Le 6 octobre, le FMI par la voix de sa présidente Lagarde, annonçait une reprise de la croissance de l’économie mondiale de 3 % en 2016 à 3,5 % en 2017... Quelques jours avant, Les Echos publiaient un article reprenant un rapport d’analystes de la Deutsche Bank intitulé Les 10 potentielles causes de la prochaine crise financière. Ce n’est qu’apparemment contradictoire tant il est vrai que la croissance capitaliste, c’est-à-dire celle des profits, est le plus court chemin vers… la prochaine crise.

En effet, on lit dans Les Echos : « Le monde commence à peine à se relever de la dernière crise financière que la question du prochain choc est déjà sur la table des économistes.[…] avec la croissance exponentielle de la finance, l’internationalisation des banques... l’économie mondiale est devenue de plus en plus instable, augmentant au passage la fréquence et l’ampleur des crises. Malgré la régulation introduite après 2008, censée rendre le monde plus sûr, et bien que les différentes économies montrent des signes de croissance solide, ce serait un acte de foi énorme d’affirmer que les crises ne constitueront plus un évènement régulier du système financier en place depuis les années 1970 ».

Une de ces causes serait la difficulté des banques centrales à « normaliser leur politique monétaire », à mettre fin à la politique qui a inondé les banques privées de milliers de milliards d’argent frais sous prétexte de les encourager à investir dans l’industrie pour relancer l’économie. Mais ces milliards n’ont servi qu’à relancer la machine à profits, à gonfler les dividendes, à nourrir la spéculation et les richesses d’une infime minorité, dont les récentes révélations sur les paradis fiscaux ont montré l’indécence. Et mettre fin à cette politique risque maintenant de déclencher la panique. Selon Bank of America, les banques centrales sont aujourd’hui face à un « terrible dilemme », laisser grossir « une bulle […] politiquement inacceptable » ou procéder à « un resserrement des politiques monétaires, qui précipiterait la déflation »… Autrement dit déclencherait une purge dont personne ne sait jusqu’où elle pourrait s’étendre.

Les crises constituent certes « un évènement régulier du système financier », un mécanisme inévitable et nécessaire pour lequel le capitalisme se purge, élimine la masse des capitaux qui ne peuvent réaliser sur le marché les profits attendus. Le problème des financiers, c’est qu’ils ne contrôlent pas plus les flambées spéculatives que les krachs. 2007 a montré que la purge d’un secteur relativement limité de l’économie peut avoir des répercutions beaucoup plus vastes et difficiles à contrôler. L’intervention massive des Etats avait alors réussi à sauver le système bancaire de la menace d’une faillite généralisée. Mais auraient-ils aujourd’hui les moyens d’une telle politique ? Les économistes de la Deutsche Bank en doutent et c’est une des « dix causes potentielles » mises en avant dans leur rapport qui n’ébauche par ailleurs aucune hypothèse concernant les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour limiter, à défaut de pouvoir les éviter, les conséquences de la crise à venir. C’est l’aveu implicite, par les « spécialistes » d’une des principales banques mondiales, que leur système semble avoir épuisé ses capacités de régulation. De l’aveu mêmes des classes dirigeantes, derrière la florissante santé des profits pourraient se profiler des heures plus difficiles.

Quelles conséquences pour les populations ? Comment le capitalisme mondialisé est-il arrivé à un tel niveau de contradictions que toutes les mesures qu’il prend pour relancer les profits deviennent de nouveaux facteurs de crise ? En quoi ce processus pose-t-il la nécessité de la liquidation de ce système en faillite, de son remplacement par une société socialiste, communiste ?

2007, de l’étincelle des subprimes à la crise « globale » et à son traitement

La crise de 2007 s’est produite alors que la finance internationale venait de connaitre quelques années particulièrement exubérantes, une euphorie portée par une croissance continue des marchés. La purge a été déclenchée par l’implosion, aux Etats-Unis, de la bulle spéculative dite des « subprimes ». Ce terme désignait des crédits hypothécaires et à taux variables vendus à des familles pauvres pour acheter une maison.

