« Sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité, ni liberté. Cet ordre, ce sont les policiers et les gendarmes qui l’assurent… Ils méritent le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la Nation », « la République ne déboulonnera pas de statue » : avec ces affirmations dimanche dernier, Macron a voulu affirmer le soutien total de l’État aux forces de l’ordre, l’exiger de tous.

« Notre histoire est glorieuse et compliquée. Vouloir procéder à une forme d’épuration mémorielle me paraît aussi dangereux que vouloir procéder à d’autres types d’épuration », a renchéri celui qui s’apprête à devenir son rival, Édouard Philippe.

Voilà leur réponse sous forme de menace en défense de leur République issue d’un pillage esclavagiste et colonial, et dont il faudrait respecter la sinistre et sanglante histoire, face à la révolte de la jeunesse, en particulier de jeunes femmes de toutes les couleurs de peau, contre le racisme et les violences policières, pour exiger justice pour George Floyd, Adama Traoré et tous les autres !

L’explosion de colère dans le monde suite à l’assassinat de George Floyd par des policiers racistes a mis sur le devant de la scène les préjugés sordides conduisant au meurtre, issus de l’histoire de l’esclavage, indissociable de l’histoire coloniale des grandes puissances comme les USA ou la France.

Depuis une dizaine d’années, la répression sourde dans les quartiers populaires tend à se généraliser à toute la jeunesse, à la contestation sociale en général. Elle s’est intensifiée avec la répression de la loi Travail, de Notre-Dame-des-Landes, avec aussi le plan Cazeneuve donnant en 2015 plus de moyens, d’effectifs, d’équipements et de formations aux BAC. Il y a eu, par exemple, entre 1996 et 2007, + 79 % d’interpellations pour outrage. 24% d’enquêtes judiciaires de plus ont été ouvertes par l’IGPN en 2019 qu’en 2018, la moitié pour des violences.

Les CRS, la BAC et les gardes mobiles se déploient ailleurs que dans les quartiers. Une nouvelle force spéciale, la BRAV-M, a même été créée en 2018, composée de bacqueux et gendarmes motorisés. Depuis, il y a de plus en plus de blessés voire de mutilés dans les manifestations comme celles des Gilets jaunes.

La police « qui déteste tout le monde », son arbitraire, sa violence, son impunité sont devenus une réalité impossible à nier par le pouvoir comme par les médias à son service.

La révolte qui a secoué le monde ces dernières semaines a imposé aux USA comme ici un large débat sur la police et les violences.

Est-il possible de la démanteler ou de l’abolir comme cela se discute aux USA ? Comment faire face à la violence et à la délinquance que la violence sociale de l’exploitation, le chômage, la misère engendrent au sein même des classes populaires ? Pourquoi la police n’est pas une solution mais fait partie du problème ?

Des questions qui remettent en cause sa fonction même au service de l’ordre capitaliste et qui exigent des réponses du mouvement ouvrier non seulement pour s’opposer aux violences, mais sur les possibilités et les moyens d’en finir avec l’appareil de répression de la bourgeoisie.

« Des détachements spéciaux d'hommes armés »

Formuler une réponse ou plutôt une politique en réponse à ces questions, nécessite un retour sur la nature même de ces forces de l’ordre, que Lénine a définies comme « des détachements spéciaux d'hommes armés » en reprenant les explications d’Engels sur l’origine de l’État: « L'État, dit Engels en tirant les conclusions de son analyse historique, n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société (…) Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'"ordre" et ce pouvoir, né de la société mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État ». (Lénine – L’Etat et la révolution)

La constitution de classes sociales aux intérêts antagoniques a donc entraîné la formation d’un État constitué de corps étrangers à la population, formés en dehors d’elle et contre elle pour assurer l’ordre de la minorité de nantis : polices, armée, mais aussi justice et prisons.

Contrairement au slogan « la police assassine, État complice », la police est partie intégrante de l’appareil d’État. Elle intervient pour défendre l’ordre bourgeois en toute impunité, protégée par les médias et la justice. En 2017, un organe indépendant, Streetpress, révélait qu’en 10 ans de violences policières en France, avec 47 interpellés morts bien que désarmés, aucun policier n’avait fait le moindre séjour en prison.

