Malgré les pressions, violences et interdictions policières, des dizaines de milliers de manifestants sont à nouveau descendus dans les rues samedi dernier contre les lois liberticides. Profitant de la crise sanitaire, le gouvernement s’engage plus avant dans la mise en place d’un régime d’exception permanent dont le « couvre-feu » est un symbole. Mercredi, jour anniversaire de la loi sur la laïcité de 1905, il a présenté son projet de loi anciennement sur le séparatisme, dit maintenant « confortant les principes républicains ». Ces « principes », a déclaré Castex au sortir du conseil des ministres, « font l'objet d'attaques répétées, insidieuses ». […] Ce « travail de sape, a-t-il ajouté, est bien souvent le fait d'une idéologie pernicieuse portant le nom d'islamisme radical ». La messe est dite, si on peut dire.
Invoquant l’imposture de la « protection des libertés » et de la lutte contre le terrorisme, le pouvoir cherche à créer et entretenir suspicion, méfiance et racisme à l’égard de tous les musulmans ou ceux qui sembleraient l’être. La présentation de la loi survient après la dissolution il y a quelques jours du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et de l’association Baraka City et quelques mois après la mise en place des Cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir), au nombre de 98 sur tout le territoire qui rassemblent et croisent les informations remontant de l’Éducation nationale, des Finances publiques, de la CAF sous l’autorité d’un préfet et d’un procureur. La loi se réclame d’une laïcité version Valls, Macron ou Le Pen pour justifier des ingérences de l’État dans l’organisation d’un seul culte religieux, l’islam, sans toucher un cheveu des privilèges de l’Eglise catholique dont les établissements scolaires, par exemple, sont financés grassement par l’État.
Tous les articles de cette loi se rajoutent à des dispositions légales déjà existantes, durcissent des condamnations de délits déjà répertoriés et introduisent de façon insidieuse des accusations fondées sur les intentions et non sur les seuls actes, à l’image de l’article 18 sur le « délit de mise en danger de la vie d'autrui par divulgation d'informations relatives à sa vie privée », qui rappelle l’article 24 de la loi de sécurité globale condamnant la diffusion « dans l’intention de nuire » des images de policiers.
Cette loi comme celle sur la sécurité globale ou les décrets élargissant le fichage des militants s’inscrivent dans l’offensive contre les libertés qu’avaient lancée Hollande et Valls après les tueries de novembre 2015 en instrumentalisant l’émotion et l’horreur suscitées par les attentats du Bataclan et des terrasses à Paris. Depuis lors l’état d’urgence a été prorogé à six reprises puis certaines de ses dispositions ont été pérennisées par la loi entrée en application le 1er novembre 2017. Parallèlement, les dispositifs policiers et les violences à l’égard des manifestants sont allés croissants depuis le mouvement contre la loi Travail en 2016.
Et de toute évidence la bataille policière que mène le pouvoir n’est pas que législative, elle est politique et se mène aussi sur le terrain en faisant manœuvrer les forces de police comme ce fut encore le cas principalement à Paris samedi. Cette politique policière dont le préfet Lallement est le zélé exécutant vise à décourager toute volonté de manifester en prenant prétexte des comportements marginaux de Black Blocs pour justifier leurs violences, leurs provocations et incursions agressives au sein même de la manifestation tout en discréditant les manifestants.
Aveuglé par sa vision policière de la politique, le pouvoir est en réalité en train de s’enfermer dans une logique qui méprise l’opinion publique. Les brutalités de ses sbires peuvent dissuader de manifester, mais elles ne peuvent empêcher de réfléchir et de comprendre que c’est ce pouvoir qui a la trouille et que la situation pourrait bien se retourner contre lui. Ce à quoi il nous faut nous préparer.
