Sans surprise, la COP25 qui s’est terminée à Madrid le 15 décembre et qui était pourtant présentée comme « la dernière opportunité historique pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle » n’a abouti à rien.

Alors qu’elle devait se tenir au Chili, elle a été déplacée à Madrid pour cause de révolte populaire contre le gouvernement chilien. Cela n’a pas empêché des dizaines de milliers de personnes de manifester la veille de l’ouverture, le vendredi 6 décembre, pour dénoncer l’inaction des Etats, avec des banderoles affirmant « Sans planète, il n’y a pas d’avenir » ou « Ce sommet est une farce ». Et le mercredi 11, ce sont 200 jeunes activistes qui se sont fait expulser de la Conférence parce qu’ils avaient manifesté leur colère par un concert de casseroles…

25 ans d’échec des conférences pour le climat ou l’incurie des classes dominantes

Ainsi protégée de la contestation, la COP25 n’aura été que le cadre de sordides discussions autour des « marchés carbone » entre grandes puissances au détriment des petits Etats insulaires déjà menacés de disparition comme des populations les plus exposées. Ces discussions, comme pour les 24 COP précédentes, ne visaient sur le fond qu’à préserver les intérêts des multinationales qui dominent l’économie mondiale.

Les engagements pris lors de la COP21 de Paris, déjà insuffisants pour atteindre l’objectif annoncé de 1,5°C d’augmentation maximum et qui devaient être revus à la hausse, ne sont en réalité même pas tenus. Les Etats-Unis doivent sortir de l’accord l’an prochain, la Russie n’a toujours pris aucun engagement alors que Poutine déclare que « personne ne sait à quoi est dû » le réchauffement climatique. D’après les scientifiques du GIEC, les quelques engagements déjà pris conduiraient à une augmentation de plus de 3°C et comme ces engagements ne sont pas tenus, cette augmentation risque d’atteindre les 4°C en 2100, avec déjà des conséquences dramatiques pour les populations les plus exposées qui sont aussi le plus souvent les plus pauvres.

Car le bilan est sans appel. Les conférences sur le climat qui se succèdent depuis 25 ans se sont toujours situées dans le respect du cadre d’un marché mondialisé à travers lequel les multinationales s’approprient les richesses produites par le travail humain, tout en ravageant l’environnement. Loin d’avoir permis une diminution des rejets annuels de CO2, le principal gaz à effet de serre, ces rejets sont de plus de 60 % supérieurs à leur niveau de 1990. Dans le cadre d’un capitalisme mondialisé, plus parasitaire que jamais, ces rejets augmentent toujours plus rapidement, entraînant des valeurs records de concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre et, en conséquence, une élévation des températures atteignant déjà près de 1°C par rapport à l’ère pré-industrielle.

Et comme l’a rappelé Greta Thunberg : « 100 entreprises sont responsables de 71 % des émissions mondiales. Les pays du G20 totalisent environ 80 % des émissions totales. Les 10 % les plus riches produisent la moitié des émissions de CO2, pendant que les 50 % les plus pauvres ne totalisent qu’un dixième ». La crise climatique ne fait qu’accentuer, qu’aggraver toutes les inégalités sociales et les rapports d’oppression, d’exploitation, conséquence de la fuite en avant d’un capitalisme mondialisé en crise.

Les beaux discours ne suffisent plus à masquer que depuis l’accord de Kyoto de 1995, de COP en COP, les classes dominantes et leurs représentants non seulement ont toujours refusé de prendre des décisions politiques à la hauteur des recommandations des scientifiques mais n’ont eu d’autre logique que de soumettre les conférences pour le climat à la logique du marché, en clair s’en sont servis pour créer de nouvelles opportunités d’investissements pour les multinationales avec la « transition énergétique » vers les énergies renouvelables, ou de spéculations autour des « crédits carbone » et autres mécanismes de compensation, pour les groupes financiers.

Green New Deal, un greenwashing des vieilles illusions réformistes

Si les classes dominantes veulent imposer la « marchandisation de la nature » de leur « capitalisme vert » au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, les différents partis de la gauche réformiste comme des appareils syndicaux multiplient les éco-programmes pour une « transition écologique » qu’ils voudraient socialement juste. Au cynisme de ceux qui prétendent que la logique du marché pourrait résoudre la crise climatique, ils opposent l’illusion qu’une intervention directe des Etats permettrait de prendre les mesures nécessaires… sans avoir besoin de remettre en cause le capitalisme, la domination de classe de la bourgeoisie sur toute l’économie mondiale.

Ainsi aux États-Unis, en 2018, la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez qui soutient la candidature de Bernie Sanders pour les prochaines élections présidentielles, a relancé l’idée d’un Green New Deal, en référence au New Deal de Roosevelt qui a, selon elle, « sauvé le pays » de la Grande Dépression qui a suivi la crise de 1929. Une telle vision exagère considérablement la portée de ce New Deal en oubliant que c’est l’entrée en guerre qui a permis de sortir provisoirement les Etats-Unis de la crise des années 30, au prix de millions de morts et de terribles destructions. Dans sa version actuelle, ce Green New Deal prévoit une « mobilisation nationale de 10 ans » de l’État américain pour atteindre 100 % d’énergie renouvelable grâce à des investissements massifs chiffrés à 16,3 milliards de dollars et avec des millions d’emplois garantis à la clé. Un tel plan qui n’a de réalité que sur le papier, vise surtout à utiliser l’inquiétude grandissante face à la crise climatique pour légitimer cette vieille illusion qu’il serait possible de rendre le capitalisme raisonnable, de le contrôler grâce à l’intervention de l’État et de politiques publiques, indépendamment des rapports de classe, de la mainmise très concrète d’une poignée de multinationales, géants de la finance et de l’industrie, sur toute la société. C’est une illusion dangereuse car il n’y a rien à attendre des États qui, quels que soient les gouvernements en place, restent soumis à la défense des intérêts des classes dominantes dont la seule logique est la course aux profits les plus immédiats. C’est cette soumission qui est d’ailleurs la principale cause de leur incapacité totale à faire face au réchauffement climatique depuis des décennies.