Ces forces de police sont bien défendues par leurs syndicats, au fort esprit de corps. Pas besoin de beaucoup manifester pour obtenir quelque chose du pouvoir, même dernièrement malgré l’interdiction de se rassembler ! Face à la menace d’une minorité des syndicats les plus radicaux de ne plus faire d’arrestation s’ils ne pouvaient plus pratiquer des techniques d’interpellation mises en cause comme les clés d’étranglement, le gouvernement leur a donné en pâture Castaner… et le droit de généraliser l’usage de tasers.

245 000 policiers et gendarmes dont environ 7000 BAC aujourd’hui en France : des forces qui se sont forgées dans la répression des mouvements de contestation sociale.

A partir des années 90, avec la mondialisation financière et l’accentuation de l’offensive contre les classes populaires, l’exacerbation des contradictions de classe, c’est la montée du sécuritaire, surtout dans les quartiers.

C’est alors que va se développer la BAC (Brigade Anti-Criminalité), née dans les années 70 en banlieue parisienne, sous la houlette d’un ancien haut fonctionnaire aux colonies. Généralisées à toute la France en 1992 pour intervenir en civil, au corps à corps, à l’origine contre la délinquance dans les cités, elles interviennent en réalité pour le maintien de l’ordre de populations vues comme de plus en plus dangereuses, de jeunes, de pauvres issus de l’immigration.

L’armement des policiers s’est diversifié et a augmenté dans les années 2010, qui verront se multiplier les armes présentées comme une alternative aux armes létales mais pour plus de tirs, plus vite, plus fort (tasers, grenades de désencerclement, flashball, lanceurs de balles en caoutchouc…), permettant aussi une répression préventive plus intimidante car moins ciblée et plus massive. Des méthodes de répression largement testées dans les quartiers populaires et dans les stades à l'encontre de supporters, contre des populations condamnées médiatiquement.

C’est aussi à cette époque que va se développer le management par le chiffre. La gestion des forces de l’ordre va exiger plus de résultats, d’heures sup, de mutations arbitraires, de mépris. Comme l’a dit un syndicaliste, « on est l'éponge du gouvernement pour absorber tous les maux de la société », ou un courrier de la CGT Police dénonçant l’emploi du taser, à l’adresse de Castaner : « vous avez fait le choix de montrer l’image d’une police agressive pour vous assurer qu’elle ne s’associe pas aux revendications souvent justes des protestataires ».

C’est donc la lutte des classes qui est à l’origine des forces de l’ordre. Produits directs des rapports d’exploitation, elles se sont développées et se développent au gré des contradictions de classe qui s’aiguisent.

Le racisme dans la police, produit d’une longue histoire coloniale et impérialiste

Le gouvernement nie catégoriquement les violences de ses forces de l’ordre. Mais Macron a aussi cherché à couvrir leur caractère raciste avéré vu le nombre de victimes pauvres et issues de l’immigration comme Zyed et Bouna, Théo, Adama, Lamine…

C’est le produit d’une histoire que, justement, Macron voudrait qu’on « ne déboulonne pas », celle du maintien de l’ordre contre des civils désarmés avec des méthodes de guerre. Autant l’armée que les corps de police ou de gendarmerie français sont imprégnés des personnes, des méthodes, des pratiques et d’une idéologie nées de la mise en esclavage de peuples puis de la répression de populations pauvres et insurgées contre l’occupation française, les privilèges des minorités blanches dominantes, leurs préjugés raciaux et sociaux. Ils s’en sont nourris et demeurent des foyers de violence, racisme, antisémitisme, sexisme comme viennent de le rappeler des blogs policiers. Un récent sondage a révélé qu’entre 55 et 70 % des policiers de base votent pour l’extrême droite.

Autre exemple : les grenades explosives, que seule la France utilise en Europe dans la répression de manifestations étaient déjà utilisées massivement contre les insurgés algériens avec les mêmes blessures et mutilations qu’aujourd’hui. 