En cas de défaut de l’emprunteur, la maison revenait au prêteur. Comme on était en plein boom immobilier et que le prix des maisons ne cessait de grimper, l’affaire s’avérait très juteuse pour les organismes de crédit qui pouvait revendre la maison à un prix supérieur au capital avancé si l’emprunteur s’avérait incapable d’honorer ses échéances. D’où le succès : en 2006, les subprimes représentaient 23 % du total des crédits immobiliers aux USA. Les organismes de crédit subprimes se finançaient facilement auprès des banques, leur échangeant des titres de subprimes contre des capitaux frais. Les banques spéculaient sur cette dette, en démultipliant les produits dérivés qui se disséminaient dans l’ensemble du système financier mondial…

Jusqu’au moment où, à partir de 2006, le ralentissement économique des USA et la baisse du marché immobilier détraquaient la mécanique. Au plus fort de la crise, en 2007, près de trois millions de familles, incapables de payer les échéances, avaient été expulsées de leurs maisons. Leur prix s’était s’effondré, réduisant à néant, pour les détenteurs des titres de subprimes ayant perdu toute valeur, l’espoir de compenser leurs pertes par la vente des maisons saisies. Les subprimes étaient devenues « toxiques ». Les organismes financiers à l’origine de l’arnaque faisaient faillite, jetant des milliers de salariés au chômage.

Les institutions financières qui s’étaient précipitées sur l’aubaine étaient également touchées, d’autant que les subprimes n’étaient qu’une part relativement réduite d’une « industrie de la dette » qui avait accumulé sur les livres de comptes quantité de titres à la solvabilité aussi douteuse que les subprimes. Les « produits dérivés » de la dette, sorte d’assurance contre l’insolvabilité des emprunteurs, avaient été inventés par « l’industrie financière » pour en répartir les risques. Rapidement devenus objets de spéculation, ils s’étaient disséminés dans l’ensemble du système financier international. L’assurance contre le risque s’était transformée en vecteur de contamination. La confiance entre banques s’effondrait. Une crise du crédit s’instaurait, entrainant l’économie dans la récession.

La panique s’emparait des marchés. En septembre 2008, la débâcle boursière touchait toutes les places mondiales. Les grandes banques se retrouvaient au bord de la faillite, telle Lehmann Brother, qui n’en réchappait pas. Les Etats volaient à leur secours, afin de compenser de toute urgence l’effondrement de la valeur des titres toxiques accumulés. En 2008, l’Etat US y consacrait 421 milliards de dollars, Sarkozy 320 milliards. Sur la période 2008-2011, les pays de l’Union européenne ont versé aux banques 1 616 milliards d’euros, 13 % du PIB européen.

Cet argent était emprunté sur des marchés où régnaient ces mêmes banques qu’il s’agissait de sauver des conséquences de leur cupidité… La dette privée des banques se transformait en dette publique.

La crise bancaire stoppée, la spéculation reprenait de plus belle. En 2008-2009, elle se portait massivement sur le pétrole et les matières premières minières et agricoles, affamant des populations entières, déclenchant des émeutes de la faim dans plusieurs pays pauvres. Elle s’attaquait aussi à la dette publique. En Europe, les taux exigés par les marchés obligataires s’envolaient et conduisaient, fin 2009, à une crise de la « dette publique » qui touchait plus particulièrement le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne, menacés de faillite. En Europe, la troïka constituée du FMI, de la BCE et de la Commission européenne se lançait, main dans la main avec les Etats nationaux, dans une vaste offensive contre les populations, des politiques d’austérité qui ont atteint, avec la Grèce, une violence inouïe.

Les banques centrales volaient au secours des profits bancaires. Entre décembre 2011 et février 2012, la BCE a prêté aux banques privées plus de 1000 milliards d’euros à un taux de 1 % alors que ces mêmes banques exigeaient jusqu’à 7 % de taux d’intérêt pour prêter aux Etats. Les taux directeurs, auxquels les banques centrales prêtent de l’argent aux banques privées, ont été baissés jusqu’à devenir nuls, voire négatifs. Une vaste opération de rachat de titres d’Etat et de grandes entreprises a été lancée, sous le nom de Quantitative Easing. En Europe, à partir de mars 2015, la BCE a mis 60 milliards d’euros par mois à la disposition des banques. Les montants sont ensuite passés à 80 milliards avant de redescendre à 60, puis à 30 fin septembre. A la fin de cette année, la BCE aura racheté pour 2 300 milliards d’obligations d’Etat et de grandes entreprises (Total, Danone, Volkswagen…) peu rentables, voire « douteuses » aux banques européennes.