Macron et son ami dictateur
Deux jours avant la présentation de sa loi raciste, Macron déroulait le tapis rouge pour celui qu’il appelle son « ami » al-Sissi, le dictateur égyptien, allant jusqu’à lui décerner, en toute discrétion, la plus haute distinction française, la grand-croix de la Légion d'honneur. Ancien chef des renseignements militaires sous Moubarak, ministre de la Défense dans le gouvernement du président Morsi issu des Frères musulmans après la révolution de 2011, al-Sissi a appelé l’armée à revenir au pouvoir par un coup d’état en juillet 2013 après quoi il s’est fait élire président avec 96 % des voix en 2014 et réélu en 2018 avec 97 % des voix. Sous sa direction et celle de l’armée, l’État égyptien fait régner la terreur dans le pays pour écraser la révolution, organisant les massacres de Frères musulmans, torturant, réprimant férocement les travailleurs et les militants qui avaient chassé Moubarak en 2011, muselant la presse, s’appuyant sur l’extrême droite religieuse salafiste. Son « amitié » avec Macron repose sur des bases solides, outre les commandes en équipements militaires de l’État égyptien auprès de Dassault, Thalès et autres fournisseurs français d’engins de morts, leur alliance contre les peuples au nom de la guerre contre le terrorisme.
La prétendue guerre contre le terrorisme, l’alliance contre les peuples
Celle-ci, baptisée « guerre contre le Mal » par son initiateur Bush il y a une vingtaine d’années, est devenue la justification de toutes les interventions militaires des grandes puissances sous le règne du Capital mondialisé. Elle trouve son point de départ dans les attentats du 11 Septembre 2001 organisés par Al Qaida contre le World Trade Center et le Pentagone mais les racines historiques en sont plus lointaines et d’ordre international. Pendant les années 50 et 60, les Etats-Unis se sont appuyés sur l’Arabie saoudite, l’État d’Israël et le régime du shah d’Iran pour garder leur mainmise sur le Moyen-Orient contre les régimes nationalistes progressistes et les révoltes populaires. La monarchie saoudienne, dont la religion officielle est une version intégriste de l’islam, salafiste ou wahhabite, a financé les mouvements islamistes en particulier les Frères musulmans contre les mouvements nationalistes et de gauche. La révolution iranienne en 1979 dont les ayatollahs chiites ont pris le contrôle a donné une nouvelle impulsion au fondamentalisme musulman. Enfin, c’est la CIA elle-même qui a armé les Talibans contre l’URSS en Afghanistan avant que, quelques années plus tard, Ben Laden se retourne contre ses anciens maîtres.
Au lendemain du 11 Septembre, Bush et l’État américain engagèrent au nom de la « guerre contre le terrorisme » un vaste redéploiement de leurs forces militaires du Pakistan au Moyen-Orient et occupèrent l’Afghanistan où Ben Laden avait trouvé refuge. Ils déclenchèrent en 2003 une nouvelle guerre contre l’Irak, renversèrent Saddam Hussein et démantelèrent son Etat. En 2011, une intervention militaire en Libye déployée par une coalition internationale au premier rang de laquelle se trouvaient la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, renversa le dictateur Kadhafi. Toutes ces interventions qui sèment la mort et le chaos parmi les populations, ont créé bien plus de terroristes qu’elles n’en ont éliminé. En particulier des cadres des anciens appareils d’État irakien et libyen se sont enrôlés dans Al Qaida ou l’État islamique, qui ne sont à tout prendre que des bandes armées illégales à côtés de celles reconnues internationalement que sont les États.
Au-delà des calculs pervers des politiciens, tous les travailleurs sont menacés
Parallèlement à leurs expéditions militaires, les États des grandes puissances se sont dotés d’un arsenal répressif de plus en plus important, d’abord aux États-Unis avec le Patriot Act, puis dans d’autres pays au premier rang desquels la France. L’objectif affiché en est la traque aux terroristes mais l’exemple de ce qui se passe aujourd’hui en France montre que les classes dirigeantes s’en servent pour légitimer politiquement la mise au pas de la contestation et le contrôle de l’information en prévision des conflits sociaux qu’elles anticipent du fait de la catastrophe sociale que leur politique au service d’un système au bord de l’effondrement prépare.
