Mercredi 22, aux Pays-Bas, le PPV (parti de la liberté) de Geert Wilders est arrivé en tête aux législatives, obtenant 35 sièges (sur 150). Avec ceux remportés par deux autres partis d’extrême droite, ce sont 45 sièges qui reviennent à cette dernière. Surnommé le « Donald Trump néerlandais », Geert Wilders a construit sa carrière politique sur sa haine de l’islam, prétendant, dès le début de sa campagne, vouloir démolir les mosquées, interdire le Coran, fermer les frontières aux migrants. Partisan de la sortie de l’UE, il pourrait maintenant devenir premier ministre des Pays-Bas s’il réussit à construire une coalition de gouvernement.

Cette inquiétante victoire du PPV aux Pays Bas n’est qu’un des éléments d’une tendance bien plus générale.

Dimanche 19, en Argentine, les élections présidentielles ont porté au pouvoir à une large majorité le candidat d’extrême droite Javier Milei. Surnommé « el loco » (le fou) par ses adversaires, il se présente comme « libéral libertarien », partisan d’une économie débarrassée de toute ingérence de l’Etat. Cela se traduit par un programme visant à privatiser tout ce qui peut l’être, ainsi que des coupes drastiques dans les mécanismes, déjà bien maigres, de redistribution aux plus pauvres, thème de campagne qu’il illustrait en brandissant une tronçonneuse. Il est climatosceptique, veut libéraliser les ventes d’organes, faciliter le port d’armes et abroger le droit à l’avortement… Il dit aussi être en connexion avec l’esprit de son chien mort récemment, dont il a fait réaliser cinq clones.

Il a choisi comme vice-présidente la très réactionnaire Victoria Villaruel, dont le père, officier, était partie prenante de la dictature militaire dirigée par le général Videla entre 1976 et 1983. Outre la lutte contre le « communisme » et l’avortement, Villaruel, qui visite régulièrement Videla en prison, mène le combat contre la politique de dénonciation de cette dictature mise en place lors des mandatures des Kirchner. Contestant les chiffres de disparu·es, d’enfants volés, de personnes jetées à la mer depuis des avions, etc., elle veut fermer le musée sur les exactions de la dictature ouvert depuis 2015 dans l’un de ses principaux centres de torture, l’ESMA (école de mécanique de la marine), à Buenos Aires.

La victoire de Milei a reçu le soutien de Bolsonaro et de Trump... Trump qui, à un an de la présidentielle de 2024, paraît s’imposer au parti républicain comme seul candidat crédible, tandis que le parti démocrate n’a, semble-t-il, que Biden à lui opposer. Le retour de Trump au pouvoir, s’il se produit, se fera alors qu’auront pu s’organiser autour de lui de véritables bandes armées, suprémacistes blancs et autres complotistes, racistes et xénophobes, que l’on a déjà pu voir à l’œuvre lors de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 et qui ne manqueront pas d’occuper le terrain. Alors qu’aux USA les institutions semblent incapables de sortir d’une situation de crise permanente, seuls quelques juges tentent de s’opposer, à coups de procès, au retour de Trump à la Maison Blanche, un barrage bien dérisoire.

En Europe aussi se forment les bases sociales et politiques d’un nouveau fascisme

Ce même week-end, en Espagne, la droite et l’extrême droite, Parti Populaire et Vox, rassemblaient plus de cent mille manifestants contre l’investiture de Pedro Sanchez à la présidence du gouvernement sous le slogan « Sanchez, traitre à la patrie ». Votée jeudi 16 aux Cortes (parlement), cette investiture concluait une période de flottement commencée le 23 juillet, jour des élections législatives nationales au cours desquelles aucune des deux coalitions, PSOE et Sumar d’un côté (152 sièges), Parti populaire et Vox de l’autre (170 sièges), n’a obtenu la majorité nécessaire (176 voix). Après quatre mois de tractations avec divers autres groupes de députés, Sanchez a fini par rassembler 179 voix, dont celles des 6 députés du parti indépendantiste catalan Junts de Carles Puigdemont. Six voix en échange de la promesse d’une loi d’amnistie pour les 300 militant·es condamné·es pour avoir organisé le referendum illégal sur l’indépendance de la Catalogne du 1er octobre 2017, parmi lesquels Puigdemont lui-même, exilé en Belgique. L’idée même d’amnistier celles et ceux qui ont mis en cause l’unité sacrée de l’Espagne est insupportable à la droite conservatrice espagnole, qui plus est pour Vox qui se revendique ouvertement du franquisme. Cinquante vieilles badernes, officiers retraités, ont écrit une lettre ouverte dans laquelle ils demandent à leurs collègues d’active de chasser le gouvernement du pouvoir, sur le modèle des « pronunciamientos » du passé comme celui qui débouchait, à la fin des années 1930, sur la quarantaine d’années de la dictature sanglante de Franco.

