Biden s’est déclaré « extraordinairement satisfait » de l’accord conclu mercredi dernier entre Israël et le Hamas pour la libération de 50 otages en échange de la libération de 150 prisonniers palestiniens et d’une « trêve » de 4 jours. 6700 Palestiniens, dont un grand nombre d’adolescents, seraient actuellement détenus en Israël, et un tiers d’entre eux placés en « détention administrative », sans aucun motif officiel, de manière totalement arbitraire. Pendant cette pause, huit Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l’armée israélienne.

Dès l’annonce de l’accord, les autorités israéliennes avaient pris soin de préciser qu’il ne s’agissait que d’une « pause » dans les combats, dont le renouvellement chaque jour est conditionnée par la libération des otages et au cours de laquelle pendant 6 heures par jour « aucun aéronef, avion, hélicoptère ou drone ne serait autorisé à survoler la bande de Gaza ». Sans que soit précisé ce qu’il en sera les 18 heures restantes.

Cet accord, demandé par le gouvernement Biden qui voudrait se donner une image humanitaire pour, quelques mois avant les élections présidentielles, désamorcer l’opposition à la guerre dans l’opinion publique américaine, et concédé par Netanyahou parce que, détesté par une large fraction de l’opinion palestinienne, il est mis en difficulté par la mobilisation massive en Israël des familles d’otages et de leurs soutiens, ne signifie qu’un soulagement tout à fait minime des souffrances de la population palestinienne. Depuis le 7 octobre, celle-ci endure des bombardements incessants qui ont fait officiellement près de 15 000 morts dont 6150 enfants et détruit 60 %, selon l’ONU, des habitations et immeubles de la bande de Gaza, dans le nord de celle-ci, pour préparer l’intervention au sol de l’armée israélienne commencée il y a près d’un mois. La guerre continue, les autorités israéliennes l’ont déclaré dans le communiqué même qui annonçait l’accord : « Le gouvernement israélien, l’armée israélienne et les forces de sécurité poursuivront la guerre pour ramener toutes les personnes enlevées, éliminer le Hamas et garantir qu’il n’y ait plus aucune menace pour l’État d’Israël depuis Gaza ». La pause est aussi un temps mis à profit par l’armée israélienne pour se préparer à une nouvelle phase de son offensive. Elle se prépare à intervenir au sol dans le sud de la Bande de Gaza vers lequel ont été chassés 1,7 million Palestiniens venant du nord. Les bombardements sur une population de 2 millions d’habitants entassés dans une zone aussi étroite vont être terriblement meurtriers.

Le gouvernement Netanyahou, l’État israélien, poursuivent leur guerre génocidaire, la liquidation de la question palestinienne, l’éradication de l’existence des Palestiniens en tant que peuple.

Les gouvernements occidentaux font ces jours-ci étalage de leurs préoccupations humanitaires, livraisons de médicaments, de nourriture, de carburant, tout en continuant à soutenir et armer cette guerre au nom du « droit d’Israël de se défendre », selon cette inversion de la réalité propre aux fauteurs de guerre qui transforme les oppresseurs en victimes. Les dirigeants iraniens poursuivent leurs propres objectifs stratégiques pour asseoir et élargir leur influence et leur pouvoir dictatorial par le biais des milices interposées qu’ils soutiennent -Hamas en Palestine, Hezbollah au Liban, milices houthis au Yémen- et qu’ils ne contrôlent pas totalement. Les Etats arabes quant à eux n’affirment leur solidarité avec le peuple palestinien qu’à cause de leur peur de la révolte de leur population.

Ils ont conscience que c’est bien une intervention directe des populations au Moyen-Orient contre eux, contre leurs régimes dictatoriaux alliés des puissances occidentales et d’Israël, qui peut ouvrir une perspective à la lutte du peuple palestinien. De la même façon, ici, au cœur de ces vieilles puissances impérialistes, dont la France, le sort des Palestiniens dépend de la capacité du mouvement ouvrier à affronter l’État et la bourgeoisie ex-coloniale qui veut perpétuer ses privilèges par la guerre contre les peuples.

Une guerre qui n’a rien de religieux, les Palestiniens sacrifiés, les Israéliens instrumentalisés pour le compte des intérêts capitalistes

Dans une longue tribune publiée le 18 novembre par le Washington Post, Biden a exposé très clairement les objectifs des Etats-Unis, cobelligérants de cette guerre. « Quelques semaines seulement avant le 7 octobre, écrit-il, j’ai rencontré à New York le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Le sujet principal de cette conversation était un ensemble d’engagements substantiels qui aideraient Israël et les territoires palestiniens à mieux s’intégrer dans le Moyen-Orient élargi. C’est également l’idée qui sous-tend le corridor économique innovant qui reliera l’Inde à l’Europe via les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Jordanie et Israël, que j’ai annoncé avec mes partenaires lors du sommet du G20 en Inde début septembre. Une intégration plus forte entre les pays crée des marchés prévisibles et attire davantage d’investissements. Une meilleure connexion régionale – y compris les infrastructures physiques et économiques – favorise un taux d’emploi plus élevé et davantage d’opportunités pour les jeunes. C’est ce que nous nous efforçons de réaliser au Moyen-Orient. C’est un avenir qui n’a pas de place pour la violence et la haine du Hamas, et je crois que tenter de détruire l’espoir de cet avenir est l’une des raisons pour lesquelles le Hamas a déclenché cette crise. »