Macron a d’abord encouragé le zèle sécuritaire de Darmanin et l’arbitraire du préfet de police de Paris, Lallement -lequel soit dit en passant vient d’accorder la « protection fonctionnelle » aux policiers qui ont tabassé Michel Zecler- pour ensuite évoquer dans Brut « violences policières » et « contrôles au faciès ». Face à la colère des syndicats de police, il recule immédiatement en promettant, sans succès d’ailleurs, un « Beauveau de la sécurité » après le Ségur de la Santé et le Grenelle de l’Education. Une pantalonnade du « en même temps » qui virerait au ridicule si Lallement et sa police n’avaient pas profité de ces volte-face pour imposer leur démonstration de force destinée à intimider les manifestants potentiels.
Macron voudrait jouer les monarques au-dessus des partis, ni de gauche ni de droite, ratisser à droite et à l’extrême droite sans se déconsidérer totalement à gauche pour être en mesure de l’emporter dans un deuxième tour face à Le Pen. Mais bien malin qui peut dire ce qu’il adviendra dans les mois qui viennent. Le Pen n’a besoin de rien dire sur les lois qui font son travail et elle trouve le moyen d’accuser Macron de « séparatisme » et de « communautarisme » en dénonçant la protestation des joueurs du PSG contre les propos racistes d’un arbitre à l’égard d’un joueur du club d’Istanbul : « Il y a une volonté séparatiste de certains qui veulent séparer les blancs des noirs. D’ailleurs le président est dans cette ligne-là […] Je trouve ça épouvantable. C'est un abandon total de nos valeurs républicaines ».
Au-delà des petites phrases et des calculs électoraux pervers des uns et des autres, toutes les initiatives prises par Macron visent à mettre au pas la population en instaurant, dans la continuité de ses amis Sarkozy, Valls, Hollande un véritable État policier. Si la classe politique institutionnelle rivalise de surenchères réactionnaires, ce n’est pas seulement par démagogie électoraliste pour complaire à une petite et moyenne bourgeoisie réclamant de l’ordre et de l’autorité parce qu’elle craint pour ses biens et son avenir, c’est parce qu’elle exprime les besoins des classes dirigeantes face à l’exacerbation des conflits entre les classes et la menace d’explosions sociales.
C’est bien pourquoi il ne peut y avoir de combat conséquent pour l’égalité, la liberté, la solidarité sans combat contre l’oppression de classe.
Pour une République des travailleurs, démocratique, révolutionnaire, internationaliste
Qui peut encore croire aujourd’hui les bonimenteurs de la République et de ses valeurs ? L’égalité quand le ministre de la Santé lui-même reconnaît que huit millions de personnes en France ont fait appel à l’aide alimentaire cette année alors que les deux plus grosses fortunes, Bernard Arnault (90 milliards d’euros) et la famille Wertheimer (50 milliards) sont à la tête d’industries du luxe, LVMH et Chanel, qui n’ont jamais été aussi florissantes ? La liberté quand des millions de femmes, d’hommes, de jeunes, ne peuvent décider de rien de ce qui est vital pour leur avenir et celui de l’humanité ? Il ne peut y avoir de liberté ni d’égalité, sans parler de fraternité, sans une révolution sociale qui enlève leur pouvoir aux classes dirigeantes, qui démantèle les forces de police et les forces militaires qui protègent leurs intérêts en France et dans le monde, qui exproprient les grandes fortunes, les groupes capitalistes.
Il n’y aura de liberté que lorsque les travailleurs, la population, prendront eux-mêmes en main l’économie qu’ils font déjà tourner pour les profits d’une minorité et pourront alors décider de ce qui doit être produit, en fonction de quels besoins et de quels impératifs pour la sauvegarde de l’environnement.
C’est seulement alors qu’on pourra parler de fraternité, de solidarité car rien ne s’opposera à l’union des travailleurs de tous les pays contre leurs exploiteurs et qu’une véritable égalité et liberté seront alors possibles sur la base de l’expropriation des vieilles classes dominantes.
Face à la République bourgeoise de Macron et de tous les tenants du nationalisme, face à l’obscurantisme xénophobe et raciste, face à l’extrême droite religieuse et à celle de Le Pen, le combat des travailleurs, des jeunes, des femmes pour les droits démocratiques et les libertés, l’égalité trace la perspective d’une République des travailleurs, démocratique et révolutionnaire, universelle.
Galia Trépère