Le marchandage de Sanchez serait justifié, selon ses soutiens, par la nécessité de s’opposer à tout prix à l’arrivée au pouvoir de Vox, dans les bagages du Parti Populaire. Cette amnistie est légitime, mais elle n’est qu’une bien dérisoire manœuvre alors qu’aux élections régionales et municipales du 29 mai dernier, le PSOE et son allié Unidas-Podemos ont été chassés du pouvoir dans de nombreuses grandes villes et communautés autonomes par la coalition PP-Vox. Défaite qui avait poussé Sanchez à anticiper les législatives au 23 juillet, espérant limiter la dégringolade, et même transformer l’échec en succès grâce à ses « talents de négociateur ». Ce « succès » ne peut au mieux que retarder les échéances, tout en fournissant à la droite et à l’extrême droite l’occasion de mobiliser des foules au nom de l’unité nationale et contre les combines politiques, bien au-delà des milieux de la droite conservatrice et de l’extrême droite franquiste.

Ici, tandis que Macron enchaîne sans relâche ses offensives contre le monde du travail, la surenchère réactionnaire, xénophobe, islamophobe se poursuit autour du projet de loi immigration. La prétendue marche contre l’antisémitisme dimanche 12 novembre à laquelle ont participé, à l’exception de LFI, tous les partis institutionnels, y compris l’extrême droite, s’inscrivait dans la même logique. Sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, c’était le soutien sans faille à la guerre génocidaire que mène Netanyahou contre le peuple palestinien pour le compte du capital occidental qui était à l’ordre du jour, avec, implicitement, l’hostilité assumée contre celles et ceux qui manifestent en solidarité avec le peuple palestinien, voire pour les plus réactionnaires, l’occasion de manifester leur haine xénophobe, anti musulmans.

Cette haine a franchi un pas avec les réactions de l’extrême droite à l’annonce du meurtre du jeune Thomas à Crépol au cours de la rixe provoquée par une bande de jeunes lors d’un bal. Zemmour a immédiatement dénoncé « le racisme anti-blanc qui frappe jusque dans nos campagnes » et Ciotti des « racailles », tandis que pour Le Pen, « Plus personne ne se trouve à l’abri nulle part », car « des milices armées opèrent des razzias ».  

Cette charge haineuse participe de la même logique mortifère qui a mené aux émeutes qui se sont produites, jeudi 23, à Dublin. En début d’après-midi, un homme armé d’un couteau avait blessé cinq personnes, dont deux enfants. Dans la soirée, sur fond de rumeurs concernant l’origine de l’agresseur, une « faction de hooligans dingues mus par une idéologie d'extrême droite » (dixit la police) déclenchait une émeute dans un quartier de la ville où vivent des immigrés, sous les slogans « Irish live matter » (les Irlandais ont le droit de vivre).

Sur le terrain électoral, la liste du RN menée par Bardela pour les européennes « caracole en tête des sondages », tendance qui se manifeste dans l’ensemble de l’Union européenne, constituant, pour Les Echos, « un mouvement de fond qui menace les grands équilibres du Parlement européen ».

Ce mouvement de fond n’est autre que la conséquence de la faillite de leur système économique, social et politique qui nourrit les inquiétudes et les peurs et se traduit par une crise politique qui touche, de façon généralisée, le système dit « démocratique » sur lequel est basé le fonctionnement des Etats dans la plupart des pays riches, en particulier les vieilles puissances impérialistes.