La gravité de la situation n’est pas identique à celle des USA, certes. L’État de la bourgeoisie américaine s’est construit à travers la spoliation des Indiens puis sur la base de l’esclavage des Afro-américains sur son sol même. Après que ces derniers eurent brisé les chaînes de l’esclavage au prix de milliers de morts et de souffrances inouïes à travers la guerre de sécession donnant la victoire au Nord sur le Sud, la ségrégation raciale a continué.

Et même si elle a été secouée par le mouvement des Black Panthers et des droits civiques, c’est sous un Président noir, Obama, qu’est né le mouvement Black Lives Matter, justement parce que les inégalités sociales et raciales devenaient insupportables.

C’est pourquoi elles explosent à nouveau aujourd’hui. Des syndicalistes ont sommé leur fédération d’exclure le syndicat de policiers de la ville de Seattle dans l’État de Washington si celui-ci ne s’engageait pas à lutter contre le racisme dans ses rangs. La mairie de Minneapolis, ville où George Floyd a été assassiné, s’est engagée à « démanteler la police » et des appels se multiplient pour la « définancer », voire l’abolir.

La République française, son État, ses forces de police se sont aussi construits sur la base du pillage des colonies, de la répression de leurs habitants, du racisme contre leurs ressortissants, au gré des intérêts de la bourgeoisie française.

A l’origine de sa République, il y a son État, ses lois, depuis le Code Noir de Colbert jusqu’à celles de Thiers et des Versaillais en passant par les guerres coloniales de Jules Ferry et les rafles de Pétain, la guerre d’Indochine puis celle d’Algérie… Une sale histoire où gauche et droite ont défendu la loi, l’ordre colonial puis capitaliste.

« La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. (…) Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires » a poursuivi Macron le 14 juin, sous-entendant que les antiracistes étaient « communautaristes » voire « séparatistes » ! Cette histoire, leur histoire, n’est pas la nôtre. Nous nous revendiquons de l’insurrection des esclaves à Saint Domingue en 1791 avec Toussaint Louverture, des insurgés internationalistes de 1848, des ouvriers au pouvoir durant la Commune, des peuples soulevés contre le carcan colonial, de la lutte des exploités et des opprimés, de la tradition révolutionnaire de ce pays.

Pas de justice, pas de paix entre les classes

L’offensive libérale du capitalisme financier, loin de se passer de l’État, renforce son rôle en particulier répressif, surtout depuis les années 2000 sous Sarkozy et Hollande puis Macron, issu de son sérail. Il y a, si on peut dire, une « américanisation » de la police que viennent souligner les discours devenus monnaie courante, au langage militaire, sur la reconquête des territoires des banlieues.

Il devient patent que la police n’est pas réformable. La légitime revendication du désarmement de la police est pour beaucoup illusoire au sens où il est peu réaliste de demander à l'État de se désarmer lui-même, pas plus qu’il n’abolira la police.

« L’universalisme républicain », ce mythe dont se revendiquent Macron et les politiciens bourgeois, voudrait masquer que l’histoire des classes privilégiées n’est que celle de leur lutte acharnée contre les classes exploitées et les opprimés, les classes dangereuses contre lesquelles elles n’ont jamais hésité à employer la mitraille.

C’est pourquoi le mouvement ouvrier a dû, dans les moments de lutte classe aiguë, s’organiser y compris en s’armant pour faire respecter les décisions collectives par ses ennemis de classe et au sein du monde du travail lui-même durant la Commune de Paris, pendant la Révolution russe, en 1936 en Espagne…

Il a eu alors une politique vis-à-vis des couches des forces de répression les plus pauvres, abandonnées par leurs hiérarchies, transformées en machines à tuer dont aujourd’hui, par exemple, Black Lives Matter a suscité la solidarité, des policiers mettant genou à terre.

Dans ces révolutions, une partie du corps armé a basculé du côté des travailleurs en lutte car ils lui ont montré qu’ils pouvaient le protéger contre sa hiérarchie, que le camp des travailleurs était capable de leur offrir une perspective plus rationnelle et émancipatrice que leurs chefs dans la confrontation violente des classes.

