« On ne naît pas femme, mais on en meurt », « Je veux marcher dans la rue sans avoir peur », « Foutez-moi en l’air le patriarcat », « La transphobie tue », des dizaines de milliers de femmes et d’hommes ont manifesté contre les violences sexuelles et sexistes ce samedi, dont 50 000 à Paris, et d’autres manifestations sont prévues durant la semaine qui vient. La journée internationale contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre, rappelle chaque année un sinistre constat : les femmes sont victimes d’une oppression quotidienne, insidieuse pour les unes, d’une brutalité extrême pour les autres.

En France, le Haut conseil à l’égalité (sous l’autorité du ministère du même nom) écrivait en mars 2020 « le constat reste accablant : une hausse de 46 % des plaintes pour harcèlement sexuel en 2019 et les mis en cause pour des crimes et délits à caractère sexiste sont très majoritairement des hommes : toutes infractions pénales confondues, 87 % des victimes d’actes sexistes, enregistrées par les forces de l’ordre, sont des femmes et 91 % des mis en cause sont des hommes. […] 60 % des Européennesdéclarent en 2019, avoir déjà été victimes d’au moins une forme de violence sexiste ou sexuelle au cours de leur carrière et en France, dans une enquête de 2016, près de 80 % des femmes considéraient qu’elles étaient régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes dans l’entreprise […] Quant au milieu politique, il demeure un bastion majeur du sexisme et fonctionne comme une chasse-gardée des hommes : les femmes politiques y sont considérées comme des intruses, sujettes à des disqualifications et incivilités, des comportements paternalistes et confrontées aux violences sexistes et sexuelles ».

Campagne présidentielle oblige, les candidat.es de droite comme de gauche rivalisent de déclarations aussi indignées qu’hypocrites et de promesses dérisoires alors que tous les gouvernements ont amputé les budgets sociaux et sabordé les services publics dont ceux de la santé et de la petite enfance, les services où se pratiquent les IVG... Des organisations comme le planning familial ne doivent leur survie qu’à la mobilisation et l’ingéniosité militante, le travail bénévole, la solidarité financière. Il y a 4 ans, Macron promettait avec emphase de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la « grande cause du quinquennat », rien moins… avant de nommer Darmanin à l’Intérieur, accusé de viol, de harcèlement sexuel et d'abus de confiance, et Dupond Moretti à la Justice, qui avait déclaré en plein procès Tron (condamné à cinq ans de prison pour viol et agression sexuelle) « C’est bien beau que la parole des femmes se libère, mais vous préparez un curieux mode de vie aux générations futures » ! Le machisme, les préjugés et le mépris des femmes infusent dans la société, les classes dominantes et leur personnel. Lois sur la parité ou pas, 84 % des maires et 92 % des président.es d’intercommunalité sont des hommes.

Chaque année, en France, 220 000 femmes sont victimes de violences, 94 000 de viol. En 2019, 146 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon ; 102 en 2020 ; 101 au 16 novembre 2021, un décompte insupportable, expression d’une société violente, profondément malade.

La folie de la propriété, de la concurrence imprègne toute la société jusqu’aux rapports les plus intimes. Les femmes en sont parmi les premières victimes. Victimes de l'appropriation de leur corps, de leur vie, dans une société où tout est marchandise. Une société construite sur l’exploitation et les oppressions, qui ne se maintient qu’en distillant et en instrumentalisant les préjugés, dont le machisme et la misogynie.

L’oppression des femmes, discriminations sexuelles produits de la domination de classe

L’accélération de la faillite capitaliste, l’intensification de l’exploitation ont des conséquences brutales pour les femmes qui subissent de plein fouet la précarité, les temps partiels imposés et les bas salaires. A travail égal, malgré les déclarations offusquées et les lois, les femmes touchent 16,5% de moins que les hommes (15,5% l’an dernier) d’après le collectif Les Glorieuses : depuis le 3 novembre à 9h22, elles travaillent gratuitement.

Elles sont les premières de corvée au travail comme au foyer. Très majoritairement enfermées dans des métiers dits « féminins » sous-qualifiés et sous-payés exigeant endurance psychique et physique, précision, attention aux autres, souvent avec des horaires décalés et discontinus, les travailleuses cumulent les journées de travail : tâches ménagères, responsabilité et éducation des enfants, prise en charge de la santé des membres de la famille, de la tenue du budget… Ce sont elles aussi qui sont à la tête des familles monoparentales dans 85 % des cas et font face à d’innombrables difficultés.

L’offensive économique des classes dominantes s’accompagne aujourd’hui d’une violente offensive idéologique réactionnaire. Elle vise à faire taire, tente de légitimer les oppressions, brouiller les consciences à grand renfort de préjugés, et à remette en cause les droits démocratiques obtenus par les luttes. Le capitalisme décadent propulse ainsi des Orban, Trump, Bolsonaro, Zemmour et autres marionnettes pour faire le sale travail, et fait appel aux églises de tous bords pour prendre part à l’offensive obscurantiste, diviser les exploité.es et bâillonner toute aspiration démocratique dont celle, centrale et subversive, de l’égalité des sexes et de l’émancipation des femmes.

Le patriarcat, outil de la domination capitaliste

Le patriarcat, l’organisation de la société autour d’une famille « stable » sous l’autorité du père réduisant la femme au rôle de procréatrice, est apparu en même temps que la propriété privée et la division de la société en classes. La femme fut dès lors tenue de garantir la filiation pour que le père puisse transmettre avec certitude la propriété à ses fils... Depuis lors, pour que les classes dominantes puissent hériter des richesses spoliées de générations en générations, l’ensemble des femmes ont été aliénées, privées de leur individualité, devenue elles-mêmes propriété de l’homme.

