Manifestement Macron est un homme comblé. Il a enfin une scène, et quelle scène, pour jouer son propre rôle, tel qu'il se voit et se pense, subjugué et dupe de lui-même. Sarkozy, pourtant talentueux, n’était qu’un amateur dilettante. En une semaine, G20 à Hambourg, 14 juillet avec Trump, le Vel d'Hiv avec Netanyahou sans oublier Merkel le 13 juillet, lui ont permis de développer ses talents d'acteur enchaînant les rôles selon ses interlocuteurs, sous le masque d'un visage sans traits ni caractère porté par sa seule ambition de jouer des contradictions et des coudes pour se hisser en haut de l'affiche... Porté par son ambition à dominer les esprits, à servir les intérêts des capitalistes et une très haute idée de lui-même et de sa vertu...
La double provocation du Vel d'Hiv'
La commémoration de la rafle du Vél d'Hiv' était le point d'orgue d'une semaine passée à côtoyer les sommets du monde, l'Olympe du capitalisme. Les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 juifs avaient été arrêtés à la demande des nazis et sur ordre du pouvoir français. Ils furent entassés plusieurs jours sur les gradins du Vélodrome d'hiver avant d'être emmenés dans des camps du Loiret. Là, 3 000 enfants en bas âge furent brutalement séparés de leurs parents, déportés les premiers vers Auschwitz. Moins d'une centaine de ces raflés – et aucun enfant – ont survécu.
Pour commémorer ce drame, Macron n'avait pas trouvé mieux que d'inviter Netanyahou, premier ministre de l’État d’Israël. Une provocation à laquelle celui que Macron a appelé « mon cher Bibi » a ajouté son propre discours. « J’arrive de Jérusalem, capitale éternelle de l’État d’Israël » a-t-il proclamé au mépris du droit international et de la position jusqu'alors officielle de la France, qui reconnaissent non pas Jérusalem mais Tel-Aviv comme capitale de l’État hébreu. Qu'importe, tout lui était autorisé par son hôte subjugué et fermant les yeux sur les liens avec l’extrême droite religieuse et raciste du bourreau du peuple palestinien.
La provocation, ce fut aussi le discours de Macron offrant en retour à son invité un cadeau digne de lui, la perfidie. Pour la première fois, un chef d’État français osait dire : « Nous ne céderons rien à l'antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Mensonge éhonté, mensonge officiel d'Israël et de ses amis, amalgame calomniateur contre celles et ceux qui défendent les droits du peuple palestinien.
Le discours de Macron était de cette veine perfide assénant des demi-vérités pour mieux masquer le fond. « Il est si commode de voir en Vichy un monstruosité née de rien [...] mais c'est faux.[...] Ce serait faire beaucoup d'honneur à ces faussaires que de leur répondre. Mais se taire serait pire, ce serait être complice », a-t-il lancé, visant Marine Le Pen. Et de poursuivre : « Alors oui, je le redis ici, c'est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13 152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet à leur domicile. » Oui, mais cet élan de vérité est tout de suite retourné contre le peuple accusé d'antisémitisme pour défendre cette France qu'il connaît bien, celle de la bourgeoisie. C’est elle qui est coupable et responsable. Elle avait alors préféré Hitler au Front populaire.
C'est bien l’État français qui a fait le sale boulot au Vel d'Hiv' comme c'est l’État français qui a collaboré avec le nazisme, il l'a fait contre la classe ouvrière au service de la grande bourgeoisie qui voulait se venger d'elle.
La colère provoquée par les propos de Macron chez Mélenchon peut, de ce point de vue, se comprendre, mais cette colère se fourvoie dans de ridicules propos nationalistes qui, eux aussi, épargnent les vrais responsables, la bourgeoisie et les sommets de l’État. « Déclarer que la France est responsable de la rafle du Vel’ d’Hiv’, écrit Mélenchon, est là encore un franchissement de seuil d’une intensité maximale. En effet, nul ne peut contester que des Français ont été personnellement responsables du crime comme ce fut le cas, notamment, dans la police qui opéra la rafle sans exprimer la moindre protestation ni acte de résistance, mais aussi de la part de toutes les autorités de tous ordres qui se rendirent complices, soit activement, soit par leur silence, soit parce qu’elles avaient renoncé à s’y opposer de quelque façon que ce soit. Mais dire que la France, en tant que peuple, en tant que nation est responsable de ce crime c’est admettre une définition essentialiste de notre pays totalement inacceptable.
La France n’est rien d’autre que sa République. À cette époque, la République avait été abolie par la révolution nationale du maréchal Pétain. Dans cette vision de l’Histoire, la France, à cette époque, était à Londres avec le général De Gaulle et partout des Français combattaient l’occupant nazi. Sur le territoire national, il n’y avait rien d’autre qu’une nation dirigée par un régime de fait dans un pays dont la moitié était occupée par les armées nazies et l’autre moitié dirigée par des gens qui avaient imposé de force une idéologie jumelle. Jamais, à aucun moment, les Français n’ont fait le choix du meurtre et du crime antisémite ! »
Les travailleurs de ce pays, non, mais une large fraction des classes dominantes et de leur État oui. D'ailleurs De Gaulle, serviteur lucide de sa classe, sut, à la Libération, protéger la continuité de l’État et décora la police parisienne.