L’aboutissement d’un demi-siècle de politiques au service des profits

La crise de 2007 est l’aboutissement d’un demi-siècle de politiques impérialistes qui, à la recherche permanente de profits, de marchés pour leurs marchandises, de terrains d’investissements pour leurs capitaux ont, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, étendu la domination du mode de production capitaliste à la planète entière.

Vers la fin de la guerre, les impérialismes vainqueurs et l’URSS s’étaient répartis le contrôle du monde pour éviter que se reproduisent les évènements révolutionnaires qui avaient explosé à la fin de la guerre précédente. En France, le Conseil National de la Résistance, puis le gouvernement auquel participaient main dans la main gaullistes, SFIO et PCF remettait « la France au travail ». La véritable nature du « compromis social » des « Trente glorieuses » est là, dans cette « unité nationale » et dans un rapport de force qui contraignait les bourgeoisies impérialistes européennes, Grande Bretagne et France, alors confrontées aux révolutions coloniales, à lâcher du lest à leur propre classe ouvrière, à payer pour la paix sociale.

L’impérialisme US, devenu maître du « monde libre » à qui il imposait sa gouvernance économique, politique et militaire, finançait à crédit la reconstruction européenne et encaissait les intérêts. Une croissance relativement importante en résultait, d’où le qualificatif de « glorieuse » donné à cette période par ceux qui en ont bénéficié, les classes dominantes. Elle s’est achevée sur une crise qui a touché l’ensemble des puissances impérialistes au cours de la décennie 1970-80. La croissance et les profits s’étaient effondrés, entraînant une forte augmentation du chômage. Dès le début des années 1980, les bourgeoisies impérialistes, à l’initiative de Reagan et de Thatcher bientôt suivis par Mitterrand et Kohl, allaient en tirer partie pour s’attaquer aux concessions sociales lâchées à la sortie de la guerre.

Le « compromis social » laissait place à l’offensive « néolibérale », tandis que PS et PC poursuivaient leur collaboration de classe. Ce passage du « compromis social » au « néolibéralisme » n’est pas le résultat d’un choix idéologique, la mise en œuvre en quelque sorte arbitraire d’un nouveau « modèle » élaboré par des secteurs particulièrement réactionnaires et avides de la bourgeoisie. Ses causes sont dans la lutte des classes, dans la nécessité pour la bourgeoisie de restaurer les taux de profit, dans l’opportunité qui lui était donnée par le chômage de masse créé par la crise d’inverser le rapport de force en sa faveur. Les théories « néolibérales » n’en sont que l’habillage idéologique.

Les profits tirés de l’exploitation du travail repartaient à la hausse. Mais cette reprise des profits ne se traduisait pas pour autant par une reprise équivalente de la croissance économique. Les capitaux nouvellement créés devaient chercher ailleurs des terrains d’investissement. Les grandes firmes impérialistes se transformaient en multinationales. Profitant de la libéralisation des règles du commerce international qui supprimait les obstacles à la circulation des capitaux, elles investissaient massivement dans des filiales étrangères. L’exploitation d’une main d’œuvre très bon marché, inorganisée, sans protection sociale, s’ajoutait ainsi au pillage des richesses des pays pauvres, que les puissances impérialistes poursuivaient de plus belle. Ces investissements directs à l’étranger étaient d’autant plus rentables que les marchandises produites étaient pour une bonne part destinées à être vendues sur les marchés des pays riches, ce qui permettait de dégager de substantiels surprofits.

Mais tandis que les profits prospéraient, que la surchauffe s’installait, de nouvelles contradictions s’accumulaient. En 1997 éclatait la crise des « tigres » et « dragons » asiatiques (Corée du Sud, Thaïlande, Taïwan, Indonésie…). Premiers destinataires de l’afflux de capitaux venus du Japon et des autres pays industriels, ils avaient connu une croissance industrielle forte. Jusqu’au moment où, résultat de la surchauffe spéculative, le « miracle asiatique » s’enraya, provoquant leur effondrement économique et la fuite des capitaux étrangers vers d’autres cieux. Dont celui des « nouvelles technologies » qui devinrent le terrain d’investissements massifs et d’une spéculation intense jusqu’à l’explosion de la bulle, début 2001. Les profits s’effondrèrent, les « réajustements » jetèrent à la rue des centaines de milliers de travailleurs dans le monde entier.

