Le drame des attentats de Barcelone et de Cambrils a été l'occasion pour le pouvoir espagnol de remettre en scène le scénario d'union nationale, instrumentalisation politique de la colère et de la révolte pour tenter de soumettre l'opinion catalane et celle de l’État espagnol à la politique du gouvernement. Si l'opération n'a pas pleinement réussi trouvant sur sa route une forte contestation populaire, elle vient souligner l'importance pour le mouvement ouvrier d'avoir une politique indépendante des États face à la prétendue guerre contre le terrorisme menée par la coalition internationale impulsée par les USA.

Cette politique est nécessairement internationaliste, à l'opposé d'un point de vue national, européen ou occidental, elle ne participe pas au piège de « la compassion narcissique » qui établit une hiérarchie entre les victimes du terrorisme ou de la guerre selon leur nationalité, leur origine ou leur religion. Est-il besoin de rappeler que le terrorisme frappe en premier lieu les populations du monde arabo-musulman parmi lesquelles la guerre des grandes puissances sème aussi la mort, sinistres dommages collatéraux d'une guerre sans fin.

Les gouvernements complaisamment relayés par la presse se félicitent des succès militaires de la coalition contre Daesh. Cette victoire annoncée dont on peut suivre la sinistre chronique est un leurre. La guerre menée par les grandes puissances sur l’ensemble du Moyen Orient détruit tout élément de stabilité dans cette région du monde et au-delà. Elle a un coût humain, social et politique que les grandes puissances et leurs alliés locaux font payer aux populations alors que les forces djihadistes se développent.

Selon un récent rapport d’experts de l’ONU, en dépit des interventions de la coalition en Irak et en Syrie, l’EI « est toujours capable d’envoyer des fonds à ses militants hors de la zone de conflit » moyen-orientale. Il est en train de s’établir en Asie du Sud-Est, comme le montrent les récents combats dans le sud des Philippines. En Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est, au Sahel et dans la péninsule Arabique, notamment au Yémen, Al-Qaïda conserve de son côté des réseaux puissants. En Libye, le nombre de combattants de l’État islamique est estimé entre 400 et 700. Il prend pied en Afghanistan.

Cette capacité de l’EI à s’étendre indique bien qu’il ne s’agit pas d’un phénomène « idéologique » ou psychiatrique comme le prétend le ministre de l'intérieur mais bien une réalité sociale et politique née des contradictions à l’œuvre dans le monde arabo-musulman du fait des guerres, de la concurrence et de la lutte pour l’appropriation de la rente pétrolière et des richesses.

Le terrorisme islamiste et la guerre contre le terrorisme sont devenus une composante de la politique internationale qui marque les consciences et ont une logique régressive et réactionnaire paralysante contre laquelle le mouvement ouvrier doit lutter et pour cela avoir une compréhension globale du phénomène, de ses origines et évolutions possibles pour formuler sa propre réponse politique.

La guerre contre le terrorisme est incapable d’en venir à bout, non seulement elle est inefficace mais elle l’entretient dans le même temps qu'elle l'utilise pour prétendre à sa propre légitimité aux yeux de l’opinion alors qu'en réalité elle poursuit de tout autres objectifs.

Les deux répondent à de folles stratégies dans un monde où la concurrence exacerbée, les rapports de domination et les luttes pour l'appropriation privée des richesses attisent les conflits.

Formuler des éléments de réponses implique de penser le phénomène dans sa globalité comme expression du processus de décomposition sociale engendrée par la politique des classes dominantes, celles qui sont à la tête des grandes puissances comme celles des puissances régionales ou locales ou de celles qui cherchent à s’approprier une part des richesses produites par la violence la plus directe.

Si aujourd'hui le terrorisme est instrumentalisé pour justifier aux yeux de l'opinion l'état de guerre permanent et l'état d'urgence, les deux phénomènes se sont développés en réponse l'un à l'autre comme conséquence de la politique des grandes puissances mais aussi de celle des classes dominantes du monde arabe. Ils s'entretiennent et s'aggravent.

