Bien des ami.e.s et camarades lectrices et lecteurs ont été surpris d’apprendre par un article du journal Le Monde le 27 juillet dernier intitulé « Le Nouveau Parti anticapitaliste menacé d’implosion », que de « profonds clivages internes » menacent notre organisation de « ‘Scission’, le terme n’est désormais plus tabou au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). L’organisation révolutionnaire connaît une crise sans précédent […] La majorité, emmenée par Olivier Besancenot, envisage de proposer une séparation à l’amiable aux autres minorités, accusées de bloquer le fonctionnement collectif ».

Au lendemain de l'Université d'été du NPA où la question a été largement discutée, il nous semble nécessaire de donner notre point de vue. Le débat est public, la publicité des débats politiques normale et nécessaire.

La crise n'est pas nouvelle. Elle résulte de divergences politiques et concerne toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans le combat du NPA. La surmonter signifie faire vivre des rapports démocratiques, faire vivre la discussion sur la nouvelle période et nos tâches en vue de définir ce qui, dix ans après la fondation du NPA, constitue notre socle commun, un programme pour les travailleurs face à la débâcle du capitalisme, et surmonter la logique délétère des fractions.

Le NPA, ses militant.e.s n’échappent pas aux difficultés que connaissent l’ensemble du mouvement ouvrier, la société en général, conséquences des bouleversements en cours que la pandémie accélère et aggrave. Nous n’échappons pas à ce moment charnière que connaît le monde engagé dans une crise sans précédent dont personne ne mesure l’ampleur ni ne voit réellement l’issue. Et il serait illusoire de croire pouvoir la dépasser en se réfugiant dans des certitudes, des proclamations révolutionnaires aussi « justes » soient-elles.

Pour le NPA, comme pour l’ensemble des militant.e.s du mouvement ouvrier, il est indispensable d’ouvrir un large débat sur la compréhension que nous avons de la période pour en dégager les possibilités et les perspectives nouvelles qu’elle ouvre.

Discuter de l’avenir du NPA, puisque des camarades le remettent en cause, discuter du parti dont le mouvement ouvrier a besoin, c’est discuter du programme pour les luttes de la classe ouvrière, des opprimés face à l’écroulement capitaliste révélé et accentué par la pandémie, pour la transformation révolutionnaire de la société.

Durant les luttes et mobilisations ici depuis 2016, comme dans les révoltes qui ont secoué le monde depuis 2011 ou ces derniers mois et semaines en Algérie, au Liban, en Biélorussie, aux Etats-Unis, en Amérique latine, à Hong Kong…, partout se pose la question des perspectives, du programme pour les luttes des travailleurs et des classes populaires.

Les ruptures s’approfondissent avec la gauche institutionnelle, avec le dialogue social, il nous est indispensable d’en prendre la mesure et d’armer ces évolutions de conscience.

Faire face à la crise des perspectives du mouvement ouvrier, la crise du projet socialiste et communiste, du projet révolutionnaire

Notre propos n'est pas de rechercher des responsables aux difficultés du NPA, de rentrer dans la logique des accusations réciproques, mais de discuter des raisons politiques de nos difficultés et des réponses que nous pouvons y apporter avec celles et ceux qui le souhaitent.

Le morcellement du parti est un problème, son sabordage serait la pire des « solutions ». Mais il n’y aura pas de statut quo.

On ne peut que regretter que le débat stratégique autour des voies et moyens de la transformation révolutionnaire à l’époque du capitalisme financier mondialisé ait été repoussé jusqu’à ce jour. A deux reprises dans l’année, une majorité du Conseil politique national (CPN) a refusé l’ouverture d’un débat sur quel parti construire, autour de quel programme. Le débat stratégique décidé lors du dernier congrès n’a jamais été réellement engagé et n’a débouché sur rien. Cette difficulté à aller au bout des discussions n’est pas l’apanage de la seule fraction majoritaire. Elle est partagée par d’autres en fonction d’une logique fractionnelle où chacun défend ce qui, à ses propres yeux, justifie son existence au détriment de l'élaboration collective. L’attitude de la fraction majoritaire, qui se reconnaît dans la IVème internationale, a très largement contribué à renforcer cette logique, même si elle n’est pas seule responsable de la crise.