Les capitaux se tournaient alors vers les immenses territoires, la masse inépuisable de main d’œuvre et les perspectives de marchés nouveaux que représentaient la Russie, la Chine et les autres pays « émergents ». Leur industrialisation, particulièrement de la Chine, tirait la croissance internationale, assurant des profits dont la source paraissait intarissable. Les capitaux s’accumulaient, alimentant une spéculation en croissance exponentielle sur l’ensemble de marchés financiers, dont celui de la dette qui prenait, avec le développement des produits dérivés, une ampleur sans précédent.

En 2007, l’écart était devenu énorme entre les bulles de capitaux qui s’étaient constituées au fil des années et la croissance réelle de l’économie mondiale qui, bien que tirée par les pays émergents, n’en restait pas moins freinée par les limitations des marchés solvables. La crise « asiatique » de 1997 s’était cantonnée aux « tigres » et aux « dragons » ; celle des nouvelles technologies, bien que mondiale, était restée limitée à un seul secteur. En 2007, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui était touchée. La globalisation de l’économie avait globalisé l’incurie des classes capitalistes.

La crise de 2007, une étape et un seuil

Les prévisions du FMI sur la croissance à venir ne peuvent faire illusion. Dix années de politiques d’austérité pour les travailleurs et les peuples et de crédit illimité pour les banques n’ont pas mis fin aux contradictions qui plombent l’économie mondiale, bien au contraire.

La courte période au cours de laquelle les pays émergents, surtout la Chine, tiraient la croissance mondiale, semble avoir pris fin. Avec la crise, aux effets de laquelle s’ajoutent ceux des politiques d’austérité, le marché mondial s’est tassé. Le ralentissement de l’économie chinoise s’est répercuté sur les marchés des matières premières et du pétrole, qu’elle a entraînés à la baisse. Baisses qui ont à leur tour entraîné l’effondrement de l’économie de certains pays producteurs de matières premières et de pétrole.

Faute de perspectives de croissance pour les investissements industriels, les Etats volent de plus belle au secours des profits, poursuivant en l’aggravant la politique qu’ils n’ont en fait jamais cessé de mener depuis une quarantaine d’années.

La politique de Macron est aujourd’hui la quintessence de ce nouveau pas dans l’offensive. Il s’agit d’une part d’augmenter le taux d’exploitation, la part extorquée par le capital dans la valeur ajoutée par le travail, en poursuivant la destruction de tout ce qui peut constituer une protection légale des travailleurs, en s’en prenant au salaire socialisé, retraites, protection sociale, santé, etc. D’autre part de détourner au profit des plus riches les richesses publiques, par le biais d’une fiscalité sur mesure, de la dette publique, de la liquidation des services publics, de la multiplication des cadeaux censés permettre aux entreprises, en retrouvant de la « compétitivité », de « gagner des parts de marché », de retrouver de la croissance et de créer au bout du compte des emplois…

Mais ce ne sont pas les capitaux qui manquent pour développer les usines et créer des emplois, ce sont les débouchés solvables pour les marchandises produites. Les capitaux sont plus que jamais surnuméraires, plus nombreux que jamais à se précipiter dans la spéculation boursière, « l’économie de la dette ».

L’indice MSCI World qui suit l’évolution de la capitalisation boursière de 2400 entreprises de 47 pays différents a augmenté cette année de 13,7 %, 4 fois plus que le PIB mondial ; les indices boursiers des USA ont augmenté de plus de 25 %, le CAC40 de 22,3 %... Cet écart entre la croissance de la capitalisation boursière et celle du PIB donne une idée de l’ampleur des bulles spéculatives qui se constituent sur les marchés des actions. Depuis 2009, la capitalisation boursière des 500 plus grosses entreprises US a augmenté de 270 %, celle de l’ensemble des entreprises cotées à Wall Street atteindrait actuellement 150 % du PIB américain.

