Chômage et licenciements… La 2ème vague, celle du virus du profit, est bien là. Les discours sur la « relance » associés avec ceux sur le protectionnisme, le « patriotisme économique » vont bon train, cherchant à enrôler les travailleurs derrière une « unité nationale » au service exclusif des classes dominantes. Macron prend la pose en déclarant « il nous faut rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française » et, de son côté, Le Maire entend « rompre avec trente années où l’on a massivement délocalisé ». Montebourg, ex ministre de Hollande du « développement productif », essaye de jouer sa carte en jouant la même musique et ressort son livre sur le « made in France ».

Cette question revient aussi au centre des revendications du collectif « Plus jamais ça » et des 34 propositions de son « Plan de sortie de crise », appelant à la « relocalisation des activités » au nom de la « transition écologique et sociale ». Comme si la question de la production et des échanges se posait hors des rapports de force entre les classes, hors de la politique des capitalistes et des États à leur service. Comme si la situation actuelle n’exigeait pas une toute autre réponse que ces vieilles recettes institutionnelles au moment même où le parasitisme du capitalisme, de la concurrence pour les profits, éclate au grand jour.

Subventionner le capital « quoi qu’il en coûte »

Toute cette campagne de Macron sur la « souveraineté industrielle » vise avant tout un objectif, celui de justifier les milliards distribués aux patrons et à la finance. Un « pognon de dingue » destiné exclusivement à sauver les profits… à défaut de « sauver les emplois ».

Utilisant cette campagne des relocalisations pour augmenter la pression sur les travailleurs, le gouvernement monte au créneau contre les salaires, « trop chers » pour les patrons qui réclament la « diminution des coûts variables ». Darmanin a même clairement annoncé la couleur en dénonçant l’augmentation des salaires qui « détruit l’emploi » !

Quant à Pénicaud, elle appelle les patrons à se saisir des « accords de performance collective », cette nouveauté des ordonnances Macron de 2017 qui permet tous les chantages à l’emploi, comme d’une « alternative au licenciement », en baissant les salaires comme à Ryanair ou Derichebourg.

Même politique avec la nouvelle mouture de « l’activité partielle ». Pénicaud prévoit déjà qu’« en contrepartie d’un accord qui pourrait intégrer de la formation, une baisse du temps de travail et un engagement à ne pas licencier, l’État continuerait à prendre en charge une partie des salaires en chômage partiel » … Baisse du temps de travail et des salaires bien entendu !

Quant aux patrons, ils profitent eux aussi des discours sur la relocalisation pour réclamer encore plus de fric, à l’image du Medef qui se dit prêt à accepter des « relocalisations ciblées » en échange de 5,5 milliards de baisses d’impôts. Mais de toute façon, les multinationales, le grand patronat continueront leur politique en fonction de leurs intérêts, de la concurrence et de leurs profits. Si au passage ils peuvent récupérer de l’argent public pour quelques relocalisations très partielles de certains fournisseurs qui les arrangent… pas de problème, ils prendront l’argent !

Même chose pour les trusts pharmaceutiques, pas très inquiets, ni même préoccupés de l’agitation du gouvernement sur la nécessité de « l’indépendance sanitaire » et « stratégique ». Comme le résume un patron de labo à propos du midazolam fabriqué pour l’essentiel en Inde : « investir dans une nouvelle usine qui ne produirait que du midazolam ne serait pas rentable. C’est un médicament qui prend beaucoup de temps de machine, mais ne rapporte quasiment rien »… Tout est dit.

Les multinationales, les fonds d’investissements continuent leur lutte pour accaparer la moindre parcelle de plus-value partout dans le monde. L’État comme les Banques centrales ne sont là que pour les servir, en augmentant toujours plus la dose de la perfusion de capitaux pour maintenir les marchés financiers coûte que coûte. Cette question des relocalisations n’est là que pour plier les travailleurs au « patriotisme économique » et leur imposer les baisses de salaires, les suppressions d’emplois, les augmentations de cadences et de temps de travail.

« Relocalisations » ou le contrôle démocratique des travailleurs

La tribune du 27 mars des 18 organisations syndicales et associations « Plus jamais ça » appelait elle aussi à la « relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services […] dans le cadre d'instances multilatérales et démocratiques » sans contester, ni même poser le problème de qui est propriétaire de ces moyens de production, comme si la question du rôle et du poids des multinationales ne se posait pas, tout comme leurs rapports aux Etats.

Dans les « 34 propositions pour un plan de sortie de crise », ce même collectif revendique « une relocalisation des activités, qui s’accompagnerait de mesures fortes de solidarité européenne et internationale ». Rajouter le vœu pieux de la « solidarité internationale » à côté d’une politique protectionniste, dans un monde de concurrence capitaliste acharnée, ne change rien à l’affaire et relève plus du… « en même temps » comme le dirait Macron !

