La révolte du peuple catalan contre l’État espagnol, la violence stupide et bornée avec laquelle celui-ci a répondu, le camouflet qu'il a reçu représentent un séisme politique dont les effets vont dépasser les frontières que les classes dominantes veulent imposer aux peuples... Il est un nouveau craquement de l'Espagne de l’après-franquisme, de leur Europe aussi dont la politique, celle du capital, soulève partout une colère et une révolte grandissantes.

La solidarité face à la répression, le respect du droit à l’autodétermination ne doivent pas, cependant, nous aveugler. A Madrid comme à Barcelone, à Paris ou à Berlin, à Londres ou à Édimbourg, l'avenir n'est pas au nationalisme et, encore moins, au nationalisme des riches contre les pauvres. Le coup porté par la révolte catalane à l’État espagnol ne pourra engendrer une dynamique progressiste que si les travailleurs s'en mêlent non seulement pour défendre leurs droits sociaux mais aussi pour ouvrir une autre perspective à la société que l'indépendantisme libéral. Il s'agit d'une politique pour l'ensemble de la classe ouvrière de l’État espagnol qui s'inscrive dans une perspective européenne pour en finir avec l’État du capital et son Europe et construire une fédération démocratique, socialiste des travailleurs et des peuples. Tout autre chose que l'indépendance dirigée par le gouvernement de la Généralité.

La grève générale du 3 octobre peut, peut-être, être un premier pas pour libérer la classe ouvrière de l'emprise de ce dernier, nous le souhaitons parce qu’il est indispensable que l'intervention des travailleurs se donne sa propre politique.

L'avenir appartient à la solidarité de classe face à la concurrence généralisée orchestrée par les multinationales qui jouent des rivalités entre les peuples, à une fédération démocratique fondée sur leur coopération pour une Europe des travailleurs et des peuples.

Macron prétend donner un nouvel élan à leur Europe minée par la concurrence entre les bourgeoisies, la montée des nationalismes qui dévoient le mécontentement, les inquiétudes, les craintes face aux ravages de la mondialisation libérale et impérialiste. Qui peut croire un instant à ce au bluff de ce président des riches dont toute la politique se plie aux exigences de la mondialisation capitaliste ? C'est bien lui, eux, qui « foutent le bordel » selon l'élégante expression du Président de la république.

La réponse est entre les mains des travailleurs, en Catalogne comme ici. Notre solidarité avec eux, c'est notre propre lutte pour bousculer les frontières de classe.

« Enrichissez-vous ! »

A travers ces luttes nous avons besoin de garder notre fil rouge, notre fil conducteur, notre indépendance de classe. Sans cesse les classes privilégiées veulent rassembler les classes populaires derrière elle, les soumettre à leur direction, étouffer tout sentiment de classe au nom de sentiments nationaux. L’État nous explique que c'est dans l'intérêt collectif qu'il liquide le droit du travail ou qu'il arrose les patrons et les riches de toutes sortes de cadeaux fiscaux. Pourtant, il est de plus en plus évident que cette démagogie est mensongère.

Le remplacement de l’impôt sur la fortune (ISF) par un nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI) permettrait, selon les propos du Premier ministre, de rendre plus de « 3 milliards d’euros aux Français »… Aux Français dit-il ? De qui parle-t-il ? Il donne 3 milliards aux plus riches quand, dans le même temps, il supprime pour 2,7 millions de personnes pauvres 5 euros sur l’APL ! Et ce sera la baisse des contrats aidés qui financera les mesures en faveur de l’ISF et des revenus du capital !

L'argumentation de Macron-Philippe est simple, que deviendraient les pauvres si les riches ne s'enrichissaient plus ! Je vous enrichis pour que vous puissiez investir et vous enrichir encore plus disent-ils aux patrons !

Selon une étude publiée par Oxfam, « Réforme fiscale : les pauvres en payent l’impôt cassé », les 10 % plus riches bénéficieront d’une hausse de revenus au moins 18 fois plus importante que les 10 % les plus pauvres. Elle nous apprend aussi qu'en 2016, les 10 % des Français-e-s les plus riches détenaient plus de 56 % des richesses nationales tandis que les 50 % les plus pauvres se partageaient à peine moins de 5 % du gâteau.

Le CAC 40 a déjà enregistré des bénéfices record (plus de 52 milliards) pour le 1er semestre de cette année. La baisse du taux d’imposition sur les sociétés de 33,3 % à 25 % devrait coûter entre 15 et 17 milliards d’euros par an à l’État français dans un contexte où les recettes de l’impôt sur les sociétés ont déjà baissé de 20 milliards d’euros ces dix dernières années (-40 %).

Alors que les entreprises paient déjà de moins en moins d’impôts malgré une augmentation de leurs bénéfices, le gouvernement fait le choix de diminuer encore plus leurs contributions fiscales.

Enrichissez-vous ! Voilà la politique de Macron-Philippe. Le double langage ne résiste pas à la réalité, Jupiter n'est qu'un mauvais comédien ridicule qui nous joue une bien vilaine comédie. Il devient déjà le point de convergence de tous les mécontentements dont le monde du travail doit prendre la tête.

Pour que les classes exploitées gardent leur indépendance

Face à cette politique de classe, cynique et sans masque, défendre nos intérêts suppose une totale indépendance du pouvoir, des institutions comme des organismes de collaboration de classe et de dialogue social auxquels la bourgeoisie et son État convient les organisations syndicales.