Aux bulles spéculatives liées aux marchés des actions s’ajoutent celles des autres marchés financiers, en particulier celui de la dette et surtout de ses produits dérivés. Le niveau global de dettes, qui constitue selon les économistes un des facteurs principaux de risque, est passé de 142 000 milliards de dollars, 2,4 fois le PIB mondial en 2007, à 200 000 aujourd’hui, 2,6 fois le PIB mondial actuel estimé à 74 540 milliards. Le montant des produits dérivés de cette dette, pour une bonne part spéculatifs, s’élève à 556 000 milliards, 7,5 fois le PIB mondial, et les volumes échangés chaque semaine sont équivalents au PIB mondial annuel.

La purge de 2007 s’était déclenchée dans le secteur de la dette privée. Son niveau mondial était alors de 71 000 milliards de dollars (33 000 pour les ménages, 38 000 pour les entreprises). Il est aujourd’hui de 96 000 milliards (40 000 pour les ménages, 56 000 pour les entreprises). La dette des entreprises constituerait, pour certains économistes, la principale menace d’un effondrement financier imminent. Celle des entreprises chinoises, qui ont compensé la fuite massive des capitaux étrangers due au ralentissement économique par un recours tout aussi massif à l’emprunt est considérée par les analystes de Deutsche Bank comme une des « 10 potentielles causes de la prochaine crise financière ».

Comme dit plus haut, la crainte de déclencher la crise explique les réticences des banques centrales à mettre fin à la politique de financement des banques privées dont elles savent parfaitement qu’elle contribue à augmenter le risque. Plus les bulles gonflent, plus la menace est importante… mais les banques centrales continuent de nourrir la bête de peur qu’un geste trop brutal de « ralentissement » ne déclenche l’effondrement de tout le château de cartes…

Cette absurdité illustre le niveau de contradiction auquel est arrivé le capitalisme à l’issue de ce demi-siècle de guerre de classe. Plus les profits augmentent plus les nouveaux capitaux exigent de plus-value, sauf que, comme le dit un proverbe de boursicoteur, « Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel », les profits non plus.

« Une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur »

Au cours de cette période, le capitalisme a profondément évolué, les rapports de force entre les classes et les Etats ont été bouleversés.

L’ouverture des frontières à la libre circulation des capitaux et des marchandises s’est d’abord réalisée au sein du monde dit « libre » suite aux révolutions coloniales qui ont mis fin aux chasses gardées des impérialismes anglais et français, puis s’est étendu à l’ensemble du monde après la chute de l’URSS. Cela a permis aux grandes firmes industrielles et bancaires impérialistes d’étendre leur emprise sur l’économie mondiale. A l’issue d’un vaste processus de concentration, une poignée d’oligarques financiers se partagent aujourd’hui la direction de quelques dizaines de multinationales.

Cet oligopole impose sa loi aux classes opprimées, mais aussi à toute une bourgeoisie « secondaire », nationale, patrons d’entreprises qui n’ont pas d’autre choix, pour exister, que de se plier aux contraintes de donneurs d’ordres qui imposent les prix les plus bas en les mettant en concurrence les unes avec les autres, et de banquiers qui ne leur prêtent de l’argent qu’à condition d’en tirer des intérêts suffisants.

Il impose sa loi aux Etats, qui se sont assujettis à l’oligarchie financière en servant ses profits par le biais de la dette publique. Du fait de cet assujettissement, les intérêts qu’ils défendent en priorité entrent en contradiction avec ceux des bourgeoisies nationales, qui voudraient pouvoir compter sur « leur » Etat national pour les protéger des dictats des grands groupes. C’est mission impossible, et un important facteur des crises politiques qui touchent les Etats, nourrissant le protectionnisme, le souverainisme, les politiques réactionnaires de repli sur soi.

Cet oligopole financier, composé des grands patrons des banques et des holdings financières qui gèrent les grandes multinationales, a certes réussi à concentrer tous les pouvoirs économiques et politiques entre ses mains. Il n’en est pour autant pas à l’abri des lois de la concurrence, exacerbée par le ralentissement économique. C’est pourquoi chacune de ses composantes cherche le soutien de « son » Etat face à ses « partenaires ». L’apparition de nouvelles puissances industrielles, comme la Chine qui est devenue en quelques années la première exportatrice de biens industriels, bouscule les rapports de force. L’hégémonie des Etats-Unis, bien que toujours première puissance mondiale, s’en trouve contestée. La « gouvernance » internationale que les Etats-Unis ont pu exercer pendant des dizaines d’années en se cachant derrière des organismes internationaux comme l’ONU, le FMI, la Banque Mondiale et autres OCDE, est devenue inopérante. Face aux crises politiques internes, le rôle des Etats se renforce dans une instabilité grandissante, le chaos géopolitique, la multiplication des conflits militaires.