Leur démocratie en crise

La montée de l’extrême droite dans les pays dits démocratiques bouscule les schémas établis, la mythologie qui entoure l’histoire de ces dites démocraties et qui a fait des USA le « pays de la démocratie », de la France celui « des Lumières et des droits de l’homme », des valeurs éternelles, hors de l’histoire… et de toute réalité des rapports de classe.

La démocratie bourgeoise, monarchie constitutionnelle comme en Angleterre ou république comme aux USA ou en France, n’est qu’une forme particulière de l’Etat bourgeois de classe. Elle n’est démocratique que pour la classe dominante, du moins pour ses sommets, et est fondamentalement une machine à duper les travailleurs et les classes populaires. Son fonctionnement repose sur l’illusion qu’en votant il est possible d’imposer le respect d’un prétendu intérêt général. Cet intérêt général n’est autre que celui de la bourgeoisie dont le pouvoir réel, économique, ne peut être remis en cause électoralement. Du point de vue des classes populaires la différence porte sur le sort qui peut leur être fait selon le parti arrivé au pouvoir… et la part des richesses que la bourgeoisie est prête à concéder.

Les grandes puissances impérialistes ont pu jusqu’à une période relativement récente se targuer de disposer d’institutions démocratiques fortes. Mais cela ne devait rien à la solidité de leurs prétendues « valeurs ». C’est simplement que les surprofits qu’elles tiraient de l’exploitation de leurs empires coloniaux leur permettaient de redistribuer une part du produit de leur pillage à leur propre classe ouvrière, du moins ses couches supérieures, l’aristocratie ouvrière. C’est cela qui faisait vivre l’alternance droite-gauche, l’espoir qu’en soutenant électoralement son camp, on pouvait y gagner quelque chose.

Les empires coloniaux ont progressivement été démantelés par les guerres de libération coloniale au cours des années 1950-1970. Avec la mise en œuvre au sein des puissances impérialistes dès le début des années 1980 des politiques libérales, la gauche et la droite de gouvernement ont mené à tour de rôle une guerre de classe contre les travailleurs, organisant systématiquement la régression sociale pour entretenir les profits de la bourgeoisie. Cela s’est accompagné d’une rupture profonde des travailleurs avec les partis qui prétendaient les représenter, une abstention massive aux élections. Jusqu’à, ici, l’effondrement de LR et du PS à la présidentielle et aux législatives de 2017.

Ce phénomène s’amplifie aujourd’hui un peu partout dans le monde. L’effondrement des anciens partis réformistes faute des bases matérielles nécessaires à leur existence laisse place à la montée des démagogues d’extrême droite qui postulent à exercer pour la bourgeoisie le pouvoir d’Etat que la démocratie parlementaire n’est plus capable d’assurer. Ils le font en dévoyant la détresse sociale pour la retourner contre ceux-là même qu’ils trompent, les travailleurs dans leur ensemble.

Les bases matérielles de la montée de l’extrême droite

Ces bases matérielles se trouvent, fondamentalement, dans la dégradation de la situation économique mondiale, les politiques menées par les Etats et les institutions financières internationales pour maintenir coûte que coûte le fonctionnement de la machine à profits, et les conséquences terribles qui en découlent pour les populations.

En Argentine, dans un pays saigné par une dette de 44 milliards auprès du FMI et dont les échéances annuelles sont quasi impossibles à tenir, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. L’inflation a atteint 143 % depuis début 2023 et pourrait atteindre 210 % sur l’année. « Des petits commerçants, des indépendants, qui gagnent peu, sont très remontés contre le péronisme [le gouvernement qui a précédé Milei], et voient qu’ils gagnent quasiment la même chose que des chômeurs qui bénéficient de plans sociaux » écrit Médiapart citant un sociologue argentin. « C’est une vieille histoire […] qui se répète : celle du jeune Blanc aux États-Unis, ou du Brexiter en Angleterre ». C’est cette détresse, cette révolte contre des situations insupportables, que Milei a su mobiliser à son profit, au grand bonheur des marchés : dès le lendemain de l’annonce de sa victoire, la bourse de Buenos Aires a bondi de 20 %.

