Au soir de la journée de grève et de manifestation du 29, il ne manquait pas de commentateurs avisés pour enterrer le mouvement, sans cacher leur joie hypocrite. Certes, la grève et les manifestations marquent le pas et comment pouvait-il en être autrement alors que l’intersyndicale appelait un mercredi, la veille de la conférence de financement qu’elle condamne, avec bien des nuances, mais où toutes les confédés sont allées. Et cela sans avoir le moindre plan pour amplifier la mobilisation. Mais il ne faut cependant pas confondre la profondeur du mécontentement, de la révolte, sa radicalité potentielle, sa capacité de rebondir avec ce qui s’exprime à travers l’agenda de l’intersyndicale qui n’a jamais agi que sous la pression des travailleurs. Le mouvement n’a pas dit son dernier mot, loin s’en faut. Si sa première phase ouverte par la journée du 5 décembre et portée par la grève des traminots et des cheminots se termine, une nouvelle page est ouverte.

Cette première phase est déjà, par elle-même, un pas en avant considérable qui a vu des milliers de salariés, de jeunes devenir les acteurs de leur propre lutte.

Elle a réussi à imposer quelques reculs au gouvernement et surtout elle a été une campagne politique qui a mis en accusation les véritables objectifs de Macron, son incohérence, son arrogance, ses manœuvres et mensonges.

La conférence de financement comme le débat parlementaire qui commencent ne pourront que souligner la faiblesse du pouvoir, éclairer ses véritables objectifs, ainsi que sa volonté de passer en force alors que, déjà, s’annonce la déroute de LREM aux prochaines municipales… Autant de moments pour renforcer, élargir la contestation sociale et politique extra-parlementaire.

Le roi est nu

Macron est devenu le point de convergence de tous les mécontentements. Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle provocation ou une « maladresse » de ministre ne viennent alimenter la colère. Macron pose au démocrate à l’esprit large en s’affichant face à la contestation des auteurs de BD à Angoulême avec le dessinateur Jul qui lui remettait un tee-shirt avec l’inscription « LBD 2020 », dénonçant les violences policières. Ridicule et cynique tout comme le petit tripatouillage qu’il a demandé de faire au très dévoué Castaner pour tenter de masquer leur déroute annoncée aux municipales et que vient d’invalider le Conseil d’État.… Cynique et minable aussi l’opposition du gouvernement et le vote de LREM au Parlement contre l’allongement du congé pour les parents ayant perdu un enfant.

La tension entre les prétentions à une réforme universelle, égalitaire, juste et sociale et la réalité d’une réforme qui vise, c’est une évidence maintenant, à faire travailler plus longtemps pour une baisse des pensions, ne peut que déclencher une violente décharge électrique. D’autant que Macron ne cesse de vanter sa politique qui attire les investissements des multinationales et profite au capital pour le plus grand bonheur, dit-il sans rire, des travailleurs.

La conférence de financement comme le débat parlementaire dans la suite des prises de positions du Conseil d’État et des révélations de l’étude d’impact, vont donner des armes à la contestation sociale et politique pour poursuivre le travail de sape accompli durant la première phase de la lutte.

Il y a tout lieu de penser que le gouvernement sortira de la séquence qui s’ouvre exsangue, disqualifié, réduit à tenter de faire passer sa loi par des expédients parlementaire, 49-3 et ordonnances, s’il tient jusque là, au risque de déclencher alors une levée en masse contre lui dans tout le pays.

Répondre à la question du financement, c’est contester la logique capitaliste de Macron et du CAC40

La feuille de route de la conférence de financement a été verrouillée par le gouvernement. La négociation porte sur les moyens d’assurer l’équilibre financier des caisses de retraite pour aboutir à un accord d’ici fin avril afin de combler un déficit supposé de 12 milliards d’euros avant la mise en place de la réforme, cadre imposé. Les directions syndicales discutent donc des moyens de mettre en œuvre une réforme qu’elles prétendent rejeter !

L’âge-pivot prétendument refusé par la CFDT figure en bonne place dans la réforme elle-même sous le nom d’âge d’équilibre. Fixé dans un premier temps à 64 ans, il évoluera automatiquement en fonction de l’équilibre budgétaire, un âge d’équilibre flexible dans le sens de l’allongement pour répondre à une situation de crise pour les capitalistes. Le texte anticipe une telle situation en décrétant le principe que le budget consacré aux retraites ne dépassera pas 14 % et devrait même passer sous la barre des 13 %. Difficile de dire plus clairement que le but est de faire travailler plus longtemps avec des pensions en baisse dans le seul but de permettre à l’État de subventionner les profits en danger.