Et quand Macron dénonce le racisme en général, évoque même, quelle audace, les discriminations dans les banlieues et les quartiers populaires, prend la pose du « juste », ce n'est au final que pour mieux défendre l'Etat théocratique et raciste d'Israël contre ses victimes.
Il se prononce pour qu'Israël et Palestine puissent « vivre côte à côte dans des frontières sûres et reconnues, avec Jérusalem comme capitale » mais cette fausse symétrie hypocrite est un franc soutien à Netanahyou contre les droits des palestiniens, « également unis dans la lutte contre les groupes terroristes », contre l'Iran aussi, avec Trump...
« Donald Trump m'a écouté »...
Cette formule étonnante de Macron dans le Journal du dimanche jouant les faux naïfs pour laisser croire à l'importance des discussions, poignées de mains et autres accolades entre grands de ce monde, surtout au poids de sa propre parole pour influencer la politique mondiale, est ridicule et dérisoire. Il développe, « Mon objectif avec Donald Trump, c’est de le réancrer dans cette amitié franco-américaine qui contribue à défendre nos valeurs de démocratie et de liberté. C’est donc important de lui parler pour éviter qu’il ne construise des alliances opportunistes avec d’autres nations qui pourraient mettre à mal cette grammaire internationale dont nous avons besoin. » On croit rêver devant cet étalage de fausse naïveté complaisante qui prend le bon peuple pour des imbéciles et à laquelle fait écho, dans le New York Time, une interview de Trump disant à propos de Macron « Il aime me tenir la main »...
Les vrais calculs n'ont rien de naïf. Après avoir reçu Poutine à Versailles, Macron a voulu peaufiner son image d'homme vertueux à l'audace sans tabou. Il a décidé de faire de Trump la vedette de ce 14 juillet en profitant des difficultés de ce dernier et en prenant prétexte du centenaire de l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Allemagne en 1917 ! Étonnante perversion de la part de celui qui se dit européen convaincu et se prétend moderne que de célébrer ainsi la Première Guerre mondiale, ce carnage pour le partage du monde où furent sacrifiés des millions d'hommes pour les intérêts des marchands de canons, les Krupp et De Wendel. Les USA sont alors intervenus dans cette barbarie impérialiste pour y défendre leurs propres intérêts, étape dans leur conquête du leadership mondial. Leur domination sans concurrents a été établie au lendemain de la deuxième guerre mondiale au nom de la défense de la démocratie encore au prix de millions de morts et d'énormes sacrifices imposés aux populations. Victoire couronnée par les bombes atomiques Hiroshima et de Nagasaki.
Cette époque est révolue. Les peuples coloniaux ont depuis brisé leurs chaînes et conquis leur indépendance sans que la volonté et la possibilité d'en finir avec la domination des classes capitalistes qu'avait portées la révolution russe de 1917 triomphent.
Aujourd'hui le capitalisme mondialisé, les multinationales et la finance dominent la planète entière. Le leadership des USA est battu en brèche par l'émergence de nouvelles puissances capitalistes comme la Chine. La concurrence mondialisée engendre tensions, chaos et guerres. L'Europe est en crise. Macron cherche à jouer de ses contradictions non seulement pour satisfaire ses ambitions mais surtout celles de ceux qui l'on fabriqué, les capitalistes français qui voudraient profiter de l'actuelle, relative et probablement éphémère embellie économique pour regagner du terrain face à l'Allemagne et assurer leur position dans le monde.
La politique du verbe
Avant que Trump n'entre en scène, Macron a reçu à l’Élysée Merkel et s'est tenu un conseil des ministres franco-allemand, le 13 juillet afin de « donner un nouvel élan à la collaboration franco-allemande », selon la formule d'Angela Merkel par ailleurs en campagne électorale. Fidèle à son audace, Macron lui a fait écho, « C’est une révolution profonde, mais nous n’avons pas peur des révolutions quand elles sont menées de manière pacifique, construite et dans la durée »... Une révolution qui ne bouleverse pas grand chose. Il est question d’« un grand projet d’intérêt économique européen », qui devrait permettre des investissements de l’ordre de huit milliards d’euros dans les deux pays, la possibilité de la mise en place d’« un budget de la zone euro » et d’un « ministre européen des finances », « une réforme de la fiscalité des entreprises »... Tout ça pour dire et ne rien dire... La seule chose un peu concrète serait l'Europe de la défense, aujourd'hui le ciment le plus solide qui pourrait permettre à l'Allemagne et à la France de dépasser leurs rivalités. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres...
Les sourires et les discours visent à donner du crédit aux prétentions de Merkel et Macron de relancer l'Union européenne, ils masquent la rivalité entre eux, expression des rivalités économiques entre les deux bourgeoisies. Et il ne suffira pas à la bourgeoise française que Macron se hisse au sommet de l'affiche grâce à Poutine et Trump pour qu'elle puisse surpasser l'allemande. Elle compte bien plus sur la bataille engagée par l’État français pour faire sauter toutes les limites imposées par les travailleurs à leur propre exploitation...
C'est de cette sale bataille de classe dont Macron veut être « le chef ».
Yvan Lemaitre