Néanmoins, le Green New Deal rencontre un réel écho ne serait-ce qu’en prenant le contre-pied de l’idéologie libérale dominante de plus en plus discréditée. D’ailleurs l’idée a fait son chemin et traversé l’Atlantique. Lors des élections européennes, Benoît Hamon a défendu un Green New Deal for Europe et c’est en réalité l’ensemble des candidats qui ont développé, sous une forme ou une autre, leur propre version d’un plan pour l’écologie dans une surenchère de milliards d’euros et de listes de mesures pour la transition écologique…

Et c’est jusqu’à la nouvelle Commission européenne qui reprend le terme d’un « green deal » pour mettre en avant son projet de « capitalisme vert » d’un vaste plan d’investissement d’infrastructures pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050… mais en faisant surtout appel à des multinationales qui espèrent se tailler la part du lion des nouveaux marchés ouverts par la transition énergétique.

Face à la catastrophe annoncée, prendre le contrôle de la marche de la société

Face à cette incurie des classes dominantes, la contestation a pris de l’ampleur à travers le monde avec l’émergence de nouveaux mouvements depuis un peu plus d’un an comme Sunrise Movement, Extinction Rébellion ou Youth for climate, à l’origine des grèves de la jeunesse. Ces mobilisations poussent de fait l’ensemble du mouvement pour le climat vers une critique plus radicale du système capitaliste qui fait écho aux révoltes sociales qui se développent à travers le monde du Chili à Hong-kong.

C’est toute une génération de jeunes et de très jeunes qui s’éveille ainsi à la politique, en prenant conscience que l’ampleur du problème nécessite la remise en cause de tout le fonctionnement de cette société… et en liant d’ailleurs la question climatique avec celles des inégalités et de la démocratie. C’est un éveil qui traduit d’abord une colère grandissante face à des gouvernements déconsidérés à force de faire l’étalage de leur impuissance, de leur absence de volonté politique d’agir à la hauteur des enjeux. Un éveil qui implique aussi une volonté nouvelle de ne pas attendre la prochaine COP26, de ne plus croire les promesses des gouvernements actuels ni d’ailleurs de ceux qui aspirent à les remplacer mais d’agir directement, collectivement en se mobilisant.

Dans son discours à la COP25, avec ses limites, Greta Thunberg a traduit cette évolution en déclarant : « […] il y a de l’espoir […] Cependant, il ne vient pas des gouvernements ou des grosses entreprises. Il vient des gens, du peuple. Les gens qui n’étaient pas au courant, mais commencent à se réveiller. Et une fois qu’on est au courant, on change. Les gens peuvent changer. Ils sont prêts pour ce changement. […] En réalité, tout grand changement dans l’Histoire vient du peuple ».

Si le capitalisme domine l’ensemble de l’économie mondiale, il ne se survit qu’en étant de plus en plus parasitaire, qu’au prix d’une accentuation de l’exploitation du travail humain comme du pillage des richesses naturelles et des ravages sociaux et environnementaux que cela entraîne. Il ne fait qu’engendrer à l’échelle de la planète inégalités, oppressions, injustices, mais il est aussi responsable d’une crise écologique qui menace l’avenir même de l’humanité... Et c’est cette réalité qui engendre la révolte des peuples et de la jeunesse qui refusent d’abdiquer de leur avenir.

Car, et c’est ce qui rend la situation d’autant plus insupportable, jamais la société humaine n’a été aussi riche de possibilités. C’est de cette prise de conscience du décalage entre les progrès liés au développement de la société, des sciences et des techniques, et la réalité de cette société d’exploitation que naissent les révoltes qui éclatent aujourd’hui à travers le monde et qui ouvrent finalement le seul espoir de transformer la situation, de dépasser l’impasse dans laquelle le capitalisme en crise maintient toute la société.

Car, à l’opposé de ceux qui face au danger réel d’un effondrement de la société, quelle que soit la forme que cela pourrait prendre, prônent la résignation, le repli sur soi ou sur sa petite communauté, comme le font les tenants de la collapsologie, se développe aussi la conscience qu’il n’y a pas de fatalité, et que tous les progrès accumulés depuis des décennies rendent possibles une autre organisation sociale sur la base d’une véritable démocratie ouvrant l’accès à tous à l’éducation, la santé, la culture.

Un autre monde est nécessaire et possible à condition de le transformer par l’intervention consciente, démocratique, révolutionnaire du monde du travail et de la jeunesse, pour le libérer des entraves du parasitisme d’une classe dominante minoritaire qui façonne toute la société en fonction de ses seuls intérêts.

C’est cette transformation qui permettra que les formidables possibilités ouvertes par tous ces progrès profitent à l’ensemble de l’humanité à l’échelle internationale, dans une société démocratique et en harmonie avec son environnement, le socialisme.

Bruno Bajou

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