1,4 million de manifestants à travers l’Allemagne, 400 000 en Australie, 250 000 dans les rues de New York, 100 000 à Londres, 10 000 à Paris, des milliers de manifestants au Japon, en Inde, aux Philippines, au Pakistan ou encore en Thaïlande… A travers près de 6000 actions dans plus de 150 pays, sur tous les continents, ce sont plus de quatre millions de manifestants, lycéens et étudiants en majorité, qui ont fait de ce vendredi 20 septembre, le troisième « Friday for Future » de « grève pour le climat » lancée par la jeune militante suédoise, Greta Thunberg, la plus massive mobilisation jamais organisée pour dénoncer l’inaction des gouvernements face au réchauffement climatique.

La mobilisation s’est poursuivie le lendemain avec à travers le monde de nouvelles « marches pour le climat ». A Paris la « marche pour le climat et la justice sociale » en convergence avec l’acte 45 des Gilets jaunes -16 000 manifestants-, s’est retrouvée confrontée à une répression policière qui révèle bien, derrière les discours sur la planète, à quel point le gouvernement Macron craint la convergence des colères…

Le caractère subversif de la question écologique

En s’emparant de la question climatique, une partie de la jeunesse exprime ses légitimes inquiétudes pour son avenir face à ces rapports scientifiques de plus en plus alarmants mais aussi sa colère face à l’inaction des gouvernements. « Le niveau des océans monte, notre colère aussi » scandaient des manifestants australiens. A travers cette mobilisation s’affirme surtout la volonté des jeunes d’agir directement, d’être acteur de leur vie, de leur avenir.

« Pollue, consomme et ferme ta gueule, c’est quoi l’message, qu’on donne aux jeunes ! » reprenaient aussi des jeunes à Paris. Le premier réflexe est souvent de s’interroger, à son échelle, sur ses gestes quotidiens. Cela témoigne d’une volonté individuelle de ne pas subir passivement cette société de consommation dont l’absurde fuite en avant s’accompagne d’un gaspillage insupportable et qui sacrifie, au nom du profit, de la compétitivité, les salariés, les peuples, la nature. Le rejet de cette absurdité est une forme « d’hygiène de vie » élémentaire qui s’inscrit dans l’élévation du niveau de conscience qu’entraîne le progrès général du développement de la société humaine, notamment chez les nouvelles générations. Une conscience qui est à la base de l’aspiration démocratique à pouvoir penser, décider sa vie lucidement, en maîtrisant les conséquences de ses actes, en lien avec les autres, avec toute la société comme avec l’ensemble des êtres vivants, du monde naturel dont nous sommes partie prenante.

Mais la somme de ces gestes quotidiens, aussi légitimes soient-ils, reste bien dérisoire face aux enjeux planétaires et aux obstacles à surmonter pour résoudre les problèmes. La crise climatique n’a pas d’issue locale, individuelle, elle oblige à porter un regard critique, radical sur ce qu’est le fonctionnement de cette société. L’écologie, en tant que science, oblige à faire le lien entre notre environnement, l’impact que les activités humaines ont sur lui et donc le cadre dans lequel ses activités se développent… et c’est d’ailleurs ce qui lui donne son caractère subversif.

Car la cause première de la crise climatique n’est pas à chercher dans des généralités abstraites sur l’accroissement de la population, sur les comportements individuels, ou sur la science, le progrès mais dans les contradictions que la société capitaliste a développées depuis près de 200 ans.

Si le développement des sociétés humaines et des techniques a toujours eu un impact sur l’environnement, c’est avec le mode de production capitaliste qu’il a pris une ampleur sans précédent. Avec le capitalisme, il ne s’agit plus de produire des biens utiles et nécessaires aux populations mais des marchandises qui n’ont d’autre but que d’être vendues pour réaliser un profit et accumuler ainsi du capital. Il n’y a pas de limites à cette accumulation, comme l’expliquait Marx, le capital n’a « d’autre limite que le capital lui-même ». C’est pour cela que dès son origine, le capitalisme s’est développé à travers une dynamique folle et destructrice, alternant période de croissance productiviste et crise de surproduction, s’ouvrant de nouveaux marchés par la force des armées ou par l’artifice du crédit, avec toujours comme seul objectif : trouver de nouvelles sphères pour valoriser, faire fructifier le capital, que cela corresponde ou non à de réels besoins pour la société et quelles qu’en soient les conséquences pour l’environnement.

