Des mouvements spectaculaires pour les droits des femmes, en particulier pour le droit à l’avortement, ont lieu en Amérique latine mais aussi très massivement en Espagne, en Pologne ou en Irlande depuis ces derniers mois. Issus de mouvements plus anciens, lors du Printemps arabe, ou en Inde contre des viols en 2012 ou encore aux États-Unis lors de l’arrivée au pouvoir de Trump, puis en Argentine et en Amérique latine avec le mouvement Ni Una Menos, certains parlent même d’une « quatrième vague » féministe née en 2015 (après la première de la fin du XIXème siècle au Deuxième sexe de S. de Beauvoir, celle des années 70 puis des années 90). Ce combat s’inscrit en fait dans la continuité des luttes des femmes pour l’égalité et leur émancipation, luttes qui connaissent des hauts et les bas au rythme des luttes de l’ensemble des opprimés, en relation avec l’évolution globale de la société et des rapports de forces.

Quoi qu’il en soit, il existe un mouvement bien réel qui se construit pour des droits démocratiques fondamentaux, des droits durement gagnés et toujours remis en cause comme en Pologne où l’interdiction totale de l’IVG a été remise à l’ordre du jour du Parlement le 2 juillet…

Bien au-delà de la parole libérée par l’affaire Weinstein, ce sont des luttes populaires et massives qui se développent pour la défense des droits des femmes, de toutes les femmes.

Ce qui les caractérise est lié à la nouvelle période que nous vivons. D’abord, elles ont lieu dans la rue, même quand elles veulent imposer des réformes institutionnelles comme des référendums. Ensuite, elles sont mixtes, elles ne sont plus l’affaire des seules femmes instruites de la classe moyenne des pays riches. Avec des formulations diverses, elles touchent des femmes des milieux populaires les plus pauvres, dont les femmes issues de l’immigration, des quartiers populaires, comme aux États-Unis avec Black Lives Matter.

Ensuite, mêlant les générations, elles sont le plus souvent menées par des jeunes, une nouvelle génération militante qui, contrairement aux précédentes, n’a que très peu d’illusions dans les syndicats et partis institutionnels, préférant agir elle-même en pleine autonomie.

Enfin, elles lient de façon claire et déterminée lutte contre l’oppression des femmes et lutte sociale, cette dernière étant devenue incontournable par l’exacerbation des attaques contre le monde du travail partout dans le monde. Au XXIème siècle, pour la première fois, les femmes représentent la moitié de la population active mondiale, elles constituent la moitié de ceux qui migrent à travers le monde ; leur lutte est devenue une lutte incontournable du monde du travail.

Des luttes audacieuses et modernes pour toutes les femmes et toutes les sexualités

En Irlande et en Pologne, des manifestations de rue puissantes, comme celles de parapluies des femmes en noir en Pologne depuis 2016 ont permis de gagner des référendums de façon inattendue, un énorme encouragement aux luttes en cours.

Il y a aussi des luttes populaires qui entraînent, et c’est nouveau, des femmes de milieux pauvres, les plus touchées par le racisme. Aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter a été créé par des femmes afro-américaines dont les fils avaient été victimes de violences policières par des policiers blancs. Elles ont vite regroupé aussi les femmes et les personnes à orientation sexuelle différente (rompant avec les tenants des droits civiques et autres courants contestataires influencés par la religion, foncièrement opposés aux luttes LGBT) en aspirant à juste titre à se battre avec tous les opprimés. Il devient courant de parler alors d’intersectionnalité. Mais ce terme voudrait faire la théorie des oppressions dites croisées (le fait, par exemple, qu’une femme noire, lesbienne et pauvre cumule quatre oppressions) en ne posant pas le problème en termes de classe. Il détourne en fait de cette lutte de classe en n’offrant comme perspective que les luttes contre des oppressions spécifiques séparées, en divisant les combats. C’est aujourd’hui un débat au sein d’une fraction du mouvement féministe.

Des luttes qui font le lien entre l’oppression des femmes et l’exploitation

Ce qui est nouveau aussi dans ces féminismes populaires, c’est qu’ils luttent contre l’austérité imposée par les gouvernements. Au Chili, le mouvement de masse actuel a démarré dans des facultés suite à des harcèlements sexuels répétés et impunis de gros pontes contre des étudiantes mais aussi des employées contractuelles. A l’Université catholique, l’Assemblée qui a occupé la fac, d’abord non mixte puis ouverte aux hommes et aux personnes à l’orientation sexuelle « dissidente », a levé l’occupation après avoir obtenu l’assurance du droit de grève et du paiement d’heures sup. à une victime de harcèlement sexuel. Une quarantaine de facs ont été occupées et la manifestation du 6 juin a regroupé 100 000 personnes dans un pays où, récemment, 34 évêques ont dû démissionner pour pédophilie (défendus jusqu’au dernier moment par le Pape) !

