La victoire de Hamon à la primaire a changé pour une part la donne « à gauche ». Inattendue il y a quelques semaines seulement, elle suscite aujourd’hui un retour de flamme « unitaire » dans une partie de l’électorat allant de la gauche du PS au PCF en passant par Mélenchon et EELV. Une pétition signée entre autres par Filoche et Caroline de Haas, en appelle à « une coalition claire et efficace des candidats que sont Benoît Hamon, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon pour porter un projet réellement tourné vers l’avenir ! […] Nous ne voulons pas qu’ils se diluent, qu’ils fassent de petits arrangements, mais qu’ils dépassent leurs divergences et qu’ils proposent une candidature unitaire en prenant comme socle le meilleur de chacun ! »… De son côté, Mamère déclarait la veille du second tour : « Le Parti socialiste va se reconstruire, de manière différente. Je ne sais pas s’il s’appellera encore le Parti socialiste et moi je veux participer à la reconstruction de la gauche et de l’écologie […] Je souhaite faire partie de cette aventure et je pense que Benoît Hamon me demandera d’en faire partie »…

Alors, possible cette « reconstruction » et nouvelle « unité de la gauche » alors que dans la foulée de sa victoire Hamon est crédité de 16 à 17 % dans un sondage Elabe du 1er février où Mélenchon plafonne désormais à 10 % et Jadot à 1 %... ? Il est permis d’en douter même si Hamon « consulte » à tout va de Cazeneuve à Jadot en passant par Hollande et Mélenchon. Quels que soient les « petits arrangements » entre rivaux et les grandes manœuvres à venir, les espoirs auxquels certains voudraient pouvoir s’accrocher sont condamnés : l’offensive capitaliste laisse peu de place aujourd’hui aux marchands d’illusion…

Face à la guerre de classe en cours, la recherche d’introuvables raccourcis prépare des lendemains douloureux. La domination capitaliste de plus en plus violente, destructrice, pose avec acuité la question de la contre-offensive des opprimé-e-s, du monde du travail, de la jeunesse pour empêcher la faillite annoncée. Elle pose le problème du contrôle de l’économie, de la société, de disputer le pouvoir aux capitalistes, et la nécessité d’un parti pour la transformation révolutionnaire de la société. Un parti démocratique et révolutionnaire, un parti des travailleurs, tournant le dos à tous les populistes et démagogues, un parti qui se réapproprie les idées du socialisme et du communisme nées il y a plus d’un siècle au sein des luttes des opprimé-e-s.

Liquidation du PS et du PC, une longue période du mouvement ouvrier s'achève

Le rejet de Valls a témoigné du profond discrédit de la direction du PS. Un PS que ses propres dirigeants s’emploient à finir de liquider… non seulement ceux qui ont, officiellement ou non, déjà pris fait et cause pour Macron mais aussi ceux tels Le Guen qui, tout en s’en défendant, précise : « Je ne dis pas que sa démarche n’est pas intéressante. J’approuve notamment l’idée du dépassement de la droite et de la gauche. Mais elle n’est pas aujourd’hui aboutie »… Elle est de toute évidence bien en cours même si, petit problème pour Le Guen, Savary et autres « réformateurs » du PS, Macron semble ne pas vouloir s’embarrasser d’eux pour la faire aboutir… Il s’est empressé de mettre les points sur les i : « qu’il y en ait de plus ou moins vocaux qui décident à un moment de changer d’avis et de me soutenir très bien, pour autant […] ils ne seront pas celles et ceux avec qui je gouvernerai », tout en faisant la promotion du ralliement du Directeur général adjoint de Bouygues ou de Idrac, ancienne ministre de Chirac.

Tout ce petit monde est donc aussi prudent qu’agité, et derrière les haussements de ton et les menaces de sécession depuis le début de la semaine, personne ne veut insulter l’avenir… du moins le sien, à défaut de celui du PS.

Hamon, prototype de l’homme d’appareil (MJS, MNEF, cabinets de Jospin puis Aubry, soutien de Fabius …) a comme tous ses petits camarades peaufiné depuis 25 ans son plan de carrière. Lui dont le crédo on ne peut plus basique est « si tu te plantes, tu payes. Si tu te plantes pas, tu passes à l’étape suivante » est convaincu qu’il a une carte à jouer, visant une partie de l’espace occupé aujourd’hui par Mélenchon à qui, sitôt élu, il a proposé de « construire une majorité gouvernementale cohérente »… Une photo a refait surface ces derniers jours, celle des jeunes loups de la direction du PS en 93, souriants et satisfaits autour du chef Rocard : Hamon, Valls, Cambadélis, Moscovici, Bartolone, Glavany et… Mélenchon, tous ont su passer « à l’étape suivante » en ne reculant devant aucune contorsion. Chacun tente aujourd’hui à sa façon de ne pas sombrer avec le navire.