C’est cette folie d’accumulation capitaliste qui a donné à la crise écologique actuelle sa nouveauté. La mondialisation impérialiste et libérale a entraîné une globalisation de la crise écologique dont le réchauffement climatique est une manifestation mais qui se traduit aussi par un effondrement de la biodiversité comme par une pollution qui en quelques décennies s’est répandue à toute la planète.

Dans le cadre du capitalisme, toute la société est soumise aux intérêts d’une classe minoritaire qui s’approprie les richesses produites par le travail de la majorité, au prix du renforcement des inégalités sociales et de la destruction de l’environnement, et cette appropriation se poursuivra tant qu’il y aura de la main-d’œuvre à exploiter et des ressources à piller, ce qui faisait dire à Marx : « le capital épuise les deux seules sources de toute richesse : la Terre et le travailleur ».

Le décalage entre cette réalité et les formidables possibilités ouvertes par les progrès accumulés, par les sciences et les techniques, les luttes pour les droits démocratiques, pour l’accès de tous à l’éducation, la santé, la culture, devient chaque jour plus insupportable. La conscience de ce décalage est le moteur même de la révolte de la jeunesse, comme de toutes les aspirations démocratiques à transformer ce monde pour le libérer des entraves du parasitisme des classes dominantes, pour que le progrès puisse profiter à l’ensemble de la société.

Un greenwashing généralisé pour contenir la révolte de la jeunesse

En décembre 2018 à la Cop 24, Greta Thunberg, la jeune militante suédoise à l’origine des grèves pour le climat, avait finalement posé le problème de fond : « Si les solutions au sein du système sont impossibles à trouver, alors il faut changer le système lui-même. »…

Depuis plus de 30 ans, les dirigeants des grandes puissances ont multiplié les sommets internationaux, les conférences sur le climat mobilisant toute une partie de la communauté scientifique. Ils ont surtout multiplié les discours moralisateurs sur la planète, sur l’écologie, sur la responsabilité de chacun, en essayant de masquer le cynisme et l’irresponsabilité des classes dominantes qui n’ont fait dans la même période qu’accroître, à travers la mondialisation libérale et impérialiste, le caractère parasitaire, prédateur du capitalisme financier.

L’écologie est devenue un cache sexe pour des politiciens discrédités espérant se donner une image progressiste à bon marché, comme pour des multinationales qui usent et abusent de l’« écologie » comme d’un label pour promouvoir leur « capitalisme vert » et faire oublier leur responsabilité dans la situation.

A ce cynisme des classes dominantes et de leurs représentants, les jeunes opposent les faits, les constats établis par les scientifiques. Ils dénoncent, à juste titre, qu’aucune de leurs préconisations n’ait été réellement mise en œuvre à l’échelle mondiale, et il apparaît clairement que c’est avant tout parce que cela impliquerait de remettre en cause les intérêts à court terme des principales multinationales qui dominent l’économie mondiale. Bien au contraire, ceux qui promettent de réparer les dégâts écologiques du capitalisme sans le remettre en cause, ne jurent que par les lois du marché, et n’envisagent que la multiplication des taxes, une privatisation généralisée de la nature, autant de terrains pour toutes sortes de spéculations, pour de nouvelles formes d’accumulation du capital.

Si au nom de la « transition écologique », les classes dominantes voudraient nous imposer leur « capitalisme vert », les différents partis de la gauche réformiste comme des appareils syndicaux multiplient les programmes comme le Green New Deal pour une « transition écologique » qu’ils voudraient socialement juste mais qui portent surtout la vieille illusion qu’il serait possible de rendre le capitalisme raisonnable, de le contrôler grâce à l’intervention de l’État et de politiques publiques.

C’est une illusion dangereuse car il n’y a rien à attendre des gouvernements, des États qui sont tous soumis à la logique du marché imposée par les classes dominantes, comme le prouve, depuis des décennies, leur incapacité totale à faire face au réchauffement climatique. Le problème est bien plus profond et nécessite une remise en cause de tout le fonctionnement de la société, et c’est de fait à ce niveau qu’une partie de la jeunesse pose le problème, avec raison.

Le catastrophisme abdique des possibilités ouvertes par les progrès humains

Face au sentiment d’impuissance devant la catastrophe annoncée et l’inaction des gouvernements, se développent des théories qui défendent l’idée qu’un effondrement général de la civilisation est inévitable et que c’est à cela qu’il faut se préparer.

Cette vision catastrophiste de l’avenir, théorisée par ceux qui se nomment des « collapsologues », s’appuie pour une part sur des données scientifiques qui décrivent la dégradation bien réelle de notre environnement mais aussi sur des considérations générales, des « intuitions » sur les comportements humains qui relèvent plus de l’idéologie que de la science. La révolte des opprimés, les luttes sociales et les progrès qu’elles ont permis à travers l’histoire humaine, n’existent pas à leurs yeux. Ils ne voient que des groupes humains abstraits répondant à des mécanismes « psychologiques », hors du temps.

De tels raisonnements condamnent à l’impuissance, au renoncement à agir pour changer les choses. Ils n’offrent comme seule perspective que le repli sur soi, individuel ou au mieux en petites communautés autonomes, cultivant méfiance et hostilité vis-à-vis de la science, du progrès…

Les collapsologues critiquent l’idéologie « des premiers de cordée », la concurrence généralisée que le capitalisme génère et lui opposent la coopération, la solidarité. Mais ils ne voient celles-ci possibles qu’à l’échelle de petits groupes. C’est une vision bien étroite et archaïque. Cela revient à abdiquer des possibilités ouvertes par les progrès qui ont unifié comme jamais le monde, ne serait-ce que par le formidable essor des moyens de communications.

Un combat pour le socialisme qui s’inscrit dans le développement de la société

A l’opposé de ce repli pessimiste, l’enjeu du combat est de permettre à la société humaine de franchir une nouvelle étape de son développement en généralisant la coopération, la solidarité à l’échelle de toute l’Humanité sur la base de l’essor des techniques qui rendent possible la démocratie la plus large. Cette perspective est inscrite dans le prolongement de toutes les transformations sociales à la base d’un progrès global des sociétés humaines même si celui-ci garde ce caractère contradictoire imposé par la domination de classes minoritaires. C’est la seule véritable perspective pour surmonter la crise généralisée actuelle… qui est moins une « crise de civilisation » que celle d‘une forme historique de son organisation sociale, le capitalisme, et surtout une crise qui révèle la faillite d’une classe dominante qui s’accroche à son système.

Le capitalisme semble avoir atteint ses limites, il domine l’ensemble de l’économie mondiale mais ne se survit qu’en étant de plus en plus parasitaire, qu’au prix d’une accentuation de l’exploitation du travail humain comme du pillage des richesses naturelles et des ravages sociaux et environnementaux que cela entraîne.

Pourtant et c’est toute la contradiction de la situation actuelle, jamais la société humaine n’a été aussi riche de possibilités. Car le capitalisme a aussi été le cadre d’un progrès des sciences et des techniques sans précédent comme d’un développement à l’échelle du monde d’une classe des salariés, plus jeune, plus instruite, plus interconnectée que jamais dans l’histoire.

Ce qui empêche la réalisation de ces possibilités, c’est leur dévoiement par la logique de profit capitaliste. Faire face à la crise écologique ne signifie donc pas moins de sciences, de technique mais leur réappropriation sociale, leur libération des entraves de la propriété privée, et pour cela en finir avec la domination et le parasitisme d’une classe minoritaire qui façonne toute la société en fonction de ses intérêts.

La crise climatique est devenue une question sociale et politique déterminante, dont il faut prendre la mesure en l’intégrant à la compréhension des caractéristiques de la nouvelle période dont elle concentre toutes les contradictions.

Combat écologique et combat social se rejoignent dans un seul et même combat, un combat de classe contre la domination de l’économie mondiale par les multinationales, les grands groupes financiers et les États à leur service. C’est un même combat pour une réponse globale, internationale, dépassant les cadres nationaux et dépassant les intérêts à court terme des classes dominantes, pour une transition démocratique et révolutionnaire vers le socialisme.

Bruno Bajou

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