptions rétrogrades. Le PCF se présentait alors comme le meilleur « défenseur des familles françaises », farouche partisan d’une politique nataliste, hostile à l’avortement et à la contraception y compris lorsque les droits des femmes à l’égalité, à disposer de leur corps, la séparation de la sexualité et de la procréation, étaient devenus un fait social établi du fait du combat des femmes et de la modernisation de la société.

Un nouveau féminisme matérialiste, se revendiquant du marxisme est né en rupture avec cette caricature dans les années 60-70 et de fait aussi en dehors du mouvement ouvrier. La théorie développée par Christine Delphy démontrait que le patriarcat, l’oppression des femmes trouvaient leur origine dans des causes matérielles liées à l’organisation de la société et non pas dans la nature dite spécifique des femmes. Mais elle analysait les rapports sociaux de sexe, c’est-à-dire le genre comme un rapport entre deux classes antagonistes, la classe des hommes et celle des femmes, faisant de l’homme « l’ennemi principal », et le mode de production domestique le cœur de la lutte des classes, devenue lutte entre les sexes.

Aujourd’hui, la théorie de la reproduction (Féminisme pour les 99 %. Un manifeste, de Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser) décrit l’oppression des femmes comme la conséquence de leur place spécifique dans la production et la reproduction des travailleur.se.s. Le travail participe pour l’essentiel à la production des futur.e.s travailleur.se.s par la procréation et l’éducation des enfants ; il assure leur reproduction par le soin quotidien qui leur est apporté, tant en termes matériels (maison, nourriture, repos) qu’émotionnels (soins psychologiques, affection). Ce travail spécifique a été et demeure encore très majoritairement effectué par les femmes, et il constitue la base matérielle de la domination qui s’exerce sur elles. Cette théorie exprime le développement des luttes des femmes comme lutte sociale et politique dont témoigne la grève féministe internationale du 8 mars, portée depuis 2017 par le collectif argentin Ni Una Menos. Elle exprime le rôle de plus en plus grand des femmes dans les luttes non seulement pour leurs propres droits mais, de façon plus générale, dans celles des classes exploitées et opprimées dont elles sont pleinement partie prenante pour la défense des droits collectifs.

Le mouvement des femmes réconcilie aujourd’hui dans une même lutte de classe, la lutte contre l’exploitation capitaliste de tout.e.s les opprimé.e.s contre les formes spécifiques d’exploitation dont elles sont victimes et la lutte contre le patriarcat. Il s’inscrit dans la perspective d’une émancipation générale dont chaque mobilisation, chaque combat renforce la conscience collective des femmes qu’il faut en finir avec le capitalisme pour se libérer de toutes les oppressions et qu’en luttant pour leur propre émancipation, elles luttent pour l’émancipation de toutes et tous. Elle renforce surtout la conscience de leur place dans ce combat, de leur capacité à en être les principales animatrices, dirigeantes, contre les préjugés machistes qui affaiblissent nos luttes.

Le mouvement d’émancipation ne pourra réellement renaître sans que les femmes y conquièrent leur place dirigeante pour insuffler aux hommes la force de leur propre libération des préjugés de l’idéologie dominante. Les femmes cesseront d’être les prolétaires des hommes en prenant en main l’émancipation de toutes et tous.

Alors pourra se construire une société débarrassée de toutes les discriminations, les oppressions dans laquelle se réconcilieront hommes et femmes, dans laquelle chacun.e se réconciliera avec lui-même et avec la nature.

Christine Héraud

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