De même, leur plan aborde la relocalisation du secteur agricole, la « souveraineté alimentaire », les « circuits courts », « relocalisés »… sans dire un mot de l’industrie agroalimentaire et de ces multinationales françaises qui exploitent les agriculteurs et fixent leurs prix comme Lactalis, Carrefour ou Danone ! Comment imaginer une réorganisation de l’agriculture en fonction des besoins collectifs sans s’attaquer à ces trusts, sans imposer le contrôle des travailleurs de ces secteurs, alliés aux agriculteurs ?

Ces revendications de relocalisations sont présentées sous le vernis de revendications concrètes et immédiates, qui pourraient être plus accessibles à la population. Mais cela reste une illusion.

Poser la perspective de relocalisations dans le cadre de ce système, hors de la question des rapports de classes, de qui dirige les entreprises, sous quel contrôle, est à la fois un leurre et un piège pour les travailleurs. D’abord, l’essentiel des mesures avancées sont des déclarations d’intentions, des vœux pieux adressés aux institutions, comme si un bon « gouvernement de gauche » pouvait imposer quoi que ce soit aux multinationales. La CGT réclame, dans le même cadre politique, « une re-localisation permettant une véritable planification de nos besoins, impulsée par un État stratège et développeur et mis en musique par un ministère de l’Industrie »… On est loin de la lutte de classe !

Cette politique ne peut éviter le piège du nationalisme, quelle que soit la petite phrase sur la « solidarité internationale ». Les frontières ne protègent en rien les travailleurs de la mise en concurrence, ni de l’exploitation capitaliste. Ces discours sur la souveraineté ne servent qu’à les enrôler derrière « l’intérêt national » qui est toujours celui des capitalistes, sur le terrain politique de Macron, voire de Le Pen. La seule arme des travailleurs face à leur mise en concurrence, c’est leur unité et leur solidarité, sur le terrain de la lutte de classe et par-delà les frontières.

La nécessaire réorganisation de la production et des échanges par les travailleurs

Il n’y a pas de raccourci face à la gravité de la situation. La question essentielle est celle de l’intervention directe des travailleurs face à la gabegie du capitalisme et sa loi du profit. Les usines, les machines, les moyens de production ne sont pas détruits par l’épidémie. Ils ont besoin d’être soustraits de la course à la rentabilité financière et placés sous le contrôle démocratique de ceux qui produisent, dans l’intérêt de la collectivité, en expropriant les actionnaires et leur droit de s’approprier le travail collectif.

A partir des luttes face aux licenciements, aux attaques des patrons contre les salaires ou les conditions de travail, ce sont ces idées de la lutte de classe qu’il s’agit de rendre concrètes, ces mesures d’urgence face à leur crise : l’interdiction des licenciements, le partage du travail entre tous, la prise en main de la production par les travailleurs eux-mêmes face aux fermetures d’entreprises.

Mais il est totalement illusoire d’imaginer des relocalisations sous le contrôle des travailleurs dans le cadre du système sous la houlette de l’État de la bourgeoisie. Le monde partagé entre les multinationales est tel que les nécessaires réorganisations de la production à l’échelle internationale participent d’une transformation révolutionnaire de toute la société.

Répondre aux besoins sanitaires, écologiques, sociaux collectifs, ne peut passer que par l’expropriation de ces trusts mondiaux et de ces fonds d’investissements qui parasitent tout développement de la société en fonction des besoins.

Des années de mondialisation ont profondément modifié la société. Elles ont renforcé le prolétariat numériquement dans le monde entier. Aujourd’hui, 70 % des échanges de marchandises sur la planète procèdent de ces fameuses « chaînes de valeurs », organisées par les multinationales elles-mêmes. En 2014, une voiture Toyota comportait des pièces fabriquées par 2192 sous-traitants partout dans le monde.

C’est sur ces bases matérielles et économiques, que le prolétariat moderne et international est en mesure de contester le capitalisme, dans la perspective de réorganiser la production et les échanges à travers une réelle coopération, une planification mondialisée, internationale.

Pour organiser le pillage de la plus-value, les multinationales ont dû organiser la production à l’échelle de la planète, développer les outils de communication, jeter les bases d’une certaine anticipation en fonction du marché solvable pour optimiser leurs profits. L’expropriation de ces grands groupes financiers permettra de développer de façon radicalement différente une réelle coordination, une planification partant des besoins collectifs. Une telle transformation, la seule sortie de crise possible, est incompatible avec le maintien de la propriété privée et du système.

Laurent Delage

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