Lundi auront lieu les fastueuses obsèques d’Elizabeth devant un parterre de chefs d’État du monde entier, point d’orgue d’un indécent, obséquieux et servile hommage rendu et orchestré depuis sa mort, le 8 septembre, par l’État anglais et les puissants de ce monde, relayé complaisamment par tous les médias. La succession interminable des cérémonies étalant le faste de la Monarchie anglaise se veut la démonstration de la ferveur populaire, comme si toute la population, des plus riches aux classes populaires, aux travailleur.se.s devait manifester du respect, se mettre à genoux devant cette institution d’un autre âge, symbole du pouvoir des classes privilégiées.

Le dernier service de la reine aux classes dominantes

De Macron à Poutine, tous les grands de ce monde, monarchistes, républicains, dictateurs ont rendu un salut unanime à « une reine d’exception », « de vaillance », une « source d’inspiration », à la fidélité d’une monarque qui, en 70 ans de règne, a servi sans faillir les intérêts de l’impérialisme anglais et des classes dominantes.

Tous ont eu les mêmes mots sincèrement admirateurs, subjugués par une telle célébrité, un tel faste, une telle richesse, exprimant une fidélité sans faille à la religion des classes dominantes, la propriété capitaliste dont cette femme qui a traversé les tempêtes, couvert tous leurs crimes, leurs sanglantes infamies, cette imposture sans limite, était le symbole.

En ces temps de crise sans issue de leur monde, elle leur donnait l’illusion nostalgique d’un pouvoir éternel et leur rend un dernier service en accomplissant son rôle, aliéner les travailleurs et le peuple aux intérêts des classes dominantes. Derrière elle se profile le vieux jeune roi, tout autant symbole de la décadence de ce monde corrompu et failli qu’elle l’a été de sa sanglante prospérité.

La plupart des politiciens de gauche, d’un côté et de l’autre de la frontière, subjugués par le pouvoir et tout aussi respectueux de l’ordre des classes dominantes ont cru bon d’apporter leur contribution pathétique à cette sinistre mascarade.

Il fallait s’éloigner des palais pour que s’exprime la haine envers cette famille royale et sa monarque dont la mort a été accueillie en Irlande par des scènes de liesse comme à Derry lors d'un concert, où le public populaire scandait « fuck the Queen, fuck the Queen », et l’indifférence dans les banlieues des villes ouvrières de Manchester ou Liverpool où l’on doit choisir aujourd’hui entre manger ou se chauffer.

En effet, Elizabeth était bien le symbole et l’instrument de la domination de l’impérialisme britannique, de son oppression sociale et coloniale contre les travailleur.se.s et les peuples, de ses crimes et de ses guerres. La Monarchie est le décorum de cette domination qui perdure, à laquelle la grande famille bourgeoise des Windsor participe directement, 5ème fortune d’Angleterre de par son business, ses actions, centres commerciaux, entreprises et autres parcs d’éoliennes… elle n’en vit pas moins aux crochets de l’Etat et du contribuable britannique. Son parasitisme est un affront aux classes populaires et aux travailleurs britanniques qui subissent le choc d’une crise inédite, d’une régression sociale généralisée.

L’étonnante mise en scène internationale du deuil et des obsèques de la reine qui fait la une de tous les médias est l’écho tardif de la place qu’a occupée la bourgeoisie anglaise dans le développement et l’histoire du capitalisme, du colonialisme et de l’impérialisme, symbolisé à ses débuts par une autre reine, la reine Victoria.

C’est l’hommage des maîtres du monde, petits et grands, y compris de ceux qui en ont été les victimes à cette monarchie passéiste à laquelle ils sont finalement redevables. Alors que son empire s’est effondré, que le capitalisme s’est mondialisé, malgré la décadence du capitalisme anglais, l’influence de la bourgeoisie anglaise perdure encore aujourd’hui à travers le Commonwealth, vestige finissant de la colonisation et de la domination impérialiste.