Notre politique doit se dégager de toute forme de campisme qui conduit à hiérarchiser nos ennemis sous couvert que l’ennemi principal serait notre propre bourgeoisie ou à taire notre combat contre l’islamisme politique sous couvert de lutte contre l’islamophobie ou inversement prendre le parti des grandes puissances contre le terrorisme.

Il s'agit d'avoir une vision d'ensemble de phénomènes interdépendants et complexes qui se sont construits à travers les bouleversements qui s'opèrent du fait de la mondialisation libérale et impérialiste pour élaborer une réponse, une politique de classe internationaliste.

Le chaos engendré par la politique des grandes puissances

Devant des militaires à Fort Myer, en Virginie, Donald Trump a renoncé, lundi 21 août, à la perspective d’un retrait d’Afghanistan, une de ses promesses électorales. Tout comme Obama avant lui, il s'est plié aux décisions du Pentagone pour poursuivre cette guerre sans fin, le plus long conflit de l’histoire des États-Unis, seize ans, et sans issue.

Cette fuite en avant militariste illustre l'absurdité et la faillite d'une politique qui fait de la guerre le principal instrument de la politique étrangère de la première puissance mondiale.

Après 16 ans d'occupation, 60 % du territoire afghan sont contrôlés par les talibans, la corruption, le trafic d’opium ou d’essence à partir des bases américaines prospèrent... Et l'Afghanistan est devenu une terre de prédilection pour les djihadistes, aujourd’hui zone de repli de ceux qui fuyent l'Irak.

Trump ne veut pas laisser se créer « un vide qui serait aussitôt mis à profit par les terroristes ». Mais c'est déjà fait et il le dit lui-même, la guerre n'a pas d'objectif à court terme : « A un moment donné, après un effort militaire efficace, peut-être qu’il sera possible d’avoir une solution politique incluant une partie des talibans en Afghanistan. Mais personne ne sait si ou quand cela arrivera ».

Trump a mis en cause le Pakistan qui aurait « beaucoup à perdre s’il continue à abriter des criminels et des terroristes » et joue l'Inde contre lui... Les USA continuent de déstabiliser la région en accentuant les tensions, trouvant dans ces tensions mêmes autant de raisons de maintenir et de renforcer leur présence militaire. Ils sèment ainsi la haine qui nourrit les extrémismes nationalistes et religieux, terrain sur lequel prospère le terrorisme.

L’Afghanistan a été le théâtre de l’effondrement lamentable des aventures militaires de la bureaucratie de l'URSS de 1979 à 1989 puis celui des prétentions mensongères des USA à apporter au monde la liberté, la paix et la démocratie. Dans la guerre contre l'occupation par l'URSS de l'Afghanistan à partir de décembre 1979, les USA ont financé, armé, entraîné les islamistes les plus radicaux. Ben Laden y fut leur homme avant qu'il ne se retourne contre eux au moment de la première guerre d’Irak en 1991 quand l’Arabie saoudite servit de base militaire à ces derniers. De là est né Al-Qaïda. Les jeux de la CIA associés à ceux de l'Arabie saoudite, puis du Qatar, ont financé le monstre contre l’armée rouge en Afghanistan, puis en Europe lors de la guerre en Yougoslavie. L'Arabie saoudite, alliée des USA, a joué un rôle déterminant dans la propagation et le financement de l'intégrisme religieux dont se nourrit le djihadisme. Elle continue à le faire tout en prétendant lutter contre Daesh.

Avec l'effondrement de l’URSS en 1991, la menace communiste ne pouvait plus servir ni d'épouvantail ni de justification aux aventures militaires du Pentagone. Ils trouvèrent dans le terrorisme islamique un nouvel épouvantail et une nouvelle justification, la politique du « choc des civilisations ».