Si la manifestation du 23 septembre appelée par Mélenchon était d'une certaine façon une réussite qui a plutôt donné le moral à celles et ceux qui y ont participé, cette « marche contre le coup d’État social » visait plus à contenir le mouvement contre la loi travail dans le cadre institutionnel, celui de la France, de la République et la défense de l'industrie nationale, qu'à le renforcer.

Et c'est bien ce respect de la fonction et du cadre républicain qui a fait de la confrontation entre Jean-Luc Mélenchon et Édouard Philippe, le Premier ministre, dans L’émission Politique du jeudi 28 septembre, une discussion feutrée où chacun faisait de l'autre son faire-valoir, un duo de faux ennemis. Ou qui le conduit à exprimer en interpellant au parlement le même Premier ministre sa « sa sidération de voir, à notre frontière, les déchirements dans lesquels est entrée la nation espagnole, notre soeur ».

Et quand JLM s'adresse aux organisations syndicales, c'est aussi avec une attitude de postulant futur Premier ministre ou Président de la république. « Nous allons nous rapprocher des organisations syndicales pour leur proposer de se mettre à notre tête pour mener le combat, un combat qui soit déterminé, décisif et tous ensemble. Ce n’est pas qu’une bataille sociale, c’est une bataille républicaine ». Il les invite à se battre pour lui en délimitant le terrain, la république et ses institutions.

Pour les confédérations syndicales, ces institutions, ce sont les multiples cadres où s'organise le dialogue social. Macron voudrait s'en faire le champion. Après les deux mois de discussion de l'été sur la loi travail, il invite, le 12 octobre, les organisations syndicales à discuter de la suite des réformes sur la formation professionnelle, l'apprentissage et l'assurance-chômage. L'objectif est de déposer un projet de loi au Parlement au printemps et de boucler le dossier à l'été.

Participer à ces discussions qui seront du même acabit que les précédentes, ce serait entériner les ordonnances, se soumettre un peu plus à Macron, se mettre la corde au cou. La seule réponse devrait être de les boycotter ou de s'en servir comme tribune pour élargir la mobilisation pour imposer le retrait des ordonnances.

Se mobiliser, faire de la politique

Les ordonnances prévoient la suppression des CHSCT, de les intégrer dans un comité social et économique, cadre du dialogue social voulu par Macron. Il espérait ainsi attirer les syndicats les plus gestionnaires et acquis à la collaboration de classe, la CFDT et FO. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Le mécontentement exerce sa pression, la CFDT n'y a pas échappé, FO et Mailly non plus. Les unions départementales et des fédérations du syndicat ont appelé la centrale à lancer une journée de mobilisation contre la réforme, lors du Comité confédéral national du syndicat.

Tant mieux que le mécontentement bouscule les routines des appareils mais il est clair que pour gagner, c'est-à-dire imposer le retrait des ordonnances, il faudra que le mécontentement se donne les moyens d'affronter le gouvernement, qu'il soit capable de gagner l'opinion à ses exigences, à ses objectifs, qu'il isole politiquement Macron, que les travailleurs prennent eux-mêmes en main leur lutte.

Nous ne sommes pas dans un simple combat syndical mais bien dans un affrontement politique face à un gouvernement qui joue sa crédibilité, son avenir et à une bourgeoise qui ne lui pardonnera pas d'échouer.

La bourgeoisie, ceux qui la servent, ont une politique. Les affronter suppose d'en avoir une pour les isoler politiquement, pour rassembler l'ensemble des forces du monde du travail, gagner l'opinion face à la gabegie, à l'incurie et au cynisme de l'oligarchie financière qui dirige le pays. Chaque moment de la lutte doit s'inscrire dans une perspective globale même si il concerne telle ou telle branche professionnelle pour dépasser les réflexes corporatistes que flattent les directions des appareils syndicaux. On le voit avec la mobilisation des routiers : le gouvernement a été contraint à un recul non négligeable. Cela montre que c’est possible, et peut encourager à la lutte, même si les « partenaires sociaux » se sont entendus pour que le « compromis » trouvé ne contrevienne pas aux ordonnances. Et Pénicaud s’est empressée de mettre en scène son recul forcé et la signature de syndicats : « Il n'y a pas de brèche comme certains le croient. Il y avait des questions qui existaient dans le transport depuis longtemps qui avaient besoin d'être abordées [...] Les ordonnances créent un champs nouveau de dialogue social. Il y avait besoin de clarifier. Et donc on a clarifié ça »…

Pour aller au-delà, il faut une politique qui parle au nom de l'intérêt général, dans laquelle l'ensemble du monde du travail puisse se reconnaître, forger les sentiments et une conscience qui puissent rassembler et unir. Le mouvement ouvrier a à se donner les moyens de réussir contre le pouvoir ce que les indépendantistes catalans ont réussi à faire autour d'eux, mais au nom des intérêts et de la solidarité du camp des classes exploitées.

Préparer l'affrontement pour gagner, c'est contribuer à ce que se forge une commune révolte de classe, une commune solidarité des classes exploitées rassemblant la population contre un gouvernement qui sacrifie les intérêts de la collectivité à ceux de l'oligarchie financière.

Yvan Lemaitre

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