Vouloir changer le monde conduit à se poser la question d’avoir une politique non seulement pour se défendre face aux corps de répression, mais aussi pour les démanteler, les désarmer non par des demandes à la bourgeoise et à son pouvoir d’État, mais avec les méthodes de la lutte de classe.

A défaut de le faire ou de ne pas aller jusqu’au bout de cette politique, c’est à dire la conquête du pouvoir, en se laissant endormir, détourner de cette politique par des réformistes défendant le mythe d’un État républicain au-dessus des classes, respectueux de la « démocratie », les classes populaires ont trop souvent laissé le champ libre à la répression, à la réaction la plus hideuse. Et le mouvement ouvrier a été vaincu, massacré, même armé, comme en Espagne en 1936 ou au Chili en 1973.

Du contrôle sur la police à sa prise en main par la population, vers sa suppression

Aujourd’hui, en France comme partout dans le monde, le chômage, la précarité, la misère, les tensions sociales s’exacerbent. La réponse des classes dominantes, incapables de répondre aux besoins des classes populaires, est policière, c’est le tout sécuritaire. La violence policière augmente d’autant plus dans les quartiers populaires, contre les manifestants que se multiplient les licenciements, augmente la précarité et se réduisent les services publics.

Cette évolution suscite une méfiance ou une hostilité de plus en plus grande à l’égard des forces de l’ordre, la prise de conscience qu’il est nécessaire de s’en protéger. Depuis la Loi Travail et surtout avec les Gilets jaunes se sont répandus des débuts de formes de protection individuelle et collective. Beaucoup de manifestants de tous âges s’équipent de masques, de caméras pour filmer la police, il y a de nombreux street medics…

Ces débuts de prise de conscience, ces formes d’autodéfense, la lutte politique contre les violences policières participent d’une bataille démocratique indispensable. Nous défendons des revendications démocratiques telles que la dissolution de la BAC, la fin des contrôles au faciès et des violences et assassinats impunis en faisant comprendre qu’il n’y aura ni paix ni de justice tant qu’il y aura des bandes armées au service du capital.

Il est légitime de chercher à associer à cette bataille démocratique toutes les forces syndicales, associatives, politiques sans limiter la lutte pour la démocratie à la lutte contre la police au nom d’un prétendu « État de droit », d’une police « républicaine » ou de proximité.

Inéluctablement, il faudra aller vers le contrôle par la population organisée, par les travailleurs, de toutes leurs affaires, au travail, dans les lieux d’étude et de vie et donc, aussi de la police. Pour assurer la sécurité des classes laborieuses dans leur vie quotidienne, protéger nos luttes, faire face aux voyous d’extrême droite, les travailleurs devront se donner les moyens organisationnels et matériels, leurs propres milices.

Il s’agira de créer un rapport de force qui dissuade les corps de répression, vise à les démanteler, les désarmer, les désorganiser et provoque les fraternisations.

Le monde du travail aura à assumer lui-même les tâches de police indispensables tant que la société de classe se survit, même si ce sera en les posant dans des termes radicalement différents. Les travailleurs les assumeront avec des méthodes radicalement différentes, sous le contrôle de toute la population, sans démanchements armés permanents, avec des milices élues et des responsables élus et révocables à tout moment, payés le salaire d’un ouvrier.

En leur temps, les révolutions bourgeoises avaient ébauché une telle organisation démocratique de la société. Le prolétariat la généralisera pour en finir avec l’État et la domination de classe.

Car pour en finir avec la police et les forces de l’ordre, il faudra en finir avec les rapports de classe qui les ont engendrées donc, par l’organisation et les luttes du monde du travail, établir l’égalité sociale, la justice garantissant à toutes et tous le bien-être, les libertés, dignité et respect.

Leur remplacement par une organisation démocratique des travailleurs bien supérieure à la démocratie d’une minorité bourgeoise reléguera « toute la machine de l'État au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze » (Engels).

Mónica Casanova

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