Comme l’écrit Le Monde, une « Biden-mania » touche les milieux économiques et politiques français, fascinés par les deux plans de relance d’une ampleur sans précédent que Biden vient de lancer coup sur coup, 3900 milliards de dollars au total, dont, cerise sur le gâteau, 2000 seraient financés par une augmentation des impôts sur les entreprises et la taxation des multinationales.

Les médias s’enthousiasment, titrant sur la « révolution fiscale », le « changement de paradigme », un nouveau New Deal aux USA. Mélenchon, parmi bien d’autres, approuve : « c’est la bonne méthode qu’applique Biden » en faisant du « keynésianisme de base », « ils ont une politique qui ringardise le Vieux continent ».

Pas de « révolution fiscale » en effet pour le gouvernement français, bien décidé à ne pas augmenter les impôts, surtout ceux des riches. Et question « sauvegarde de l’économie et de l’emploi », c’est toujours le « quoi qu’il en coûte » avec l’annonce récente que les dettes de certaines entreprises pourraient être annulées, assortie de l’affirmation répétée en boucle que, la crise sanitaire passée, il faudra bien payer la facture.

Les « différences » entre les politiques de Biden et de Macron ne relèvent pas d’un quelconque choix entre néo-libéralisme et néo-keynésianisme ou de choix idéologiques. Elles dépendent des moyens économiques et politiques dont chaque puissance dispose pour développer son propre « plan de sauvetage », renflouer le capitalisme en déroute, dans le cadre des rapports de force internationaux. La politique de Biden s’inscrit également, sous une autre étiquette, « America is back » au lieu du « America first » de Trump, dans la logique de la concurrence avec la Chine, comme aussi avec les autres grandes puissances.

Ces politiques répondent à une même préoccupation : faire face dans l’urgence aux menaces d’explosion sociale et d’effondrement financier qui se font de plus en plus pressantes et paniquent la bourgeoisie et ses politiciens. Préoccupation dans laquelle s’inscrivent également les deux décisions prises récemment par le FMI au nom d’une prétendue lutte contre les inégalités entre pays pauvres et pays riches, permettre à certains pays de retarder d’un an de plus le paiement des intérêts de leur dette et lancer une émission massive de DTS (Droits de tirage spéciaux) pour aider les pays membres à reconstituer leurs fonds de réserve mis à mal par les dépenses liées à la pandémie.

Quels que soient les discours dont elles se parent, ces mesures ne règlent rien sur le fond. Elles ne font au mieux que retarder le mouvement qui entraîne le capitalisme financiarisé vers l’effondrement, la folie spéculative qui règne sur les marchés, l’emballement de l’endettement, le creusement de plus en plus insupportable des inégalités sociales.

Biden et le « nouveau paradigme »

Avec les annonces de ses plans, Biden, serviteur inconditionnel de Wall Street depuis des décennies, pose aujourd’hui à l’homme de gauche, mettant en scène sa prétendue volonté de « faire payer les riches », pour le bien de tous. Mais ce bien de tous, c’est avant tout celui de la bourgeoisie américaine qui va, en fin de compte, bénéficier des milliards ainsi distribués, tout en espérant que ces plans contribueront à enrayer une régression sociale injustifiable au regard de l’exubérance financière et dont la révolte sociale, au bord de l’explosion, est la conséquence directe.

Sur les 1900 milliards de dollars du plan de relance voté le 14 mars, 400 seront consacrées à des aides directes aux familles. Des chèques, allant jusqu’à 1400 euros par personne ont déjà commencé à être distribués. Le plan prolonge jusqu’en septembre des allocations chômage exceptionnelles. 15 milliards de dollars iront à la vaccination, 50 milliards aux tests, 10 milliards à la production de vaccins, 126 milliards de dollars aux écoles, de la maternelle au lycée, pour soutenir leur réouverture malgré la pandémie, 350 milliards aux Etats et aux collectivités locales.