Le capitalisme a parfait le système, peaufiné les lois, fait donner ses tribunaux et ses églises pour garantir ce pilier inébranlable du mariage et de l’héritage. Un pilier que les classes dominantes défendent bec et ongles face à tout ce qui menace leur « ordre », les puissantes aspirations de liberté et d’émancipation et tout ce qui remet en cause la famille, les luttes féministes et LGBTI.

Dans une mini-série intitulée « Successions » 1, Le Monde brossait cet été le portrait édifiant de six « dynasties » françaises, les Bolloré, Arnault, Mulliez, Lagardère, Pinault, Bouygues et « les mécanismes de transmission du patrimoine des capitaines d’industrie français à leurs héritiers ». Des héritiers qui ont tous bien réussi… et à une ultra majorité de sexe masculin.

Alors oui, l’idéologie machiste, les préjugés misogynes ne sont pas simple question d’éducation. Ils sont issus du plus profond de la société de classe, et l’exacerbation de la guerre que mènent aujourd’hui les classes dominantes s’accompagne d’une offensive idéologique décomplexée. Le même Bolloré et une frange des classes dominantes subventionnent aujourd’hui un Zemmour qui proclamait il y a quelque temps : « un garçon, ça va, ça vient, ça entreprend, ça assaille et ça conquiert, ça n’a pas de forteresses imprenables, mais seulement mal assiégées »… Il affiche depuis des années sa haine des femmes, des homosexuels, est en guerre contre la « féminisation de la société » car, voyez-vous, « les femmes n’expriment pas le pouvoir, elles ne l’incarnent pas. C’est comme ça. Le pouvoir s’évapore quand elles arrivent » ! Une haine qui exprime la trouille, celle des classes dominantes face à la contestation de la domination masculine, du patriarcat, outil essentiel de la domination capitaliste et qui ne pourra disparaître qu’avec la disparition de la société de classe.

« Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes, et radicales, et en colère »

De MeToo aux mobilisations pour la légalisation de l’avortement, un véritable renouveau féministe se développe sur tous les continents, porté par des femmes de toutes générations et particulièrement par de jeunes filles et femmes ouvrières, étudiantes, intellectuelles.

Un mouvement au caractère de plus en plus populaire et « radical » qui questionne et conteste la racine de l’oppression, remet en cause les classes dominantes, leur personnel politique, les églises, leur prétendue morale. C’est un mouvement porteur d’émancipation au-delà de la seule question féministe, un encouragement pour l’ensemble des exploité.es et opprimé.es à combattre l’ordre moral, idéologique qui protège et perpétue la société de classe fondée sur l’exploitation.

La vague de fond internationale débutée avec MeToo libère progressivement la parole des victimes de viols et d’agressions sexuelles, d’homophobie et de transphobie et, au-delà, de toutes les discriminations subies. Elle est un encouragement pour toutes et tous et a contribué à ce que d’innombrables victimes d’inceste, femmes et hommes, osent rompre le silence de même que les centaines de milliers, probablement des millions dans le monde, de victimes d’actes pédophiles perpétrés par des prêtres et hommes d’Eglise.

Le combat féministe a intégré la lutte contre l’ensemble des oppressions et des violences sexuelles et de genre et, au-delà, pour les droits démocratiques de toutes et tous. Il est aujourd’hui confronté à la nécessité de prendre pleinement conscience qu’il fait partie d’un combat global contestant la domination capitaliste, un combat qui ne peut se mener qu’en lien avec le monde du travail, les premières et premiers de corvée.

La lutte des femmes, une force révolutionnaire

Notre combat pour l’égalité des sexes, contre le patriarcat est partie intégrante de l’affrontement de classe. Il est un des éléments moteurs du combat pour l’émancipation, pour l’unité des exploité.es, pour des relations dégagées de toute oppression, débarrassées de l’exploitation et de la propriété capitaliste.

Le mouvement féministe est à un tournant. Profondément renouvelé, rajeuni, il est traversé de débats, d’interrogations, nourri par le besoin de repenser les relations entre les sexes, se réapproprier les combats passés et penser l’avenir, écrire sa propre histoire, toutes générations confondues.

Ce renouveau témoigne de la vivacité, du développement des aspirations démocratiques face à l’offensive réactionnaire, de l’urgence de s’émanciper de la morale bourgeoise, de penser des relations libérées de toute oppression et domination. Il subit en même temps la confusion ambiante, et a besoin de s’en extraire pour penser la globalité de l’affrontement, sa portée révolutionnaire et la nécessité de la contestation du pouvoir des classes dominantes, des multinationales et de la finance.

Nombreuses sont celles, dans le mouvement féministe, qui se défiant des organisations institutionnelles hésitent à poser la question politique, craignant que leur combat soit instrumentalisé. Mais l’offensive économique, idéologique, policière des classes dominantes, la décomposition morale qui l’accompagne donnent aux jeunes générations et à toutes celles et ceux qui combattent les inégalités et les oppressions la mesure de l’affrontement nécessaire.

Il ne peut y avoir de véritable lutte pour l’émancipation des femmes sans remise en cause du capitalisme, sans que soit posée la nécessité de la révolution, du combat de l’ensemble des exploité.es pour déposséder la minorité capitaliste et postuler au pouvoir, à réorganiser toute l’économie, la société et construire des relations économiques et sociales libérées de toute domination, de toute relation de propriété. Une telle société socialiste, communiste, pourra alors permettre un plein épanouissement des individualités de tous sexes et genres dans des relations librement consenties, respectueuses de l’ensemble de la collectivité, des relations dont nos cerveaux ont probablement du mal aujourd’hui à envisager toute la richesse.

Isabelle Ufferte

1 - https://www.lemonde.fr/les-heritiers/

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