Macron a réussi à fixer un rendez-vous, le 11 mai, au mécontentement, à la colère et à la révolte qui couvent dans tout le pays, tant parmi celles et ceux qui sont en première ligne ou qui sont contraints d’aller au travail que parmi les confinés.

La reprise dans l’Education Nationale est devenue le point de fixation pour les familles comme pour les enseignants et les élèves. L’annonce surprise de Macron de la réouverture des écoles le 11 mai, à la façon des DRH et des patrons fixant leurs « objectifs », est une véritable mise au pied du mur des personnels de l’éducation, des transports, des services publics… Ceux-là même que Macron et Philippe n’arrêtent pas de « remercier ».

Face à ce mépris, un véritable tollé se répand parmi les enseignants et les parents d’élèves, devant l’absence de moyens sanitaires, le manque chronique de professeurs et de personnels pour encadrer les enfants, suite aux fermetures de classes et aux coupes budgétaires de ces dernières années. Macron a dû opérer un premier recul en annonçant sa rentrée « au volontariat » le 23 avril dernier. Il faut dire que le conseil scientifique dont il prétendait tirer ses décisions a fait savoir publiquement qu’il avait transmis son avis aux autorités le 20 avril. Or cet avis est clair et sans appel, même si au final le conseil a pris acte de la décision du gouvernement : « En conséquence, le Conseil scientifique propose de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre ».

Les enseignants ont raison, pas de masques, pas de tests, pas de travail !

Cette reprise sans préparation et au mépris de la santé collective poursuit le seul but que les parents repartent au travail. Quant au fameux « plan » qui doit être présenté le 28 avril par Castex, ex-conseiller de Sarkozy, il promet bien des revirements au vu des déclarations contradictoires de Macron, Philippe ou Blanquer… à commencer par la question des transports publics où personne ne sait comment mettre en place les masques obligatoires, le gel pour les voyageurs, sans parler de la distanciation dans des transports déjà bondés habituellement.

Cela résume l’ampleur de l’incurie d’un pouvoir, d’un État qui, au-delà de la personnalité de Macron, se plie servilement aux intérêts étroits et égoïstes des classes dominantes, partage son mépris social, incapable de dépasser l’horizon borné de la propriété privée même quand la crise sanitaire frappe toute la population.

Deux mois après le début du confinement, il n’est même pas capable de mettre en place la production de masques ou de surblouses pour les soignants, ni même de faire face à la pénurie d’écouvillons pour les tests. Sans parler du scandale des respirateurs fabriqués par Air Liquide, PSA, Valeo et Schneider à grands renforts de déclarations : sur 10 000 produits, 8 500 sont inadaptés aux salles de réanimation !

A titre de comparaison, un pays comme l’Allemagne, où là aussi les patrons poussent à la reprise pour relancer les affaires au détriment de la santé de la population, a pu cependant lancer une politique massive de tests (820 000 par semaine contre 350 000 en France aujourd’hui) et d’augmentation du nombre de lits en soins intensifs.

Macron et ses ministres sont soumis à la bourgeoisie, aux intérêts privés, incapables de mettre en œuvre le début d’une politique sanitaire répondant aux besoins de la population.

Repartir au travail… quoi qu’il en coûte !

Un éditorialiste des Echos a résumé l’état d’esprit du patronat, fustigeant « la préférence française pour le non-travail, que viennent justifier les chèques de l'Etat à 9 millions de salariés en chômage partiel pour qu'ils restent chez eux » et dénonçant « une société biberonnée depuis cinquante ans par l'hyper-maternalisme d'Etat et l'absolutiste principe de précaution ».

Ces « premiers de cordée » portent la responsabilité de la situation par la dégradation de la santé, de l’éducation, des services publics indispensables à la collectivité. Ceux-là même qui réclament à corps et à cris leurs « allègements de charges » depuis des années en battant des records de dividendes !

Sans attendre, le patronat a commencé à redémarrer ses usines dans l’automobile, l’aéronautique, les secteurs non essentiels… si ce n’est à leurs profits. Qu’importent les risques courus par les salariés, tout est prévu par le ministère du travail qui a mis en place les « protocoles de continuité d’activité » pour exonérer les patrons de toute responsabilité en cas de maladie. Qu’importe aussi si les usines de Michelin, de Renault ou d’Airbus consomment du gel hydroalcoolique ou des masques FFP2, quand il en manque toujours pour l’ensemble du personnel de la santé, au point de recourir à des masques périmés !

Les pressions sont fortes, jusqu’au sein de l’inspection du travail, qui vient de suspendre un inspecteur de la Marne, militant CGT, pour avoir demandé la mise à disposition d’équipements de protection à une association d’aides à domicile. A la Caisse des Dépôts et Consignations, la direction vient de convoquer à un entretien préalable à sanction deux syndicalistes suite à la « fuite » à Médiapart du rapport sur la Santé commandé par Macron… Comme si le vrai scandale n’était pas le contenu même de ce rapport ! A Toulouse, des infirmiers ont été licenciés d’un Ehpad pour avoir dénoncé le manque de protections.

Partout, les patrons sont pressés de reprendre, mais pour vendre à qui ? Une note de l’OFCE (Observatoire français des conjectures économiques) évoque les savants calculs de certains d’entre eux, tablant sur l’épargne supplémentaire de 55 milliards accumulée durant le confinement par certains ménages, espérant que cette crise ne soit qu’une « parenthèse ». Mais la même note fait une première estimation de 460 000 chômeurs supplémentaires à ce stade du confinement, et poursuit : « Le risque est grand de voir s’enclencher alors une spirale récessive dont les mécanismes sont très habituels : faillites et réduction de l’emploi conduiront à une réduction du revenu des ménages qui alimentera la réduction de l’activité ». Cette politique de la reprise à tout prix est aussi irresponsable du point de vue de la santé publique, qu’absurde face à la récession qui s’avance.