Quant au second, de 2000 milliards de dollars, il sera consacré à la remise en état d’infrastructures délabrées par des décennies d’abandon, entre autres le réseau routier où est prévue la remise en état de 10 000 ponts et 32 000 kilomètres de route. Et Biden se targue du fait que la moitié de la somme portera sur des travaux s’inscrivant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce plan répond à une nécessité urgente, y compris pour la bourgeoisie, dont les affaires pâtissent de ce délabrement général. Les travaux, prévus sur 8 ans, constitueront en même temps une opportunité pour le patronat

Biden a décidé de financer ce plan par l’augmentation du taux d’imposition des sociétés, ce qui permettrait de récupérer 1000 milliards sur quinze ans. Une somme qui reviendra pour partie au patronat et à relativiser par ailleurs au regard de celles qui sont injectées en permanence par la FED dans l’économie américaine, à commencer par les 80 milliards mensuels qu’elle consacre à racheter les obligations d’État. En fait, Trump avait baissé ce taux de 35 à 21 %, Biden souhaite les amener à 28 %. Il corrige pour une part la brutalité de la politique de Trump, mais reste dans une logique d’imposition des entreprises globalement à la baisse. La « révolution fiscale » a ses limites… Elle sert, comme les mesures dites sociales ou écologiques des plans, comme les discours de Biden qui promet « des millions d’emplois, des emplois bien rémunérés », à donner le change et masquer le véritable enjeu de cette injection massive d’argent dans l’économie, financer la bourgeoisie US dans sa lutte face à la concurrence chinoise, rendre les USA « plus compétitifs dans le monde », voire les mettre « en position de gagner face à la Chine » …

D’America First à America is back

Cette politique contribue aussi à soutenir la bourgeoisie US vis-à-vis des vieilles puissances capitalistes occidentales. Biden a proposé aux pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) de s’engager sur un taux minimum de l’impôt qu’elles demandent aux entreprises multinationales qui s’implantent sur leur territoire. Il s’agirait d’éliminer « les déductions accordées aux entreprises qui délocalisent des emplois et déplacent des actifs à l'étranger ». Sont visés des pays comme l’Irlande, qui, grâce à des taux d’imposition nuls ou presque, permettent à des multinationales qui y implantent leurs centres financiers d’échapper au fisc de leur pays d’origine. L’harmonisation mondiale de la fiscalité permettrait de mettre fin à ces opportunités, de ramener au bercail toute une partie des recettes fiscales qui échappent aux pays d’origine des multinationales, en grande partie US. Sous couvert de « multilatéralisme » retrouvé, c’est bien d’une offensive de la bourgeoisie US qu’il s’agit.

A usage de politique interne, Biden prétend que cette mesure permettrait de récupérer les 1000 milliards de dollars manquant pour boucler le budget de son plan… Mais que ces « prévisions » se réalisent ou pas, Biden peut compter sur « l’argent magique » de la FED. « Le soutien sans faille de la réserve fédérale, qui achète 80 milliards de bons du trésor tous les mois, et le statut du dollar, monnaie mondiale, lui permettent d’envisager sans crainte de creuser la dette fédérale et les déficits extérieurs. », écrivent Les Echos.

Ce soutien donne en effet au gouvernement US les moyens de mener une politique de relance sans équivalent. Mais il contribue aussi à l’emballement de la dette et de la spéculation. La politique de Biden peut offrir un répit à la bourgeoisie américaine, mais ne peut rien pour freiner la fuite en avant vers le krach financier et le creusement des inégalités sociales. C’est un pas de plus dans la guerre commerciale que Biden accentue, dans la continuité de Trump, contre la Chine, l’Europe et le reste du monde. Cela ne peut qu’accentuer l’instabilité économique et politique internationale, une politique du chaos accélérant la marche à la faillite.

Le Maire-Macron, « quoi qu’il en coûte »… pour la population

Le Maire, qui a fait de la taxation des GAFAM un de ses chevaux de bataille, n’a pas manqué de se féliciter de la proposition de Biden. Mais pas question pour lui de le suivre dans le reste de sa « révolution fiscale ». Le gouvernement s’en tient à ce qu’il rabâche depuis des mois : il n’y aura pas d’augmentation d’impôts, encore moins de retour de l’ISF. Il envisage de lever éventuellement une contribution ponctuelle pour compenser une partie des dépenses liées à la pandémie, mais elle ne concernera pas seulement les plus riches, les classes moyennes devront aussi mettre la main à la poche.