Ce nouveau stade de développement, libéral et impérialiste, combine les caractéristiques des vieux rapports impérialistes (concentration sans précédent des entreprises, domination du capital financier concentré entre quelques puissantes holdings financières sur l’ensemble de l’économie…) avec les nouveaux rapports géopolitiques du libéralisme mondialisé, un monde débarrassé des blocs impérialistes hérités de la fin du XIXème siècle, des obstacles qu’ils opposaient aux échanges internationaux, des rapports coloniaux sur lesquels ils reposaient.

Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine expliquait comment le développement impérialiste était lié à la nature même du capitalisme. « L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général. Mais le capitalisme n’est devenu l’impérialisme capitaliste qu’à un degré défini, très élevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d’une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur ».

La première mondialisation, impérialiste, avait fait passer le capitalisme industriel libéral des débuts à une économie infiniment plus concentrée, trusts et monopoles de moins en moins nombreux et de plus en plus puissants, sièges d’une progression considérable de l’organisation et de la division du travail, facteurs d’un haut degré de socialisation de l’économie. Lénine y voyait le fait que le capitalisme, par son propre développement, avait préparé les conditions d’une « transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur », autrement dit les conditions d’une révolution sociale, d’une transition au socialisme.

La révolution d’octobre 1917, la vague révolutionnaire qui l’accompagnait dans toute l’Europe avaient apporté la preuve de la justesse de ce raisonnement. Mais les conditions de la lutte des classes, les rapports de force ont fait que le prolétariat n’a pas pu l’emporter, subissant défaites sur défaites, jusqu’à ce que le capitalisme après avoir détruit les restes de la vieille période impérialiste, ne reprenne son développement.

Avec la mondialisation libérale et impérialiste, le « stade monopoliste du capitalisme » a donné naissance à celui des multi et transnationales et à la financiarisation globale de l’économie. Le raisonnement que tenait Lénine concernant le stade de l’impérialisme s’applique à cette nouvelle phase, produit du développement des propriétés et contradictions du capitalisme, qu’elle accentue en retour et a porté à un niveau supérieur. Tout comme l’impérialisme en 1917, cette nouvelle phase, libérale et impérialiste, ouvre aujourd’hui une nouvelle « époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur », une période révolutionnaire dont les conditions objectives ont muri, se sont renforcées au niveau planétaire.

« Ils n’ont rien appris de 2007 » ?

Certains commentateurs de la crise et des politiques développées au cours des 10 dernières années, dénoncent l’incapacité des dirigeants politiques, par ignorance ou soumission aux lobbies bancaires, à leur imposer les règles qui seraient indispensables pour sortir le capitalisme de sa marche aveugle à l’abime. Il s’agirait de rétablir les règles qui, selon eux, régissaient le capitalisme au cours des prétendues « Trente glorieuses » et lui assuraient un développement régulier et socialement plus « juste ». C’est au fond la même logique qui conduit les courants antilibéraux, « nouveaux réformistes », « populistes de gauche », à proposer des politiques visant le retour au « compromis social » idéalisé de l’après deuxième guerre mondiale.

Les discours des dirigeants politiques et des économistes en place, eux, associent hypocrisie, fausses promesses et autojustification au nom du fait que les « lois économiques », les « lois du marché », seraient inéluctables.

Il est vrai qu’ils sont les serviteurs impuissants d’un système économique qui ne répond qu’à ses propres lois. Mais ces lois n’ont rien d’inéluctable ni ne sont naturelles et éternelles. Elles sont l’expression d’une organisation sociale, de rapports sociaux spécifiques qui se sont établis au sein des sociétés humaines au fil de leur histoire, produits des progrès techniques et de la lutte des classes : la propriété privée des moyens de production et d’échange, les lois du marché et de la libre concurrence.