Les choix que font aujourd’hui ces camarades obéissent à une cohérence politique. Les évolutions au sein du NPA sont en lien avec les débats internationaux, en particulier les choix faits ces dernières années par la IVème internationale. Loin de remettre en cause lors de son dernier congrès en janvier 2018, un mois avant celui du NPA, l’orientation dite des partis « larges » laissant ouverte la délimitation stratégique, la IV° a réaffirmé cette orientation dont le bilan est pourtant catastrophique comme, par exemple en Espagne, sa politique dans la construction de Podemos et l’exclusion des camarades d’Izar qui la contestaient.

L’état de morcellement dans lequel se trouve aujourd’hui le NPA résulte du développement d’une divergence de fond que la majorité a toujours refusé de clarifier : construire un parti large qui entraîne, sous couvert d’unité, la recherche constante d’alliances avec la gauche radicale ou développer une politique de construction de parti anticapitaliste et révolutionnaire, indépendante de cette gauche sans pour autant refuser les alliances dans le cadre des luttes et mobilisations.

Et c’est bien cette discussion qu’il nous faut mener, qui s’impose à nous. Elle sera au cœur du prochain congrès, une discussion en prise avec la réalité de l’évolution sociale et politique hors des proclamations ou auto-proclamations.

Une démarche pour élaborer collectivement, créer une dynamique démocratique sans préalable

Nous avons, lors du dernier CPN, en réponse aux velléités de rupture, proposé une motion définissant une démarche pour trouver une issue en prenant à bras le corps les responsabilités et les tâches qui nous incombent. Cette motion - adoptée au final à la quasi-unanimité - propose d’« élaborer un plan d’urgence sociale, sanitaire, écologique, économique, démocratique, un plan s’inscrivant dans une démarche transitoire liant les revendications immédiates, vitales, de l’ensemble du monde du travail, de notre camp social, et les moyens pour les imposer, à la nécessité du contrôle de l’organisation de la société par les classes populaires, un « plan de mesures transitoires du capitalisme au socialisme » selon la formule de Trostky ».

La démarche ne vise nullement à nier les désaccords ou divergences, mais à les discuter pour élaborer ce qui est commun, avancer vers un document programmatique pour faire face à la période, à nos tâches. Un premier travail d’élaboration sur les urgences de la rentrée peut être une première étape, instrument d’une large campagne politique, mais il doit déboucher sur un document programmatique définissant notre socle commun.

Il est vital de définir ce qui nous rassemble, le contenu de nos interventions communes sans nier ni les divergences ni le droit à l’expérimentation.

Nous savons que les réticences sont nombreuses. Les réflexes, les logiques et les rivalités de fractions reprennent vite leurs droits.

Réussir dans l'entreprise présuppose une révolution culturelle au sein du NPA, une prise de conscience collective qu'il est urgent de se libérer de la logique fractionnelle, de l'état d'esprit dont elle se nourrit et qu'elle entretient.

Le développement accéléré de la crise du capitalisme mondialisé nous impose de faire du neuf, de nous dépasser pour nous donner collectivement les moyens de faire face au mieux à nos responsabilités.

Pour justifier sa propre existence, y compris à ses propres yeux, chaque fraction qui fait le choix de se pérenniser se convainc que son apport en tant que fraction est indispensable, voire qu'elle est la force à partir de laquelle se construira un parti révolutionnaire, ou pourra être reconstruite la IVème Internationale.

Cet état d'esprit, même s'il prétend entretenir avec les autres fractions des relations de bon voisinage, voire de coopération, nourrit de fait un sectarisme. Il est présent, d’une façon ou d’une autre, dans tous les courants du mouvement trotskyste, dont nos camarades de Lutte ouvrière. Il entretient et justifie la division.

Les divergences qui existent entre nous sont des discussions sur la façon de mettre en œuvre notre projet commun, elles sont des discussions entre révolutionnaires et devraient participer d’une démocratie révolutionnaire. Sinon, effectivement, la logique de rupture est incontournable.

L’immense mérite du NPA est d’avoir tenté de rompre avec cette logique, sa légitimité quelle que soit la confusion qui y a prévalu.

Cet acquis prend un sens décisif aujourd’hui où s’ouvre une période de grande instabilité sociale et politique à l’échelle internationale comme ici, prémisses de mouvements révolutionnaires. Mais le faire vivre, lui donner une nouvelle dynamique implique d’être capable de se dégager du passé pour penser la nouvelle période, définir les bases politiques et stratégiques du parti que nous appelons les travailleurs, la jeunesse à construire pour et par eux-mêmes.