Face à la vague de faillites qui se profile, Le Maire a annoncé que les dettes de certaines entreprises pourraient être annulées. Mais que les créanciers privés ne s’inquiètent pas, ils ne perdront rien ! Nombre d’entreprises ont eu recours à des PGE, prêts garantis par l’État. Un patron explique au journal Les Echos, « c'est un non-dit mais tout le monde pense que la solution, c'est que les PGE soient transformés en subvention ». L’État subventionnerait les entreprises pour qu’elles puissent payer leurs dettes… Une entourloupe dont les banques seront les premières bénéficiaires, et qui se traduira par une nouvelle augmentation de la dette et des déficits publics. Quant aux entreprises et emplois en question, advienne que pourra du moment que les banques auront récupéré leur mise…

Plus les déficits se creusent, plus la dette s’entasse, plus Macron et son gouvernement en prennent prétexte pour justifier leurs mauvais coups. L’annonce par Le Maire d’un retour, en cinq ans, du déficit sous le seuil de 3% du PIB est une déclaration de guerre aux travailleurs et à la population. Une guerre qui s’est déjà intensifiée avec la réforme du chômage et la promesse de reprendre dès « que la situation le permettra » celle des retraites, ainsi que l’annonce d’une « réduction des dépenses de l’Etat ».

Cette politique ne doit rien à la « ringardise » du gouvernement français pour reprendre l’expression de Mélenchon. Les classes dominantes cherchent à échapper au piège dans lesquelles elles se sont enfermées, et l’Etat cherche la politique la plus adaptée à la défense de leurs intérêts généraux, y compris quand ces derniers sont remis en cause par les intérêts privés. Le soutien de la FED et du dollar donne à Biden les moyens de mener sa politique, mais ces moyens manquent à Macron. Une politique semblable à celle de Biden serait certainement possible à l’échelle de l’UE, mais, incapable de dépasser les rivalités nationales, celle-ci n’en a pas les moyens politiques. Le plan de relance européen de 750 milliards voté en juillet 2020 n’a toujours pas été mis en œuvre faute de validation par certains Etats. Les retards dans la vaccination anti-covid en sont une autre illustration. Les Echos titraient récemment sur « Le grand déclassement de la zone euro ». Sous l’effet de la stagnation généralisée, exacerbée par la pandémie, l’UE semble se déliter, entraînant ses pays membres, même les plus riches, dans son « déclassement ». Déclassement qui a toutes les probabilités de se poursuivre alors que s’exacerbe la guerre économique entre les USA et la Chine.

Dans ce contexte, ce qui reste à Macron et son gouvernement, c’est la poursuite et l’accentuation de leur offensive contre les travailleurs et la population. Et à se préparer à un affrontement social qu’ils savent inévitable, en cherchant à diviser les classes populaires par leur offensive réactionnaire et xénophobe tout en augmentant leur arsenal répressif, policier et judiciaire. Comme ils viennent de le faire avec le vote au Parlement, ce jeudi, de la loi pour « une sécurité globale préservant les libertés » concoctée par Darmanin et amendée, dans un sens encore plus réactionnaire, par le Sénat.

Le FMI ou la farce de la lutte contre les inégalités

Le FMI, lui, prétend lutter contre les inégalités entre pays riches et pays pauvres. Il annonçait ainsi, la semaine passée, un nouveau report d’un an du paiement des intérêts de leur dette pour les pays pauvres en difficulté, tout en insistant sur le fait que ce serait le dernier qui leur serait accordé et que la part de leur dette détenue directement par le FMI ne serait pas annulée. Pas question de créer un précédent laissant entendre qu’il serait possible, pour un pays pauvre, d’échapper au remboursement de ses dettes, en particulier vis-à-vis des créanciers privés pour lesquels le FMI joue le rôle de pourvoyeur et d’huissier. Le délai supplémentaire accordé pour le paiement des intérêts n’a pas d’autre but que de repousser les échéances, éviter de précipiter des faillites si cela peut permettre de sauver le principal.