La guerre en Afghanistan est aussi la démonstration que pour les USA le terrorisme était autant un prétexte que leur objectif réel. L'intervention de 2001 ne visait pas que Ben Laden, mais aussi et surtout à faire du pays une place forte américaine. Ils n'ont pas réussi à mettre en place un pouvoir qui leur soit fidèle tout en ayant une autorité dans le pays d'où la poursuite de la guerre. Ce fut la même chose en Irak avec la folie de la deuxième guerre en 2003 comme pour l’aventure franco-britannique de l’intervention en Libye.

Et ce sont bien les destructions, les souffrances, les humiliations infligées aux populations, les divisions accentuées par les USA et leurs alliés qui ont créé le terrain pour le développement de l’État islamique. Ce sont elles qui l'entretiennent, combinées à la politique des dictatures qui règnent au Moyen-Orient.

Nourri par la politique des classes dominantes arabes

Al Qaïda n'est pas né de rien, ni l'EI. Ils sont le produit de l'aventurisme militariste des USA et de leurs alliés et ils ont aussi des racines profondes dans le monde arabo-musulman. Leurs liens sont multiples et complexes. Ils ont évolué. Ils sont liés aux dynasties régnantes, aux dictateurs tout en trouvant un soutien dans une fraction des classes populaires dominées par l'obscurantisme religieux mais surtout par les frustrations et la haine suscitées par les USA et leurs alliés.

La montée du terrorisme s'inscrit dans une évolution réactionnaire des classes dominantes du monde arabe en conséquence de l'échec des forces nationalistes progressistes nées des mouvements de libération nationale qui ont laissé la place à la montée des intégrismes religieux. Cette évolution connaît bien des nuances et il ne s'agit pas de mettre dans le même sac les Frères musulmans et Daech. Il ne s'agit pas pour autant de fermer les yeux sur le terrain politique dont Daech ou Al Qaïda ou d'autres succursales terroristes se nourrissent. Ce terrain est celui d'une islamisation croissante de la société dont la Turquie d'aujourd'hui est une des expressions les plus achevées, y compris dans la complaisance qu'a manifestée Erdogan à l'égard de Daech.

Cette montée des intégrismes religieux s'est accélérée au lendemain du soulèvement de 2011 comme instrument de la réaction.

Les courants djihadistes sont aussi le produit des luttes et rivalités entre puissances régionales, luttes organisées principalement autour de deux pôles Arabie saoudite et Iran et qui se sont elles aussi accentuées comme l'illustre la crise actuelle entre le Qatar et l'Arabie saoudite.

Des racines au cœur même des citadelles capitalistes

Les racines du terrorisme se prolongent au cœur même des citadelles capitalistes. Les gouvernements ont voulu nous faire croire que les conflits irakiens et syriens se situaient à l’autre bout de la planète. Ils sont en fait à côté de nous. La guerre ne peut rester un phénomène isolé, localisé. Elle exporte ses dommages collatéraux et les peuples qui laissent les mains libres à leurs dirigeants en sont inévitablement eux aussi victimes. Elle est aussi un puissant révélateur de l'état de la société.

Le délire nihiliste et totalitaire de l’EI séduit de jeunes musulmans ou de jeunes convertis qui trouvent dans l'intégrisme religieux et la folie criminelle du terrorisme un exutoire à leur haine contre une société qui les rejette, secrète la misère et le racisme, la violence sociale, morale, physique donnée en spectacle quotidiennement dans la vraie vie comme dans les divertissements, contre un monde qui les dépasse et les domine sans qu'ils aient le moindre repère pour comprendre ou s'inscrire dans des solidarités sociales.

Les dirigeants de ce monde capitaliste ferment les yeux sur les conséquences de leur politique et construisent de toutes pièces des explications irrationnelles. Ils inventent un ennemi, l'islam, et un néologisme, « radicalisation », pour masquer la responsabilité de leurs guerres, de la concurrence sauvage mondialisée qu'ils imposent aux peuples, de la régression sociale que leur politique engendre. Ils donnent ainsi du crédit aux propres constructions des djihadistes qui captent et flattent la haine et lui donnent une cible, en construisant la figure absurde d’un ennemi absolu qui ne mériterait que la mort. Les deux logiques se nourrissent l'une et l'autre.