Cette conception d’un « nouveau Moyen-Orient » et d’un « corridor économique » qui permettrait de relier l’Europe à l’Asie vise entre autres à faciliter l’approvisionnement en pétrole et en gaz des multinationales occidentales. Le 22 septembre dernier, lors d’une assemblée générale à l’ONU, Netanyahou avait longuement développé dans son discours ce même projet, carte à l’appui. La « normalisation » des relations entre les Etats arabes et Israël qui s’était accélérée avec les accords d’Abraham conclus en 2020 sous Trump et suspendue depuis l’offensive du Hamas le 7 octobre, est indispensable à ce plan d’un nouveau Moyen-Orient, « un Moyen-Orient plus pacifique, intégré et prospère – une région où un jour comme le 7 octobre est impensable », écrit Biden dans sa tribune, après avoir affirmé son appui indéfectible à la guerre israélienne, « Nous soutenons fermement le peuple israélien qui se défend contre le nihilisme meurtrier du Hamas. »

Le mirage de cet avenir radieux pour un Moyen-Orient démocratique, Bush le promettait avant d’engager en 2003 sa guerre contre l’Irak de Saddam Hussein dont le résultat n’a été que ruines et dévastations, la mort de plus de 100 000 civils, la dislocation de l’État irakien et la guerre civile, le renforcement des courants se réclamant du terrorisme islamiste comme Al Qaida devenu plus tard Daech. La suite est déjà écrite, pour le peuple palestinien leur plan sera encore pire.

Le leurre de la solution à deux Etats

Les Etats-Unis comme la plupart des Etats occidentaux se sont déclarés favorables à une « solution à deux Etats ». Biden le développe longuement dans sa tribune : « Le peuple palestinien mérite son propre État et un avenir sans Hamas. Moi aussi, j’ai le cœur brisé par les images de Gaza et la mort de milliers de civils, dont des enfants. […] Et une fois cette guerre terminée, les voix du peuple palestinien et ses aspirations doivent être au centre de la gouvernance d’après-crise à Gaza.

Alors que nous luttons pour la paix, Gaza et la Cisjordanie devraient être réunies sous une structure de gouvernance unique, et à terme sous une Autorité palestinienne revitalisée, alors que nous travaillons tous vers une solution à deux États. » Une solution dont Mahmout Abbas, le dirigeant actuel de l’Autorité palestinienne se satisferait mais les autorités israéliennes ont déjà dit et répété qu’elles n’en voulaient pas. « Nous ne menons pas une guerre pour transférer le pouvoir à l’Autorité palestinienne, a déclaré en réponse à la tribune de Biden, Netanyahou. […] Il est impossible de placer Gaza sous la responsabilité d’un gouvernement qui soutient le terrorisme, encourage le terrorisme, finance le terrorisme, et éduque le terrorisme ».

Cette solution à deux Etats est un leurre. Depuis sa création, l’État d’Israël, sioniste, n’a eu de cesse de chasser les Palestiniens de leur terre. Les accords d’Oslo en 1993 n’ont jamais été appliqués par Israël alors même qu’ils n’envisageaient l’existence d’un État palestinien que comme un état croupion, sans possibilité d’existence réelle. Le régime sioniste a depuis encouragé la création de colonies israéliennes sur les territoires palestiniens, enserré ces derniers de barrières et de check points les isolant les uns des autres, créant un apartheid où seuls les Juifs israéliens ont des droits de citoyens. La guerre est l’occasion de renforcer la colonisation militaire de la Cisjordanie.

Le sionisme, l’établissement d’un Etat théocratique sur le territoire palestinien considérée comme la terre promise de la Torah, masque du messianisme religieux aux services des grandes puissances occidentales, est incompatible avec l’existence d’un Etat palestinien viable, qui ne soit pas un simple bantoustan fournisseur de main d’œuvre.

Pour une paix démocratique, une Palestine binationale, laïque, socialiste

Cet Etat sous une Autorité palestinienne qui collabore d’ores et déjà avec Shin Beth, les services de sécurité d’Israël, et dans lequel l’armée israélienne intervient quand elle le veut et où elle le veut, pour réprimer toute contestation des Palestiniens, toute résistance aux colons israéliens, serait un autre moyen de liquider la question palestinienne. Biden a menacé les « extrémistes qui attaquent les civils en Cisjordanie »… « en leur interdisant les visas » pour se rendre aux Etats-Unis. Une blague sinistre quand on sait que les Etats-Unis ne se sont jamais opposés à la colonisation des territoires palestiniens où sont maintenant installés 500 000 colons israéliens.