Le Commonwealth… perpétuer les privilèges de la bourgeoisie anglaise

C’est dans ce cadre de la monarchie constitutionnelle que s’est développé le capitalisme anglais et le puissant Empire britannique sur lequel « le soleil ne se couchait jamais » et qui a dominé le monde jusqu’à la fin de la première guerre mondiale. Construit sur l’oppression et l’exploitation forcenée de la main d’œuvre des peuples sous le joug, de l’Inde à l’Afrique et le pillage des ressources, la couronne britannique en représentait et défendait les intérêts. Lorsque la reine Elisabeth arrive au pouvoir en 1952, l’Empire est sur le déclin, ébranlé par la vague révolutionnaire des peuples coloniaux. Elle présidera à la décolonisation, inéluctable, décolonisation brutale et sanglante qui avait commencé en Inde, livrée aux affrontements fratricides et aux rivalités ethniques et religieuses que l’impérialisme anglais avait lui-même exacerbés. La partition du pays en 1947 fut l’aboutissement de ce terrible drame qui aura fait près d’un demi-million de morts et provoqué l’exode de 10 à 15 millions d’Indiens. Elisabeth était commandante en chef honorifique de l’armée britannique lorsqu’elle écrasa en 1948 le soulèvement populaire communiste en Malaisie et, au Kenya, où la répression de la révolte du peuple Mau-Mau causa entre 1952 et 1956 près de 100 000 morts.

L’impérialisme anglais ne se résoudra à jeter l’éponge en Afrique qu’en 1960, contraint d’abandonner l’administration directe de ses colonies et perpétuera son influence et ses intérêts économiques à travers le Commonwealth, utilisant la grandeur passée de la Monarchie comme symbole d’unité et de continuité de son ex-empire. La Reine sillonnera le monde pour préserver cette « famille », comme elle l’appelait, qui permet à la bourgeoisie anglaise de garder des liens économiques privilégiés avec ses cinquante-six pays aujourd’hui souverains, dont une vingtaine de pays africains qui représentent au total 2,5 milliards d’habitants, un tiers de l’humanité.

La Reine, soutien indéfectible de tous les gouvernements qui ont mené la guerre de classe contre les travailleurs

La reine a été la caution de tous les gouvernements qui depuis les années 70 ont mené l’offensive libérale de la bourgeoisie contre les travailleurs, perpétuant l’odieux mensonge de l’unité du Royaume alors que le monde du travail était attaqué de plein fouet, que Thatcher brisait la grève des mineurs, laminait les salaires et privatisait l’ensemble du pays.

Elle a couvert la dame de fer de l’ignominie de son silence quand cette dernière en 1981 laissait mourir le militant irlandais Bobby Sands et neuf de ses camarades des suites de leur grève de la faim engagée pour obtenir un statut de prisonnier politique. Ils combattaient pour l’indépendance de l’Irlande du Nord à qui le Royaume-Uni a imposé une occupation sanglante durant des décennies, quadrillant militairement les quartiers populaires catholiques, et qu’elle maintient toujours sous sa domination, refusant son rattachement à l’Irlande du sud. Le protocole imposait au nouveau roi de se rendre à Belfast recevoir l’hommage de ses indéfectibles partisans politiques unionistes, cynique cérémonie symbole de cet ordre colonial dépassé qui étouffe la volonté et opprime la majorité des habitants de l’Irlande du Nord et paralyse les travailleurs.

Pas d’union nationale avec le vieux monde, le nouveau monde appartient aux travailleurs et aux peuples

La mort de la reine survient en pleine crise économique, sociale et politique, avec une chute du niveau de vie la plus importante depuis la grande dépression et un mouvement puissant de grèves des travailleurs anglais pour leur pouvoir d’achat, leurs conditions de vie et de travail.

Alors que la lutte des classes s’exacerbe et que le gouvernement de Liz Truss est à l’offensive contre le monde du travail, au service des classes dominantes, l’archaïque protocole autour de la mort de la reine a mis le pays à l’arrêt, imposant à tous l’escroquerie de la réconciliation des classes qu’elle prétendait incarner. Jusqu’aux directions des syndicats anglais, intégrées à l’ordre social, respectueuses des puissants, qui ont accrédité le mensonge de l’union nationale en suspendant la grève des postiers et des cheminots, la principale fédération syndicale Trades Union Congress, saluant « les nombreuses années de service dévoué au pays » de la reine.

Les classes populaires n’ont rien à voir avec cette Monarchie moyenâgeuse, cette institution parasitaire pilier de la réaction avec son alliée, l’Église anglicane, qui n’a d’autre utilité que celle d’incarner le pouvoir des privilégiés, de dominer les esprits et les soumettre. En s’affranchissant de ce vieux fatras pour leur émancipation, les travailleurs et les peuples, en portant « le linceul du vieux monde » comme le dit le chant des Canuts, portent la modernité, l’avenir d’un monde libre de tous les privilèges, de toute exploitation, de toute domination et de soumission.

Christine Héraud

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