Le « campisme » anti-impérialiste, une vision unilatérale qui aveugle

On le voit les divers facteurs qui interviennent dans la formation du terrorisme, son évolution, exigent une réponse globale. Elle ne peut se résumer à « la lutte contre notre propre impérialisme » ou plus précisément cette lutte s'intègre dans une compréhension d'ensemble de la situation, une vision internationaliste. Le terrorisme djihadiste n'est pas que l'ennemi de notre bourgeoisie, il est aussi et surtout notre ennemi et celui des classes populaires du monde arabo-musulman. Il est notre ennemi, celui de la classe ouvrière, de toutes les luttes démocratiques et d’émancipation.

Prendre le contre-pied de la propagande officielle sans intégrer ces éléments fondamentaux peut conduire à un dangereux opportunisme vis-à-vis de l'islamisme politique. Cela enferme dans le piège du « choc des civilisations » alors que nous sommes confrontés au « choc des barbaries » pour reprendre l'expression de Gilbert Achcar.

Nous dénonçons la construction idéologique des gouvernements qui prétendent expliquer le terrorisme par la religion, l'islam, ce qui est absurde mais à l'inverse nous dénonçons les conceptions de l'islam politique, de tout intégrisme qui prétend imposer les règles religieuses à la société et part en guerre contre la démocratie pour faire taire.

L'Islam en tant que tel n'est pas notre ennemi, nous n'identifions pas les hommes et les femmes vivant dans le monde arabe à l'islam, nous défendons une politique du point de vue des droits démocratiques des populations.

Dire que Daesh est né du chaos engendré par la politique et les guerres menées par les grandes puissances ne diminue en rien l’évidence, Daech est un ennemi des travailleurs, des classes populaires. Il n’est en rien anti-impérialiste.

La nécessaire lutte contre les idées réactionnaires ne se partage pas tant il est vrai que les différents visages que prend l'offensive des forces réactionnaires et des intégrismes se combinent, se renforcent et s'alimentent mutuellement. Si le djihadisme ne peut se comprendre qu'en tant que phénomène social et politique, il n'empêche qu'il se nourrit de préjugés religieux xénophobes et racistes propagés par les dictatures théocratiques qui règnent dans le monde arabe.

Daesh n'est en rien une organisation anti-impérialiste même si elle se vante d'abolir les frontières étatiques jadis dessinées par les ex-puissances coloniales. Elle est en concurrence avec les puissances mondiales ou régionales pour pouvoir avoir sa part du festin.

Pas de réponse hors de l’intervention consciente et démocratique des opprimés

Défendre la liberté et la démocratie, c’est attaquer le mal à la racine, tant dans ses causes géostratégiques que dans ses racines sociales et politiques.

Le terrorisme et la guerre contre le terrorisme comme l'état d'urgence permanent qui leur est associé sont des symptômes de la désagrégation de nos sociétés sous les effets de la crise du capitalisme, symptômes et facteurs aggravants. Leurs combinaisons et enchaînements dominent les esprits et conduisent à l’éclatement des solidarités collectives, à la désespérance individuelle faute de pouvoir peser sur les évolutions sociales.

Pour échapper aux constructions idéologiques des uns et des autres justifiant leur politique aveugle et criminelle et à leur logique mortifère, il est indispensable de garder les pieds sur terre, solidement enracinés dans les luttes de classes du point de vue des classes exploitées, de regarder, de comprendre, d'analyser et d'agir du point de vue de leurs intérêts contre tous ceux qui veulent les plier à leurs intérêts privés.

Il n'y a pas d'autre voie pour briser cette logique infernale que de militer autour de la défense des droits démocratiques pour les peuples comme pour les travailleurs, contre toutes les discriminations d'où quelles viennent, le racisme et la xénophobie quelle que soit la religion qui les justifie, pour l'égalité des sexes et la solidarité entre les opprimés, en finir aussi avec la domination des multinationales et des Etats qui les servent.

La question n’est ni religieuse ni idéologique mais sociale et politique.

Yvan Lemaitre

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