Qui peut croire qu’en 2030 ou 2050 ou 2022, le capitalisme aura continué d’évoluer sans catastrophe, pacifiquement, alors que tout le monde sait qu’il est au bord du krach, de la faillite.

L’offensive contre les retraites participe de l’offensive globale du CAC40 et de son État pour maintenir les profits, tenter de repousser le krach en anticipant la catastrophe annoncée.

On ne peut que la combattre tout en développant le plan du mouvement ouvrier pour défendre les retraites et faire face à cette catastrophe annoncée pour en finir avec le chômage et la précarité, augmenter les salaires, l’égalité salariale entre hommes et femmes, prendre sur les profits financiers... Des réponses anticapitalistes qui contestent leur système, leur pouvoir.

Élargir la contestation, face aux appareils, prendre nos affaires en main

En participant à la conférence, les organisations syndicales se lient les mains pour sauvegarder le dialogue social, leur relation avec l’État, leurs propres intérêts d’appareil... Dans leur communiqué, les orgas de l’intersyndicale déclarent « Il n’y aura pas de trêve […] Elles appellent à faire du jeudi 6 février une nouvelle journée interprofessionnelle de grève et de manifestations à l’occasion du début des travaux de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale. » Elles s’alignent sur l’agenda parlementaire abandonnant toute indépendance politique et, de fait, la perspective d’imposer le retrait alors que tout le monde sait qu’il ne peut rien sortir du débat parlementaire, de la « bataille » d’amendements d’une réforme dont le mouvement exige le retrait.

Pour préparer la suite, nous avons besoin de discussions de fond sur le contenu, les objectifs et les moyens de la lutte si nous ne voulons pas voir le mouvement s’enliser dans le marais parlementaire et le dialogue social. Nous avons besoin de discuter d’une politique pour la suite. De plus en plus nombreux sont celles et ceux qui se détournent des appareils, se retrouvent derrière leur propre banderole dans les cortèges de tête ou dans les cortèges mélangés ou qui, d’une façon ou d’une autre, tiennent à manifester leur indépendance vis à vis des appareils. Préparer la suite, c’est aller plus loin pour faire en sorte que les travailleurs, les grévistes prennent en main la direction de la lutte.

La bataille parlementaire est bien incapable de changer quoi que ce soit. Elle peut être néanmoins un nouveau moment de prise de conscience, de politisation si les véritables acteurs de la lutte, les travailleurs, la jeunesse l’utilisent sur leur propre terrain, les lieux de travail, les assemblées générales, les interpros, la lutte, la grève du 6 et après pour contester radicalement la réforme, pas pour l’amender mais exiger son retrait et contester la logique capitaliste à laquelle obéit la politique du gouvernement et avec laquelle la gauche parlementaire est incapable de rompre.

Les acteurs de la lutte ont besoin d’accumuler de nouvelles forces, c’est à dire de construire des liens politiques qui leur donnent les moyens de contester la politique de l’intersyndicale et de prendre les affaires en main, de diriger la lutte. Il s’agit bien sûr d’avoir le contrôle des actions mais aussi et surtout de discuter le contenu de l’agitation et de la propagande que nous faisons pour élargir, renforcer le mouvement, choisir et décider du moment pour reprendre l’offensive vers la grève générale dans le but de faire plier le gouvernement.

Rien n’est écrit, à nous de faire l’histoire, notre histoire, celle de l’émancipation du travail contre le capital.

A travers le mouvement, une force neuve, démocratique, anticapitaliste, révolutionnaire pourrait naître. Les révolutionnaires en sont le moteur. Elle doit se donner les moyens de s’exprimer y compris sur le terrain électoral. Il ne s’agit pas de faire des listes citoyennes le plus souvent impulsées par LFI auxquelles se rallie parfois la direction du NPA dont Philippe Poutou mais d’être la voix des travailleurs, indépendante des partis institutionnels. Cette force a besoin de définir ses objectifs, ses méthodes sans regarder dans le rétroviseur comme le font ceux qui regrettent l’époque du CNR quand le stalinisme et la social-démocratie intégrés à l’ordre bourgeois dominaient le mouvement ouvrier.

Cette époque est révolue, des milliers de travailleurs, de femmes, de jeunes veulent construire l’avenir, il est entre leurs mains.

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