Les boucs émissaires de prédilection sont bien évidement les migrants. Le dernier film de Ken Loach, The Old Oak, donne un aperçu saisissant des mécanismes à l’œuvre dans une ancienne cité de mineurs du nord-est de l’Angleterre où ne vivent plus que quelques familles dépourvues de tout et où seul subsiste un vieux pub, The Old Oak. L’arrivée dans la ville de familles syriennes exilées, qui vont occuper une partie des logements vides, trouve aussi bien la solidarité de certains habitants, que l’hostilité de quelques autres. On y voit à l’œuvre la xénophobie, le racisme, les mots qui se transforment en actes irréparables. Les moteurs en sont le sentiment d’injustice, la révolte, avec cette idée qu’« on » en fait plus pour les « étrangers » que pour nous, les « gens d’ici ». Dans le film, seule est concernée une poignée d’individus, mais on mesure bien à quel point ils constituent la proie rêvée pour les démagogues qui instrumentalisent leur détresse sociale, leurs colères, pour en fin de compte les retourner contre eux-mêmes. Ce sont ces mécanismes qui donnent leur base sociale aux Milei, Wilders, Trump et autres Meloni et que tentent d’actionner, ici, les rivaux du bloc réactionnaire Darmanin - Ciotti - Le Pen - Zemmour…

La déroute du capitalisme financiarisé mondialisé s’accompagne de la déroute des institutions démocratiques, un chaos politique d’où émergent des individus improbables comme Trump, Milei et autres. Incapables d'apporter la moindre perspective d'amélioration dans un monde économique qui de toute façon n'en porte aucune, leur fonction est de détourner la détresse sociale, la mobiliser contre des boucs émissaires, la transformer en arme au service du capital.

La seule réponse, le rassemblement du monde du travail pour conquérir la démocratie, changer le monde

Face à ce processus de décomposition rapide, au danger mortel qu’il représente, il n’y a rien à attendre de tous les prêcheurs de bonne parole qui prétendent avoir la bonne recette pour « restaurer la démocratie ». La solution ne peut venir que des travailleurs, des forces progressistes, de toutes celles et ceux qui refusent de se laisser entraîner, et qui, sans toujours en avoir conscience, ont les moyens de mettre un coup d’arrêt à la débâcle.

C’est le message que porte le film de Ken Loach, mettant en avant la solidarité qui s’installe entre la communauté d’anciens mineurs condamnés à la misère par la politique de la bourgeoisie anglaise et la communauté de familles qui ont fui la dictature et les massacres de Bachar al-Assad. C’est la rencontre de deux solidarités qui finissent par n’en faire qu’une et d’où naîtra la force nécessaire pour prendre collectivement en main l’objectif de changer les choses, réduisant au silence, en même temps, les forces réactionnaires. Cette solidarité a ses militants : le patron du pub, qui rappelle les grandes luttes des mineurs contre Thatcher, la profonde solidarité qui les unissait ; et une jeune Syrienne, forte de son expérience en tant qu’assistante d’ONG au sein des camps de réfugiés en Syrie, qu’elle met naturellement à l’œuvre dans cette nouvelle communauté dans laquelle sinistrés du capitalisme britannique et exilés syriens ne font plus qu’un.

Il ne s’agit certes que d’un film, mais la perspective qu’il porte n’est pas que symbolique. Elle définit en raccourci les formidables ressources dont dispose le monde du travail à condition qu’il se rassemble contre les préjugés que voudraient lui inculquer la bourgeoise et les forces réactionnaires à son service. Qu’il se rassemble pour mettre en œuvre la défense de ses propres intérêts sans craindre d’opposer à la violence réactionnaire, au terrorisme des classes dominantes, l’autodéfense collective émancipatrice des opprimés pour défendre leur droit et la dignité de toutes et tous, unis par-delà les frontières, organisés et conscients, déterminés à conquérir la démocratie, le pouvoir de diriger la société au service de l’ensemble de la population.

Daniel Minvielle

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