La multinationale japonaise Bridgestone a annoncé mercredi dernier sa décision de fermer définitivement son usine de Béthune qui emploie 863 salariés. Aux dires mêmes de ses dirigeants la crise déclenchée par la pandémie n’est qu’un prétexte, l’usine était depuis plusieurs mois la cible d’un plan de restructuration mondiale du groupe. Comme Auchan, Beneteau, General Electric, et bien d’autres qui ont annoncé des plans sociaux, Bridgestone a touché des millions d’euros de subventions publiques depuis sa création, 1,8 million d’euros au titre du CICE l’an dernier. Depuis des années l’Etat distribue des milliards aux entreprises, au nom de l’emploi, sans aucune condition. Un récent rapport du CNRS a pointé que loin du « million d’emplois » promis par Gattaz, le CICE mis en place sous Hollande a coûté 18 milliards d’euros par an pour n’aboutir qu’à la création d’au maximum 160 000 emplois, ce qui revient à plus de 130 000 euros par emploi créé !

Avec la pandémie, ces aides à fonds perdus ont pris une toute nouvelle ampleur, les 100 milliards du dernier plan de relance n’ont fait que se rajouter aux 470 milliards d’euros du plan d’urgence déployé au début de la crise.

Des milliards de cadeaux pour le patronat, un tsunami de licenciements pour le monde du travail

Depuis le 1er mars il y a eu près de 51 000 licenciements dans le cadre de plans sociaux soit près de trois fois plus qu’en 2010. A cela s’ajoutent les licenciements individuels, les non-renouvellements de CDD ou d’intérims, les faillites des « auto-entrepreneurs » qui vont continuer à s’amplifier. 715 000 emplois ont ainsi été détruits sur le premier semestre 2020.

Tout en empochant les milliards des plans de relance, les multinationales se restructurent dans le cadre de la guerre permanente qu’elles se livrent pour continuer, malgré le ralentissement de l’activité économique, à drainer toutes les richesses produites par le travail, en aggravant la catastrophe sociale, sanitaire et écologique.

Un rapport de l’ONG Oxfam, publié le 10 septembre, décrit comment 32 grandes entreprises mondiales ont réalisé en un an 92 milliards d’euros de bénéfices supplémentaires par rapport à la moyenne des quatre années précédentes. Le patrimoine des 25 milliardaires les plus riches du monde a ainsi augmenté de 255 milliards de dollars entre la mi-mars et la fin mai. Et même si les six plus grandes compagnies pétrolières mondiales ont affiché une perte de 61,7 milliards de dollars entre janvier et juillet 2020, elles ont versé, sur la même période, 31 milliards de dollars à leurs actionnaires en puisant dans les réserves accumulées.

Le monde du travail paye le prix fort de ce parasitisme d’une minorité : explosion du chômage, baisse des salaires du fait du chômage partiel, dégradation des conditions de travail à cause de protocoles sanitaires inapplicables, et une explosion de la misère pour les populations les plus précarisées.

Les plans de relance du gouvernement ne visent qu’à renflouer les multinationales, qu’à sauver leur machine à profit. Pas question pour lui de porter atteinte à la propriété privée pour faire passer les besoins réels des populations avant la course au profit, d’où son incapacité à imposer des mesures d’urgence, à engager les dépenses nécessaires, à mobiliser toutes les énergies, les compétences pour faire face à la catastrophe sociale ou à la pandémie qui continue à se développer.

Macron, l’imposteur, a annoncé la couleur. Les profits d’abord, ceux des multinationales de la téléphonie sur les startingblocks pour la course à la 5G, comme ceux des compagnies aériennes et qu’importent ses promesses de prendre en compte « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui réclamait un moratoire sur la 5G et une taxation du transport aérien. « Je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine » a-t-il cyniquement déclaré devant un parterre de patrons de la « French Tech » qu’il recevait à l’Elysée.

Macron et son gouvernement ne savent que créer un climat sécuritaire et anxiogène en parlant « d’ensauvagement » des quartiers populaires, en annonçant une loi contre le « séparatisme », une fuite en avant réactionnaire qui traduit leur crainte des explosions sociales que leur politique ne peut qu’entraîner. 

Contre la logique du profit, discutons, préparons, affirmons les réponses du monde du travail

Deux logiques sociales s’affrontent. Celle du profit qui est celle de Macron, du patronat et qui est aujourd’hui à l’offensive tout azimut.

Et la nôtre, celle qui vise à répondre aux besoins réels de tous, à trouver des solutions à la crise sanitaire, qui ne peuvent reposer que sur notre contrôle démocratique sur la marche de la société.

Face à l’incurie des classes dominantes, la colère monte dans le monde du travail et la jeunesse. Les manifestations des gilets jaunes du 12 septembre et la journée intersyndicale du 17 avec leurs limites, ont permis à une partie des militants syndicaux et des collectifs nés des mobilisations précédentes de se retrouver, de discuter de la situation et de l’avenir. C’est important et nécessaire car pour que cette colère accumulée puisse réellement s’exprimer, il nous faut aider notre classe à prendre confiance en elle, en sa légitimité à mettre en avant ses propres solutions comme nombre de salariés ont su parfois le faire dans l’urgence de la pandémie, en en faisant une perspective globale pour nos luttes.

Nos solutions face aux problèmes quotidiens sont aussi les seules réponses possibles face à la crise globale du système. Les mesures d’urgence nécessaires au plus grand nombre sont contradictoires avec la logique économique du capitalisme, elles ne peuvent que se heurter aux intérêts des classes dominantes, remettre en cause la logique du profit, de la concurrence et donc conduire à la contestation globale du système.

Pour les mettre en œuvre, nous ne pourrons compter que sur notre organisation, nos luttes, pour créer un rapport de force suffisant pour les imposer. Il ne peut s’agir d’une liste de mesures qui trouveraient leur application sous forme de loi dans le cadre institutionnel actuel. Celui-ci ne sert qu’à masquer, derrière le paravent de la démocratie parlementaire, la réalité du pouvoir des classes dominantes, la subordination de toute la vie sociale et économique à leurs intérêts, à la course aux profits.

Imposer nos solutions passe donc par la rupture avec les illusions entretenues par les appareils syndicaux dans le « dialogue social » et par la gauche institutionnelle dans la possibilité de réformer le système de l’intérieur, avec un bon gouvernement doté d’un bon programme.

Des mesures d’urgence à imposer par l’intervention directe des travailleurs et de la population

A la multiplication des plans sociaux, nous opposons l’interdiction des licenciements. Aucun licenciement ne peut être légitime puisqu’il sacrifie à la logique du profit, de la rentabilité, le droit de vivre d’un travailleur. A cette logique économique absurde où le surtravail des uns côtoie le chômage des autres, nous opposons la nécessité du partage du travail entre tous, la réduction du temps de travail sans baisse de salaire… la nécessité de travailler moins pour travailler tous !

Face aux baisses des salaires, des pensions, des allocations, nous exigeons le droit d’avoir un revenu qui nous permette de vivre, en réclamant des augmentations suffisantes pour garantir à chacun un revenu digne, en prenant pour cela sur les profits accumulés depuis des décennies.

L’incurie des classes dominantes face à la pandémie a révélé toute l’absurdité de ces politiques qui ont conduit à la fermeture de services, à la baisse des effectifs dans les hôpitaux au nom de critères économiques de rentabilité. Nous ne pouvons qu’exiger un véritable service public de la santé qui unifie la médecine de ville, les hôpitaux et cliniques comme les multinationales pharmaceutiques à exproprier, sous le contrôle de leurs salariés et des usagers.

C’est la condition pour mettre en œuvre une réelle politique sanitaire en rupture avec la logique de Big pharma, à l’opposé de la gestion policière et répressive du gouvernement qui ne sait qu’imposer des interdictions, culpabiliser la jeunesse, promettre amendes et sanctions. Une véritable politique sanitaire reposerait bien sûr sur la gratuité des masques comme des tests, et surtout impliquerait des investissements massifs pour rouvrir des services, des lits avec les embauches de personnel nécessaire, dans la santé comme dans l’ensemble des services publics dont celui de l’éducation. Une telle politique sanitaire imposerait de pouvoir discuter et contrôler sur nos lieux de travail l’indispensable réorganisation des horaires et des conditions de travail pour donner la priorité aux mesures assurant la sécurité de tous, ce qui implique aussi de discuter de ce que nous produisons pour répondre à quels besoins.

La pandémie est elle-même la conséquence de la crise écologique globale produit de la mondialisation financière et de la logique mortifère avec laquelle une poignée de multinationales de la finance, de l’énergie, de l’agro-alimentaire soumettent toute l’économie et la vie sociale.

Mettre en avant nos solutions, de classe, jusqu’au bout implique de remettre en cause l’ensemble de ce système en faillite, c’est-à-dire de fixer comme objectif global à nos luttes l’expropriation de ces multinationales, et leur réorganisation sous le contrôle démocratique de leurs salariés et des usagers, pour les mettre au service de la satisfaction des besoins de tous dans le respect de notre environnement.

C’est de cela qu’il nous faut discuter dans les semaines et les mois à venir pour nous préparer, nous armer d’une compréhension commune, pour aider à ce qu’à travers les prochaines explosions de colère se formule une véritable perspective démocratique, celle d’une transformation révolutionnaire de ce vieux monde capitaliste en faillite.

Bruno Bajou

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