C’est aussi la seule voie pour sortir de cette conception du « parti d’avant-garde », « guide éclairé » qui sait et dit aux travailleurs ce qu’ils devraient faire, pour nous donner les moyens d’être les porte-parole de la révolte et des aspirations du monde du travail, de la jeunesse, des femmes, de leurs luttes pour contribuer à leur auto-organisation et à leur prise de conscience qu’ils représentent l’issue à la faillite du capitalisme.

La question du pouvoir, des voies et moyens pour y parvenir

La gauche parlementaire et syndicale pose sans complexe la question du pouvoir, sur le terrain institutionnel. De LFI à EELV, dans le collectif « Plus jamais ça » dont font partie, entre autres, la CGT, Solidaires ou Attac, se discutent les possibles « recompositions » à gauche dans l’objectif de 2022.

Eric Coquerel, invité dans un des débats de notre Université d’été a affirmé que « le camp de la révolution peut remporter la présidentielle [...] par les urnes » tandis qu’aux journées de la LFI, Mélenchon s’affichait à côté d’Eric Piolle, maire de Grenoble, qui postule à l’investiture EELV, et de Martinez, secrétaire général de la CGT.

Cela souligne l’urgence de formuler une politique clairement indépendante de la gauche sociale et politique, « radicale » ou non, et de rompre avec les ambiguïtés cultivées par la majorité de direction du NPA.

La recherche permanente « d’unité » avec cette gauche désarme les travailleurs et les militants. Elle exprime le manque de confiance dans nos idées, dans notre camp social et dans ses capacités d’initiative, de postuler à la direction de la société.

Au contraire, il nous faut porter la révolte, les colères, la soif de justice sociale, de dignité, de démocratie de toutes celles et ceux qui sont écœurés par les politiques institutionnelles. Il faut aider cette révolte en l’armant d’une conscience de classe alors que les réactionnaires sont à l’offensive, tentant d’instrumentaliser la révolte et la défiance vis-à-vis de la gauche faillie.

Oui, il faut œuvrer au rassemblement, celui des militants des luttes, travailleurs et travailleuses, jeunes, précaires, sur des bases d’indépendance de classe, en rupture avec les politiques institutionnelles. Cette nécessité s’impose à tous les militants révolutionnaires, dont nos camarades de LO venus eux aussi débattre à l’université d’été.

Tout ce qui se discute dans le mouvement ouvrier pose la question de la démocratie et du contrôle par les travailleurs de la production et des échanges : comment les travailleurs, les classes populaires peuvent disputer et arracher le pouvoir à l’oligarchie financière et comment l’exercer, quelle démocratie ouvrière, populaire, révolutionnaire ?

Nous ne sommes ni en 1847 quand Marx écrivait le Manifeste du Parti Communiste, ni en 1917 quand Lénine écrivait L’État et la Révolution alors que le prolétariat de Petrograd s’apprêtait à prendre le pouvoir dans une Russie pas encore sortie de la féodalité, ni en 1938 quand Trotsky formulait le Programme de transition. Et il ne s'agit pas de réécrire ce programme ou de l'actualiser. Mais nous avons besoin de nous en approprier la méthode pour penser aujourd’hui.

La nécessité que les opprimé.e.s prennent eux-mêmes et elles-mêmes leurs « affaires en main » s’exprime dans les mobilisations du monde entier… Celles pour le climat, contre le racisme et la répression d’État, contre les oppressions et violences sexuelles sont autant de manifestations d’un profond mouvement de contestation de la domination capitaliste.

Ne pas se dérober aux responsabilités

Personne ne peut dire ce que seront les prochains mois, les bouleversements à venir, les étapes de la lutte de classe. Mais notre capacité à répondre aux besoins des éléments les plus avancés du mouvement ouvrier, à nourrir les discussions, à apporter une compréhension des bouleversements en cours, des perspectives, à leur offrir un cadre militant ouvert et démocratique dépend de notre capacité collective à surmonter nos divisions et clivages, à formuler ce qui nous est commun comme le contenu des désaccords. Cela dépend de la capacité de chacune et chacun à dépasser les logiques et rivalités de groupes pour s’engager à tous les niveaux de la construction du parti.

Nous sommes convaincus que personne ne pourra se dérober aux responsabilités que nous donne la catastrophe économique, sociale, sanitaire, écologique, démocratique en cours. Réunir nos forces, rassembler autour de nos perspectives est la tâche prioritaire de cette rentrée. Le congrès à venir doit être l'occasion de donner un nouvel élan au projet du NPA de rassemblement des anticapitalistes et révolutionnaires.

Isabelle Ufferte

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