Confinement et déconfinement, une même politique contre les travailleurs, les classes populaires

Pour justifier la réouverture des écoles, Macron a mis en avant les « inégalités sociales » creusées par la situation du confinement. Personne n’est dupe de ses phrases hypocrites, surtout lorsque le ministère annonce une diminution du nombre de postes d’enseignants à Créteil et Versailles, malgré un accroissement du nombre d’élèves.

C’est bien la politique du gouvernement et de ses prédécesseurs qui a provoqué cette situation, les suppressions de postes dans la santé, de lits d’hospitalisation, les privatisations, l’impréparation face à l’épidémie au point que seul le confinement pouvait empêcher l’écroulement généralisé des hôpitaux.

A défaut d’une réelle politique de santé, le gouvernement a déployé ses flics, bien plus nombreux dans les quartiers populaires que sur les bords de mer du Croisic ! La Seine-St Denis a concentré à elle seule 10 % des amendes, un véritable encouragement à la démagogie de certains maires comme Estrosi, décrétant des horaires de couvre-feu plus restrictifs dans les quartiers populaires de Nice ! C’est cette violence de classe qui a alimenté la colère des jeunes, suite à l’accident de moto provoqué par les policiers à Villeneuve-la-Garenne.

Le confinement accentue les inégalités sociales en dégradant profondément les conditions de vie au sein des quartiers populaires, en particulier parmi tous les précaires, déclarés ou non, couverts par aucun chômage partiel. Dans ces quartiers, la fermeture des écoles et donc des cantines est une catastrophe pour des familles entières qui se retrouvent privées de tout revenu. Le nombre des distributions de repas y a explosé.

La presse et le gouvernement s’auto-congratulent de lâcher une enveloppe de 39 millions d’€ pour l’aide alimentaire des plus pauvres… Une aumône, alors que le gouvernement parle de prêts garantis de 7 milliards à Air France et de 5 milliards à Renault !

La lutte de classe ne se laissera pas confiner

La colère grandit dans les quartiers, les hôpitaux, les usines, les écoles et la pommade que passent jour après jour Macron et Philippe pour remercier tous les « invisibles » ne fait que montrer leur profond mépris.

A l’image des syndicats enseignants, qui estiment que les conditions ne sont pas réunies pour la réouverture des écoles, les syndicats appellent à protéger la santé des travailleurs partout. La CGT met en avant le slogan « pas de protection, pas de travail ». Tout cela participe de la contestation du droit des patrons à faire ce qu’ils veulent, mais à condition d’en finir avec le sempiternel « dialogue social », de penser la lutte de classe telle qu’elle se déroule aujourd’hui.

Suite au confinement, les 120 plus grosses sociétés françaises à la Bourse devraient verser moitié moins de dividendes que l’année passée : une « perte » de 30 milliards d’euros pour les actionnaires qui comptent bien les récupérer sur le dos des travailleurs, par le temps de travail, les vols de congés ou de RTT, la pression sur les salaires, etc. comme le tente aujourd’hui la direction de la FNAC par un chantage sur le paiement de 100 % des salaires.

C’est bien la question du contrôle direct des travailleurs sur la marche de la société qui est posée par la crise globale actuelle et qui ne trouvera aucune issue progressive pour la collectivité ni dans le dialogue social, ni dans les institutions.

Le 1er mai et après, nous préparer à prendre en main le contrôle de la société

Malgré le confinement, des appels commencent à se multiplier pour le 1er mai, lancés par les syndicats, les collectifs interpro. Sur les réseaux, voire en mode manifestation « confinée », la contestation se renforce, prépare la suite.

Dans les écoles, comme dans les entreprises, la question du contrôle de nos conditions de vie, de travail est posée. Les travailleurs ne sont pas de la chair à produire, tout juste bons à obéir, à la disposition d’une classe de possédants qui plonge la société dans la récession.

Face à la pandémie, nous devons décider collectivement de ce que nous produisons, de comment nous le faisons, en toute sécurité sanitaire, en tenant compte de ce qui est nécessaire à la collectivité ou non. C’est une question de droit démocratique, de droit de regard sur les protections, les conditions de travail mais aussi sur les comptes, privés des grandes entreprises et publics, de l’Etat.

La réquisition des trusts pharmaceutiques comme Sanofi, qui annonce une augmentation des dividendes pour la 26ème année consécutive, est une question démocratique, tout comme celle des Ehpad, entre les mains de groupes comme Korian et Orpea qui pompent largement l’argent public.

Ce contrôle sur la marche de la société, des entreprises, est la condition indispensable aux mesures d’urgence nécessaires à l’ensemble de la classe ouvrière, comme l’interdiction des licenciements, l’arrêt des contrats précaires, les embauches massives dans les services publics.

De même, le droit de regard sur la finance et surtout le crédit devient indispensable dans un tel contexte de récession, en lien avec les exigences de l’annulation de la dette et de la mise en place d’un monopole public bancaire.

Les Echos de cette semaine font un constat lucide de la situation : « Troubles sociaux, manifestations violentes, révoltes, voire révolution... Les risques d'effondrement de la société, mis sous le boisseau par les mesures de confinement adoptées dans la majorité des pays du monde, pourraient de nouveau faire irruption dans le paysage », pour conclure par « Le compte à rebours a commencé ». La crise globale du capitalisme, sa brutale accélération, appelle des réponses en opposition aux démagogues réclamant la fermeture des frontières, un programme internationaliste pour le contrôle des producteurs, des travailleurs sur la marche de l’ensemble de la société.

Laurent Delage

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