Le FMI a décidé d’une émission massive de DTS, devise spécifique pouvant servir de monnaie de réserve aux États membres. Elle est formée d’un « panier » des principales monnaies, dollar US, euro, yuan chinois, yen japonais et livre sterling. L’émission prévue, de 650 milliards de dollars, serait destinée à renflouer les réserves des États mises à mal par les mesures prises par la lutte contre la pandémie. Sauf que la répartition de ce stock de monnaie nouvelle se fera, selon les règles du FMI, au prorata des quotes-parts dont dispose chaque membre, autrement dit de sa puissance économique. Les USA s’y taillent la part du lion, avec plus de 16 % du stock de quotes-parts. La Chine en possède 6 %, la France 4 %, tandis que les pays les plus pauvres n’en détiennent, pour certains, que quelques centièmes de %. Prétendre que cette émission massive de DTS permettra de combattre les inégalités entre pays pauvres et riches est une mauvaise plaisanterie. De fait, cette émission complète la politique de la FED, l’injection massive de capitaux frais dans un système financier international sous perfusion, et dont les premiers bénéficiaires seront les financiers US. Quant aux inégalités, elles continueront inexorablement de se creuser.

Un renflouement qui ne peut, au mieux, que retarder la faillite

Débarrassées du bluff et des mensonges dont elles sont enveloppées, les politiques de Biden, Macron ou du FMI apparaissent pour ce qu’elles sont. Confrontées à la double menace d’un krach financier et de la montée des révoltes sociales, elles cherchent à retarder les échéances, à sauver l’essentiel le maintien d’un mode de production sénile, parasitaire. Mais elles sont bien incapables de s’attaquer aux causes du mal, dont la principale est la monstrueuse excroissance d’un capital spéculatif qui menace à tout instant de tout entraîner dans son effondrement. Bien au contraire, les États, les banques centrales, qui maintiennent le capitalisme financiarisé sous perfusion depuis la crise de 2008-2009, ne cessent d’augmenter leur dose d’argent frais. Il s’agit de « rassurer » les marchés, de retarder au maximum, à défaut de pouvoir l’éviter, la panique qui entraînera tout l’édifice.

La folie règne sur la Bourse. Une société qui ne produit strictement rien, Coinbase, spécialisée dans le change de cryptomonnaies, vient de rentrer au Nasdaq, valorisée à 86 milliards de dollars ! Et il suffit de comparer la somme prétendument « pharaonique » de 2 000 milliards du plan de Biden, prévue pour être dépensée en 8 ans, aux 6 600 milliards qui sont échangés tous les jours de façon totalement spéculative sur le marché des changes pour prendre la mesure du parasitisme du capital financier.

La révolution fiscale, un faux semblant, la révolution sociale, une nécessité pour exproprier le capital

La prétendue « révolution fiscale » de Biden n’est qu’un leurre destiné à semer l’illusion qu’une autre politique, sociale, porteuse de l’espoir de sortir du marasme dans laquelle sont plongés des millions de personnes est en cours aux Etats-Unis alors que s’amplifie le soutien aux plus riches, aux multinationales, à la finance.

Ce leurre fait son effet dans le milieu politique et économique français, où le débat fait rage. Et quand Mélenchon prétend que « c’est la bonne méthode qu’applique Biden », il y croit peut-être, mais il y voit certainement matière à argument électoral. Une arme contre la « ringardise » de ses adversaires… et un leurre destiné à détourner la révolte sociale sur le terrain institutionnel.

C’est bien au contraire de cette révolte sociale, des mobilisations qui montent partout dans le monde que peut naître la seule issue possible. Ça n’est pas d’une « révolution fiscale », même mondiale, dont l’humanité à besoin. C’est d’une révolution sociale, la prise de contrôle démocratique de l’économie par les travailleurs. Une des mesures centrales en est la socialisation des multinationales, au sein desquelles s’est structurée une nouvelle façon de produire et d’échanger, reposant sur la coopération des travailleurs du monde entier grâce aux technologies de l’information et de la communication. Débarrassé de la mainmise du capital financier parasitaire et d’une concurrence destructrice, cet appareil de production et d’échange mondialisé, dirigé par une planification démocratique, sera alors à même de remplir sa mission : assurer ses moyens de subsistance à l’ensemble de l’humanité, tout en assurant la pérennité de notre environnement naturel.

Daniel Minvielle

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to Twitter

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn