Depuis la crise de 2007-2008, les médias économiques sont agités de vents contradictoires sur la santé financière et économique mondiale. Les annonces de catastrophe imminente succèdent aux espoirs de reprise, les deux se mélangeant parfois... Parmi d’autres, l’économiste américain N. Roubini publiait en septembre 2018 une tribune intitulée « Les ingrédients d’une récession et crise financière d’ici 2020 » Interviewé mercredi 27 juin par les Echos, le patron de la banque Goldman Sachs déclarait, lui, « chez Goldman Sachs, nous n'anticipons pas de crise financière majeure en 2020 »… sans pour autant contester l’accumulation des « facteurs de risque » que soulignait son collègue. Une tribune du Monde du 1er juillet titrait « A force de vouloir prévenir la prochaine récession, on a créé les conditions d’une crise encore plus grande »… 

2020 ou pas, un nouvel épisode aigu de la crise financière et économique permanente semble inévitable, et cela alors que les expédients de 2007-2009 semblent avoir épuisé leurs possibilités et que les mesures mises en œuvre depuis n’ont fait que retarder les échéances tout en aggravant, effectivement, la situation.

C’est l’illustration concrète que la crise de 2007-2008 était bien autre chose qu’une crise cyclique « classique » du capitalisme, un mauvais moment à passer avant que tout redémarre grâce au jeu combiné des logiques internes du capitalisme et des mesures budgétaires et monétaires des Etats et des Banques centrales.

Les réponses des capitalistes à la crise de 2007-2009 n’ont pas ouvert de réelles nouvelles possibilités de développement et leur système, le mode de production capitaliste, se retrouve sans rémission possible au bord de la faillite. Et il n’a pas d’autre perspective, pour survivre, maintenir ses profits, sa domination économique que d’accentuer son offensive contre les travailleurs et les populations sans pour autant avoir le moindre espoir de sortir d’un état de sénilité avancé, agité de poussées de fièvre plus ou moins importantes.  

La question n’est alors pas tant de savoir s’il va y avoir ou pas un nouvel effondrement financier et économique, mais si, de cette faillite, peut naître une autre société.

La phase de développement actuelle du capitalisme offre, comme jamais dans l’histoire auparavant, des possibilités de construire une société socialiste fondée sur la coopération et la solidarité des peuples, la planification mondiale de l’économie pour satisfaire l’ensemble des besoins humains dans le respect de la nature, c’est-à-dire de l’homme et de son environnement. C’est non seulement une possibilité mais la seule perspective pour les révoltes sociales et politiques qui s’élèvent déjà et ne peuvent que se développer, face à une offensive de la bourgeoisie qui ne peut que se poursuivre et qui, d’accès de fièvre en accès de fièvre, ne peut qu’aggraver la maladie sénile du capitalisme arrivé à son stade ultime.

Un nouvel épisode fébrile, quand la crise annoncée masque la maladie incurable

Présenter les menaces comme les « ingrédients d’une crise financière et économique » à venir tend à masquer l’état désespéré du malade, comme si l’épisode à venir pourrait permettre au capitalisme de retrouver une santé après s’être purgé de ses contradictions.

Il n’en est rien.

Sur le terrain économique, c’est d’abord le constat d’une panne chronique qui se mesure à la faible perspective de croissance du PIB mondial comme du commerce international. Selon l’OMC, la croissance du volume des échanges de marchandises devrait tomber à 2,6 % en 2019, contre 3,0 % en 2018 et connaître « encore de fortes turbulences en 2019 et en 2020 ».

Les taux de profit industriel ne se maintiennent que par l’aggravation de l’exploitation. La productivité industrielle est en panne, au grand dam de ceux qui attendaient un miracle du déploiement massif des « nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) dans l’industrie. Dans les faits, il y a relativement peu d’innovations dans le domaine des moyens de production, le seul dont la modernisation peut apporter des gains de productivité. Les innovations dues aux NTIC y sont pour une grande part derrière nous. L’invasion des entreprises par des robots est freinée par la logique du capitalisme lui-même : supprimer le travail humain, c’est supprimer la source de plus-value, c’est remettre en cause le système dans son essence…

Outre l’industrie militaire où elle fait florès, l’introduction des nouvelles technologies, comme l’Internet des objets ou une prétendue « intelligence artificielle », se produit essentiellement dans les biens et services destinés à la consommation. Si ces innovations peuvent apporter de réels progrès dans certains domaines, elles sont surtout utilisées comme facteur de vente, mises en scène dans un matraquage publicitaire permanent qui s’ajoute aux ciblages « big-data » et aux commodités d’achat apportées par le e-commerce, illustration de la guerre commerciale acharnée que se livrent les « distributeurs ».

Il est significatif à cet égard que les plus grandes capitalisations mondiales soient trustées par les GAFA. Tel Facebook qui, alors que les banques centrales perdent toute crédibilité en « démonétisant » les monnaies traditionnelles, envisage sérieusement de créer sa propre monnaie dématérialisée, le libra. Comme si un nouvel Etat était en train de naître, de 2 milliards d’habitants, sans frontières, qui fera du libra la première monnaie mondialisée et sera sa propre banque centrale… Pourtant, Facebook ne produit rien et ne vend rien à ses « citoyens ». Il tire ses profits de la vente à d’autres entreprises des espaces publicitaires et du « big-data » sur nos habitudes de consommation. Avec le libra, deux nouvelles perspectives de profit s’ouvrent : empocher sa commission en vendant du libra à ses utilisateurs en échange d’autres monnaies à un taux de change qu’il aura fixé ; et affiner encore plus sa connaissance de nos habitudes de consommation grâce au suivi des transactions effectuées avec « sa » monnaie, ce qui lui permettra de vendre son « big-data » plus cher. Et pourquoi pas, nous vendre du libra à crédit, contre intérêt… Telle est la mesure du parasitisme économique et social atteint par le capitalisme financiarisé, de son degré de sénilité…

Le fait qu’elle se débatte dans un marais dont elle est incapable de se dégager n’empêche pas l’économie mondiale d’accentuer ses destructions de l’environnement. Voir dans le numéro 60 de DR, « Le capitalisme, responsable de la catastrophe climatique annoncée et principal obstacle pour y faire face » (1)

L’état de stagnation chronique de l’économie entre en contradiction avec l’existence d’une masse considérable de capitaux en quête de placements rentables. Faute de trouver ces placements dans les investissements productifs, les capitaux s’enfournent dans une spéculation sans limite sur le marché des changes, des matières premières, de la dette, la Bourse…

Cette accumulation de capitaux fictifs se nourrit largement de la distribution massive d’argent gratuit pratiquée par les Banques centrales, qui ont maintenu le capitalisme financier sous perfusion permanente depuis la crise de 2007. Signe que le malade est incurable, la Banque centrale européenne, qui a manifesté à plusieurs reprises son intention de baisser la dose de ses injections, n’en finit pas de reculer les échéances de peur de déclencher un mouvement moutonnier des spéculateurs. La banque centrale US, la FED, avait commencé il y a quelques mois à remonter ses taux de base, mais son patron, Jerome Powell, vient de déclarer : « Mes collègues et moi sommes aux prises avec la question de savoir si les incertitudes vont continuer de peser sur les perspectives et donc nécessiter un nouvel assouplissement de la politique » (Le Figaro, 25-06)… 

Parallèlement, les niveaux d’endettement public et privé ont explosé. Selon le FMI, la dette mondiale publique et privée a atteint 184 000 milliards de dollars en 2017, soit 225 % du PIB mondial. En 2007, à la veille de l’explosion de la bulle du crédit immobilier à risques aux USA, elle s’élevait à 66 000 milliards de dollars, 120 % du PIB mondial. Le fait qu’elle ait triplé en valeur alors que le PIB mondial n’a même pas doublé est un indice supplémentaire du décalage qui s’accumule entre la production de richesses réelles et le gonflement des risques spéculatifs liés à l’endettement.

L’exacerbation de la concurrence se traduit sur le plan géopolitique par des bouleversements profonds des équilibres, des rapports de force entre les Etats, sur fond d’exacerbation de la guerre commerciale et de montée du militarisme. La montée des tensions qui en résulte perturbe à son tour les échanges internationaux, contribuant à l’aggravation des contradictions. Voir DR n° 98 du 1er juillet (2)

Soumises à l’offensive permanente d’un capitalisme aux abois à la recherche de la moindre parcelle de valeur ajoutée, les classes laborieuses s’appauvrissent de plus en plus. Les Etats-Unis détiennent le record des inégalités sociales. Cela semble même préoccuper la FED qui vient de sortir un rapport sur les « inégalités et les méfaits du capitalisme » pointant le fait qu’en trente ans la fortune des 1 % les plus riches a augmenté de 21 milliards de dollars, tandis que les revenus des 50 % les plus pauvres ont baissé. C’est la même situation, dans des proportions moindres, dans les autres pays riches. Cette paupérisation des travailleurs freine la consommation, devient un facteur de récession. Dans les pays les plus pauvres, pillés par les multinationales, des populations entières ont été dépossédées de leurs maigres moyens de subsistance traditionnels par l’avancée de la mainmise du capitalisme. En résultent les flux irrésistibles de migrants chassés par une misère insupportable et la guerre, et qui affrontent au péril de leur vie les murs érigés par ceux qui en sont les premiers responsables.

Chacun de ces points est un symptôme profond de la maladie du capitalisme d’aujourd’hui. Incurable en ce sens que toute mesure destinée à maintenir coûte que coûte l’extorsion de surtravail social dont il se nourrit ne peut que retarder les échéances… au prix de l’aggravation de l’état du malade.

2007-2009, un tournant pour le capitalisme financiarisé mondial

La crise de 2007-2009 a été l’aboutissement de trente années d’expansion du capitalisme, de transformations profondes initiées au début des années 1980 par Reagan et Thatcher, bientôt rejoints par Mitterrand, dans le but de trouver une issue à la crise des années 1970. Dans les puissances industrielles, le chômage né de la crise permettait à la bourgeoisie de lancer avec succès une offensive généralisée contre sa propre classe ouvrière, restaurant les profits au détriment des salaires. Par ailleurs, l’effondrement des vieux empires britanniques et français à l’issue des révolutions coloniales avait ouvert une grande partie du monde à la libre circulation des marchandises et des capitaux, et ainsi permis l’implantation progressive de filiales des grandes entreprises impérialistes devenues multinationales. Cette ouverture du monde aux investisseurs s’était encore élargie avec la chute de l’URSS au début des années 1990. Un prolétariat industriel naissait dans les pays du tiers-monde, prolétariat bon marché, entrant en concurrence avec celui des puissances industrielles, qui voyait le rapport de force se dégrader au profit des patrons, tandis que les délocalisations accentuaient la pression du chômage.

C’est sur ce terrain que se sont produites les mutations qui ont conduit à la crise de 2007-2008.

Les surprofits extrêmement juteux permis par les investissements venus des anciennes puissances impérialistes ont permis à la Chine de devenir en quelques années « l’usine du monde » et de développer, grâce à la politique de son Etat, une puissance industrielle capable de disputer aujourd’hui l’hégémonie commerciale des Etats-Unis.

Corollaire du développement des pays émergents, l’industrie des anciennes puissances industrielles n’a cessé de reculer, entraînant avec elle régression sociale, précarité, chômage… Avec pour conséquence la limitation des marchés solvables des pays riches, principal débouché des marchandises produites par la surchauffe des pays émergents, et devenant ainsi une des causes de l’état de récession chronique dans laquelle est plongée l’économie.

Les capitaux, boostés par les surprofits, n’ont cessé de s’accumuler, bien au-delà des perspectives de croissance des investissements productifs rentables. Une partie s’est engouffrée dans la spéculation et « l’industrie de la dette », préparant les mécanismes de l’effondrement de 2007.

D’autres ont servi à concentrer le pouvoir économique et financier mondial entre quelques mains, une oligarchie financière qui se partage la direction des quelques grandes holdings financières qui règnent sur les principales multinationales. La mondialisation libérale a donné naissance au capitalisme financiarisé mondial d’aujourd’hui.

Elle a aussi conduit, par le biais des « chaînes de valeur » qui associent, par-dessus les frontières, des multitudes d’entreprises de toute taille à la production des biens et des services, à pousser à un niveau jamais atteint la division internationale du travail et la socialisation de la production. A tel point que l’interdépendance des moyens de production qui s’est ainsi mise en place entre en contradiction avec les replis nationaux impulsés par les guerres commerciales menées par les Etats. On le voit avec les difficultés auxquelles se heurtent le Brexit comme l’UE. On le voit également avec les réactions des entreprises US aux restrictions commerciales mises en œuvre par Trump qui, si elles favorisent certaines, en mettent bien d’autres en difficulté. 

La crise de 2007-2009 est née des multiples contradictions qui se sont accumulées au cours de cette période. Mais elle s’est avérée incapable de les résoudre, et elles poursuivent leur existence en s’aggravant, acculant le capitalisme au bord de la faillite. C’est en quoi la crise de 2007-2009 constitue un tournant pour le capitalisme financiarisé.

Incapable de sortir de leur faillite, les capitalistes anticipent le nouvel épisode à venir de la maladie en le provoquant...

Confrontés à une situation économique qui réduit à néant les prétendues théories libérales qui annonçaient, il n’y a pas si longtemps, la « fin de l’histoire », le règne enfin venu des lois du marché et de la propriété privée à l’échelle de la planète, les théoriciens de l’économie politique bourgeoise ont ressorti des placards cette idée, née à la fin des années 1930, que le monde serait de nouveau entré dans une phase de « stagnation séculaire ». Avec à la clé un débat sur deux aspects : savoir s’il est vrai qu’à plus ou moins long terme les taux de croissance des économies industrialisées « tendent vers des niveaux bas », autrement dit savoir si, et alors pourquoi, le fonctionnement « normal » du capitalisme, ses contradictions, finissent par le conduire ou pas à la faillite ; et s’il existe ou pas, dans le cadre capitaliste, des solutions pour sortir de cette ornière : politique budgétaire et monétaire, politique de l’offre ou de la demande...

Depuis dix ans, le débat est en réalité tranché par les faits. Oui, le capitalisme est au bord de la faillite et non, il n’a pas de solution pour relancer la croissance.

Sa seule réponse ne peut être que poursuivre, en l’aggravant, son offensive contre le prolétariat mondial, dans une fuite en avant où dirigeants politiques et banquiers centraux cherchent à anticiper le nouvel accès de fièvre en le provoquant pour tenter de le retarder voire de l’éviter. Cette stratégie réussira-t-elle et jusqu’à quand ? Une chose est certaine, c’est qu’elle conduit inexorablement à une exacerbation des tensions sociales et politiques, porteuses de perspectives révolutionnaires comme jamais auparavant dans l’histoire.

Le stade ultime du capitalisme ?

En 1916, Lénine écrivait L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Son objectif n’avait rien d’académique, il était politique et révolutionnaire. Deux ans après la faillite de la 2ème internationale qui avait sombré dans le chauvinisme au moment du déclenchement de la 1ère guerre mondiale, Lénine cherchait à établir les bases d’une stratégie révolutionnaire nouvelle, capable de répondre aux exigences et aux possibilités de la période. Pour cela, il lui fallait établir « un tableau d’ensemble » de l’économie mondiale, définir les « données » d’une nouvelle période du capitalisme, l’impérialisme. Il tirait de ses analyses la conviction que la période portait en elle la nécessité et la possibilité pour le prolétariat des pays en guerre d’en finir non seulement avec la guerre, mais avec sa cause, le capitalisme. La révolution russe et la vague révolutionnaire qui l’a accompagnée lui donnaient raison… Mais la révolution prolétarienne était vaincue partout, à commencer par l’Allemagne, puis liquidée en URSS par la contre révolution stalinienne. L’impérialisme, en tant que phase particulière de développement du capitalisme, « ère des guerres et des révolutions » comme la caractérisait Lénine, se survivait jusqu’à la 2ème guerre mondiale et la fin des guerres de libération nationale…

S’ouvrait alors une nouvelle période d’expansion, dont Ernest Mandel (économiste et dirigeant de la 4ème internationale) décrivait les caractéristiques dans Le 3ème âge du capitalisme écrit en 1970, juste avant le déclenchement de la crise. Pour Mandel, après la guerre, une nouvelle période du capitalisme s’était ouverte, différente de l’impérialisme « classique » de Lénine même si elle en gardait certains traits. Cette nouvelle période était marquée par de profonds changements dont la fin de la domination coloniale directe, remplacée par d’autres moyens de domination, d’une autre nature. Il analysait d’un point de vue marxiste, militant et révolutionnaire, les caractéristiques spécifiques de la période des « trente glorieuses » et en tirait la conclusion que l’entrée dans une crise était inéluctable – elle se déclenchait effectivement en 1973 –, mais aussi que le capitalisme ne pourrait s’en dégager qu’en attaquant le monde du travail pour lui extorquer toujours plus de plus-value et en développant des entreprises multinationales afin d’ajouter au pillage des ressources du tiers-monde l’exploitation de ses réserves de main d’œuvre bon marché.(3)

Et c’est bien ce qui s’est produit au cours des trente années qui ont suivi et qui ont débouché d’abord sur l’effondrement de l’URSS et l’offensive libérale et impérialiste, la mondialisation financière, puis sur la crise de 2007-2008, celle de la faillite du capitalisme financiarisé mondial.

Au cœur de toutes les questions, celle du pouvoir et la perspective du socialisme

Le maintien en vie de ce système économique failli a un coût humain, social, démocratique et écologique exorbitant contre lequel s’élèvent partout dans le monde d’immenses mouvements de révolte. Dès 2008, des émeutes de la faim explosaient dans certains pays africains, alors que les spéculateurs se précipitaient en masse sur les matières premières agricoles. Suivaient ensuite les révoltes des indignés en Europe, le mouvement Occupy Wall Street, le Printemps Arabe… Ils étaient précurseurs de grandes révoltes sociales qui se poursuivent aujourd’hui, comme en Algérie et au Soudan, portant des revendications démocratiques, économiques, l’exigence d’un emploi, la défense des intérêts des 99 % contre les 1 %… Le mouvement des Gilets jaunes en France s’inscrit dans cette logique.

A cela s’est ajouté récemment le mouvement porté par la jeunesse contre l’incurie manifeste des Etats face à la montée des risques climatiques. Sans oublier l’action tenace de toutes celles et ceux qui s’opposent activement aux politiques anti-migratoires, dont la capitaine du Sea Watch 3 qui a forcé les barrages de la marine italienne pour débarquer en Sicile une quarantaine de migrants sauvés de la Méditerranée.

Ces révoltes ne sont pas seulement l’expression qu’un seuil a été franchi dans l’insupportable, elles marquent une évolution des consciences qui se produit à l’échelle mondiale et remet fondamentalement en cause l’idéologie dominante, la soumission à un état de fait qu’il faudrait considérer comme une fatalité.

Dans la préface à la Critique de l’économie politique, Marx écrivait : « dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles… » .

C’était affirmer une évidence qui échappe totalement à la logique de la bourgeoisie, que les rapports de production qui fondent une société, produits de l’histoire, de l’évolution des techniques mais aussi de la lutte des classes, ont pour fonction première, indispensable, la « production sociale de l’existence » de la collectivité humaine, de chacun des êtres qui la constituent, et cela à un niveau de vie correspondant au degré de développement atteint par les sciences et les technologies. 

Cette tâche, dont il a hérité de l’histoire, le capitalisme ne sait la remplir qu’à travers le salariat, l’achat de la force de travail en échange d’un salaire, et il est aujourd’hui, encore plus qu’hier, incapable de l’assumer. Il cache cette impuissance, signe premier de sa faillite historique, s’en défausse à travers son idéologie, qui semble avoir réussi à imposer dans les cerveaux de bien des exploités l’idée que, comme on peut le lire dans certains traités d’économie, « la fonction première d’une entreprise est de réaliser du profit »… Les prolétaires qui sont à l’origine de la création de ce profit sont ainsi invités non seulement à remercier les patrons pour le travail qu’ils leurs « offrent », mais encore à les ériger en modèle pour le risque qu’ils prennent à « entreprendre ». Le fait que les êtres humains puissent « bénéficier » du simple moyen de subsister est relégué au rang de fruit de la générosité d’une poignée de parasites sociaux et des « politiques pour l’emploi » des gouvernements !

Cette absurde inversion de la réalité est une des expressions du recul qu’a connu la conscience de classe du mouvement ouvrier au cours des quarante dernières décennies. C’est le fruit du matraquage de la propagande bourgeoise, bien sûr, mais avant tout celui des politiques menées par les organisations politiques, partis socialistes et partis communistes, qui se sont alignés depuis les années 1980 sur les politiques de régression sociale de la bourgeoisie au point de les mener elles-mêmes quand elles étaient au pouvoir, ainsi que des grandes confédérations syndicales, engluées dans la collaboration de classe qu’elles appellent « dialogue social ».

Mais les bases existent de nouveau pour que cette conscience de classe puisse se reconstituer, et à un degré bien supérieur à celle qui, jusqu’aux années 80-90, restait prisonnière des conceptions foncièrement réformistes des partis sociaux-démocrates et staliniens.

Ces bases sont dans le niveau de développement de l’économie mondiale, produit  de la phase de développement qui s’est achevée avec la crise de 2007-2009. En étendant le salariat à la planète entière, elle a développé une immense classe ouvrière, ses « propres fossoyeurs », comme l’écrivait Marx. Le degré de la socialisation de la production, la division internationale du travail, le niveau des connaissances technologiques et scientifiques sont tels que, débarrassées de leur assujettissement à la loi du profit et de la concurrence, ils rendent désormais possible la mise en place de nouveaux rapports de production, socialistes, basés sur la coopération des « travailleurs associés ». Une société enfin capable d’assurer la « production de l’existence » de chacun de ses membres tout en assurant le retour aux équilibres écologiques indispensables.

Elles sont aussi dans les grands mouvements sociaux actuels, qui se développent en dehors des canaux institutionnels, cherchent des explications politiques, posent la question du pouvoir, du changement de société, de la révolution. Et cela alors que le capitalisme financier mondialisé à l’agonie empêche d’envisager un quelconque renouveau du réformisme.

Ces « ingrédients » sont ceux d’une perspective révolutionnaire bien réelle, mais qui a besoin, pour se concrétiser, d’un programme capable d’unifier toutes les révoltes dans une perspective commune, socialiste et internationaliste. Aider à ce qu’un tel programme se construise, un « programme de transition » pour les luttes d’aujourd’hui dans le monde d’aujourd’hui, est la tâche première et urgente de tous les militants, de toutes les organisations révolutionnaires.

Daniel Minvielle

 

1) http://npa-dr.org/index.php/9-article-lettre/222-le-capitalisme-responsable-de-la-catastrophe-climatique-annoncee-et-principal-obstacle-pour-y-faire-face

2) http://www.npa-dr.org/index.php/9-article-lettre/317-pour-defendre-leur-hegemonie-les-usa-menacent-de-guerre-l-iran-une-menace-pour-le-monde-entier

3) Voir le dernier chapitre du 3ème âge du capitalisme d’E. Mandel, « La crise des rapports de production capitalistes » http://www.npa-dr.org/index.php/13-autres-textes/319-e-mandel-la-crise-des-rapports-de-production-capitalistes

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