Cette solution procède du même mensonge que celui qui prétend que l’armada américaine au large des côtes d’Israël serait un moyen de dissuader le régime sioniste d’étendre la guerre au Liban ou en Syrie. Les Etats-Unis ne souhaitent sans doute pas dans l’immédiat étendre cette guerre mais la logique de l’escalade militaire, leur soutien indéfectible à Israël et le déploiement de leurs moyens guerriers en Méditerranée, visent à assurer, au risque d’enchaînements incontrôlables, leur mainmise sur le Moyen Orient pour mieux préparer… l’enchaînement militaire à venir.

La population, les travailleurs israéliens, dont l’État théocratique a fait depuis longtemps une armée au service des vieilles puissances impérialistes contre les peuples du Moyen-Orient, n’a aucun intérêt à cette guerre, à son extension, aucun intérêt à continuer d’être les soldats des USA.

La perspective d’un Etat binational, qui reconnaîtrait le droit des Israéliens à rester en Palestine, en restituant tous leurs droits aux Palestiniens, leur droit au retour et à tous les habitants de la Palestine les mêmes droits, est la seule perspective pour une paix démocratique et la coexistence pacifique des deux peuples, leur collaboration. Elle passe par le renversement non seulement de Netanyahou mais aussi de l’état théocratique et des classes possédantes d’Israël, la rupture des travailleurs israéliens avec le sionisme, l’indépendance des travailleurs et de la population palestiniens par rapport à leur propre classe possédante, à leurs représentants nationalistes et réactionnaires, du Hamas comme des dictatures réactionnaires qui marchandent les intérêts des Palestiniens, leur vie, à l’instar du Qatar

Guerre d’Ukraine, guerre d’Israël, militarisation du monde

« Poutine et le Hamas se battent tous deux pour rayer de la carte une démocratie voisine, écrit Biden dans sa tribune en associant guerre d’Ukraine et guerre d’Israël. Poutine et le Hamas espèrent tous deux faire s’effondrer la stabilité et l’intégration régionales et tirer profit du désordre qui en résultera. L’Amérique ne peut pas laisser faire cela et ne le laissera pas faire. […] Nous rallions nos alliés et nos partenaires pour tenir tête aux agresseurs et progresser vers un avenir plus radieux et plus pacifique. Le monde se tourne vers nous pour résoudre les problèmes de notre époque. C’est le devoir du leadership, et l’Amérique le fera.[...]

Nous maintenons les troupes américaines à l’écart de cette guerre en soutenant les courageux Ukrainiens qui défendent leur liberté et leur patrie. Nous leur fournissons des armes et une assistance économique pour stopper la volonté de conquête de Poutine, avant que le conflit ne s’étende davantage. Les États-Unis ne font pas cavalier seul. Plus de 50 nations se sont jointes à nous pour veiller à ce que l’Ukraine dispose de ce dont elle a besoin pour se défendre. » 

Ces « maîtres du monde » ont bien des difficultés à mobiliser l’opinion de leur propre population, l’ampleur des manifestations contre la guerre d’Israël aux Etats-Unis le montre, mais ils sont déterminés à imposer au monde entier un état de guerre permanent indispensable au maintien de leur système. Ils tentent, de guerre en guerre, de façonner l’opinion pour la préparer à l’escalade militaire dans laquelle ils sont déjà engagés.

Le soutien aux Palestiniens, la lutte contre la guerre et la lutte pour le socialisme

La conscience, plus ou moins claire, de cette situation et de ses enjeux, nourrit la révolte contre la guerre d’Israël en soutien aux Palestiniens mais, pour les révolutionnaires, l’urgence est d’armer les consciences d’une compréhension, d’une perspective qui rompt avec le nationalisme pour adopter un point de vue de classe internationaliste.

Lutter pour les droits du peuple palestinien, c’est lutter contre la guerre, c’est à dire lutter pour changer le monde, en finir avec le capitalisme, pour le socialisme.

La solidarité avec le peuple palestinien, le soutien que nous sommes en mesure de lui apporter, c’est d’abord la lutte contre notre propre gouvernement qui est partie prenante tant de la guerre d’Ukraine que de celle d’Israël et engagé dans la militarisation du monde et avec l’ambition d’y défendre la place de ses marchands d’armes et autres multinationales.

Le nationalisme est l’idéologie de la bourgeoisie et de ses privilèges, le ciment des classes possédantes et un leurre contre les travailleurs, les exploités. Les travailleurs n’ont pas de patrie.

Notre responsabilité, la responsabilité du mouvement ouvrier, du mouvement révolutionnaire, est de gagner de larges masses au socialisme, c’est-à-dire armer politiquement les aspirations des travailleurs, de la jeunesse, d’une large fraction de la population à l’entente des peuples contre leurs exploiteurs et les fauteurs de guerre. Travailleurs de tous les pays, unissons-nous.

Galia Trépère

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