En Argentine, la lutte massive contre les féminicides menée avec d’autres par Ni Una Menos se poursuit aujourd’hui avec le slogan « Oui à l’IVG, non au FMI ». En effet, le gouvernement Macri a passé un accord avec le FMI en s’en prenant bien évidemment aux salariés, aux services publics et à la population. Lors de la grève du 25 juin à laquelle les bureaucraties syndicales ont été contraintes d’appeler, et alors qu’elles voulaient que les ouvriers restent sagement à la maison, des piquets de grève appelés par le mouvement féministe avec ses foulards verts, le syndicalisme antibureaucratique et les partis trotskistes, en ont fait un succès. Comme disent les militantes, ce sont d’abord les filles et femmes pauvres qui meurent pour avoir avorté clandestinement. Et il n’y aura pas plus d’éducation sexuelle que de droit à l’avortement (même après avoir gagné le 13 juin le référendum l’autorisant très partiellement) avec des coupes sombres dans les budgets publics.

Un combat démocratique et émancipateur

Ce nouveau féminisme populaire, radical et de masse, marque une nouvelle étape en s’étendant au monde entier.

Il n’est pas né de rien. Les luttes féministes ont, certes, existé partout où il y avait oppression des femmes. Elles ont été portées le plus loin dans la contestation de l’ordre établi lorsque les opprimés se sont soulevés dans leur ensemble, comme lors de la Révolution russe et la vague révolutionnaire qui a suivi. C’est alors que des droits démocratiques fondamentaux comme le droit à l’avortement et la protection de la femme seule, le droit au divorce et à l’union libre ont été de fait acquis, en plus des droits de vote et d’éligibilité, ce pourquoi des femmes de la bourgeoisie libérale se battaient depuis presque un siècle !

La quatrième vague féministe actuelle est plus présente dans les pays où le droit fondamental à disposer de son corps est nié (Pologne, Irlande, Amérique latine) par des gouvernements même laïcs épaulés par les religieux, mais où des forces politiques contestataires travaillent la société depuis des années comme en Argentine où l’extrême gauche est une des plus fortes du monde, où également, suite à des attaques frontales, la population a pu renverser 5 Présidents en 2 mois en 2001…

La lutte pour l’égalité des sexes est un facteur révolutionnaire immense quand elle conteste la source de l’oppression, la propriété privée et la subordination, la perversion des rapports humains par les rapports d'exploitation. En contestant le patriarcat, le système de domination masculine lié à la propriété privée et pivot de l’ordre capitaliste, elle conteste tous les tenants de l’ordre établi : patrons, États, mais aussi leurs institutions à travers les représentants religieux, la famille bourgeoise…

La lutte pour l’avortement ne revêt pas seulement aujourd’hui un aspect défensif, comme le disent des slogans de Ni Una Menos : « de l’éducation sexuelle pour décider, des contraceptifs pour choisir, l’avortement pour ne pas mourir ». Elle n’est plus seulement comme elle l’a été en 1920 avec la révolution russe, une lutte de santé publique pour protéger les mères et leurs enfants en temps de guerre civile. Elle n’est pas plus, comme dans les années 70, pour l’essentiel, une lutte des femmes des classes moyennes de pays riches.

Aujourd’hui, quand de jeunes manifestantes brandissent seins nus des pancartes « Maternité, non, plaisir, oui » en Amérique latine, elles affirment le droit à disposer de leur corps, à « jouir sans concevoir » pour toutes les femmes et toutes les sexualités. Elles défient un monde de peur, de silence, d’hypocrisie, de honte, d’autorité et de violence jusque dans les relations les plus intimes. Elles disent qu’elles sont, et c’est plus qu’une affirmation de l’égalité des sexes, un affront à la soumission, à l’exploitation et à l’oppression, un appel à une vie moderne, digne de ce siècle, loin des préjugés et des obscurantismes d’un autre temps.

Foncièrement opposées à l’appropriation du corps des femmes et aux violences machistes inhérentes, mais aussi aux politiques d’austérité, de discrimination, d’exclusion, ces luttes lient donc luttes démocratiques et lutte sociale, émancipation économique et politique.

En menant ces luttes, en devenant actrices à part pleine et entière de la vie sociale pour et par elles-mêmes, ces nouvelles générations militantes féministes rompent avec les rapports de domination pour chercher à construire des rapports libres et démocratiques entre les sexes et les genres. C’est un facteur d’émancipation pour toutes et tous qui ne peut que renforcer le combat collectif. Elles sont de ce fait un puissant facteur de liberté pour les femmes mais aussi pour les hommes.

Elles montrent le caractère indispensable de l’affrontement avec le capitalisme ; il n’y aura pas de libération des femmes sans en finir avec la propriété privée, un combat qui ne peut se diviser entre sexes ou origines et nationalités, un combat du monde du travail uni.

Mónica Casanova

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