La propriété privée des moyens de production et d’échange est posée comme « un droit inviolable et sacré » pour l’ensemble des citoyens, « libres et égaux en droit ». Mais ce droit inviolable et sacré dont la validité ne se discuterait même pas, divise la société en deux classes fondamentalement opposées : la première, l’infime minorité qui possède les moyens de production et d’échange, tire ses richesses de l’exploitation de la seconde, l’immense majorité de ceux qui sont exclus de cette propriété et n’ont pas d’autre solution, pour vivre, que de vendre leur force de travail.

C’est de ce processus (production puis vente de marchandises) que la classe des bourgeois tire son profit de l’exploitation de la classe ouvrière. Il est indissociable du mécanisme du crédit, indispensable au fonctionnement du système capitaliste : il faut avancer les capitaux nécessaires à la production des marchandises en attendant la vente qui permettra de récupérer la mise initiale et de réaliser le profit. Cela veut dire qu’il est impossible de distinguer une « économie réelle », celle d’un capitalisme industriel qui serait en quelque sorte légitime, d’un « capitalisme financier » qui accumulerait tous les maux du système. Crédit et salariat sont deux versants indissociables d’un même système d’exploitation. La dette est au cœur du système. C’est par elle que les sommets de la finance s’accaparent, en plus de la plus value extorquée aux salariés, une part toujours plus importante du revenu des travailleurs par le biais de la dette des ménages (crédits immobiliers, à la consommation, etc.) comme par le biais de la dette publique, dont les intérêts sont payés par les contribuables.

Si la dette s’accumule et prospère, si des masses de capitaux toujours plus gigantesques finissent par étouffer toute l’économie, ça n’est pas que les dirigeants politiques « n’ont rien appris de 2007 ». C’est que faire autrement est impossible sans remettre en cause la propriété privée capitaliste pour retirer le contrôle de l’économie des mains de ses pilotes fous.

Exproprier les « expropriateurs »

Rien ne justifie objectivement le fait que ce soient des banques privées qui assurent le service qui consiste à avancer de l’argent à des personnes, à des entreprises, à des collectivités.

La seule « justification » du système bancaire et financier privé qui gruge actuellement l’humanité et la conduit à la ruine, réside dans les lois qui régissent son existence, garantissent juridiquement la place qu’il occupe au sommet du mécanisme capitaliste d’accaparement des richesses produites par le travail. Elles entérinent un état de fait, l’aboutissement d’un processus économique et social qui trouve ses origines au sein des sociétés antiques, puis féodales. Ce processus est celui de la naissance puis du développement d’une bourgeoisie marchande et financière qui s’est enrichie « par le feu et par le sang », comme l’écrivait Marx, dans la pratique à échelle de plus en plus grande de l’échange inégal, du pillage colonial, du prêt d’argent avec usure, de la spéculation, de l’expropriation des plus pauvres, et a fini par imposer dans les esprits l’idée que ces pratiques de rapine seraient la loi naturelle des sociétés humaines, l’objectif final de leur évolution.

Le capitalisme industriel s’est construit sur l’accumulation de ces capitaux et sur les progrès techniques qui ont permis la révolution industrielle. Il a à son tour établi son contrôle sur la société en expropriant petits paysans et artisans, par le jeu de la concurrence, les transformant en prolétaires. Commencé avec la révolution industrielle en Angleterre, ce processus n’a jamais cessé. Au cours des dernières décennies, des millions de paysans ont été transformés en prolétaires dans les pays émergents comme dans les vieilles puissances impérialistes. Ce processus d’expropriation ne s’est pas contenté de toucher les classes les plus pauvres. Le capitalisme est le siège d’un irrésistible courant de concentration qui s’est traduit, au cours des dernières décennies, par l’assujettissement des travailleurs indépendants et de nombreuses entreprises industrielles privées au capitalisme financier, aux multinationales de la distribution, etc. Toute une couche de la bourgeoisie se trouve de fait dépossédée du contrôle de « ses » entreprises, même si elle en garde les titres formels de propriété.

« A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d’évolution sociale, s’accroissent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. La dernière heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés », écrivait Marx dans Le Capital.

Le processus de « dépossession » des producteurs par les « potentats du capital » arrive à son terme, avec ses corollaires, une augmentation sans précédent de la socialisation des moyens de production et d’échange, de la division internationale du travail, un développement des forces productives qui ouvre à nouveau la voie à la « transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur ».

Daniel Minvielle

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