Un naufrage dans lequel est entraîné le PCF, menacé de perdre l’essentiel de ses élus issus d’alliances avec le PS. Espérant en sauver une partie, sa direction s’est résignée à passer sous les fourches caudines de Mélenchon… qui n’a aucune intention de lui laisser le moindre espace et a désigné ses propres candidat-e-s « France insoumise ».

Se réjouissant de la victoire de Hamon, la direction du PCF a appelé à « retrouver le chemin du dialogue » en vue de la « constitution d’une majorité politique mettant en œuvre une politique résolument à gauche »… rappelant « nos candidats aux élections législatives construisent dans leur circonscription des arcs de rassemblement qui ne sont pas enfermés dans les appartenances partisanes ».

L’éditorialiste de l’Huma du 31 janvier expliquait de son côté : « Voyons bien le phénomène de maturation en cours et à quel point cela donne du crédit et de la force à ceux, tous ceux, qui ont construit des contenus alternatifs crédibles et donnent de la cohérence, depuis longtemps, à ce qu’ils proposent. […] La défaite cuisante du libéralisme au sein même du PS ouvre un nouveau chapitre de débats en profondeur dont l’issue reste incertaine »…

Mélenchon a lui tenu à couper court : « on parle d’une élection présidentielle, je suis candidat, j’ai dans les bottes toutes ces années passées à préparer le programme avec mes amis »… Le même jour, il avait explosé au visage d’un cheminot à Périgueux « j’use ma vie à vous défendre ! »… alors que celui-ci, en lutte contre la fermeture des ateliers SNCF,  venait de l’interpeller : « droite gauche mélangées, vous ne nous respectez pas ; on arrive à un point de rupture ! »…

Alors oui, des maturations s’accélèrent, la révolte et la rupture avec les partis de gouvernement sont profondes au sein du monde du travail, parmi la jeunesse, chez tous ceux qui subissent l’offensive libérale, anti-ouvrière, antidémocratique. Et pas plus le PCF que Hamon ou Mélenchon n’ont quelque « contenu alternatif crédible » à proposer, tous se situent au sein d’un système qu’ils servent depuis longtemps.

Le PS et le PCF, vieux partis qui étaient nés dans les luttes du mouvement ouvrier il y a un siècle, ont depuis longtemps été l’un après l’autre intégrés au plus haut niveau à la gestion des affaires de la bourgeoisie. Produits de l’activité et des luttes de la classe ouvrière, ils les ont marchandés contre l’institutionnalisation. Ces partis arrivent aujourd’hui au terme d’une longue évolution, désertés par les classes populaires et liquidés par leurs propres dirigeants.

Le mouvement ouvrier confronté dès sa naissance à la question des institutions et de l’indépendance de classe

C’est au lendemain de la Commune, alors que la classe ouvrière moderne se constituait et commençait à prendre conscience d’elle-même dans l’affrontement avec la bourgeoisie, qu’est né le mouvement socialiste, en même temps que se développaient les bourses du travail et les premiers syndicats. Des militants révolutionnaires posaient la question du pouvoir et de la nécessité d’une organisation politique, trouvant dans les idées du socialisme et du communisme, du marxisme, les armes pour le combat des prolétaires. Ce mouvement, rejoint par des intellectuels humanistes, démocrates, issus de la petite bourgeoisie radicale, a très rapidement été confronté à la logique institutionnelle et à son intégration à l’appareil d’État de la bourgeoisie.

Dès 1899, celle-ci proposait à un avocat et journaliste socialiste, Millerrand, d’entrer dans son gouvernement. Le mouvement socialiste se divisa alors entre ceux qui autour de Jaurès soutenaient Millerrand et ceux qui avec Guesde considéraient que le parti socialiste devaient rester un parti d’opposition. Et ce n’est qu’en 1905, alors que se développaient les luttes de la classe ouvrière et sous la pression du mouvement socialiste international que les deux courants fusionnèrent pour devenir la section française de l’Internationale socialiste (SFIO).

Une longue intégration aux affaires de la bourgeoisie

La bourgeoisie n’aura désormais de cesse de tenter d’intégrer les différentes directions des partis ouvriers à la gestion de ses affaires pour mieux désarmer le mouvement ouvrier.

En 1914, la SFIO est emportée par la vague nationaliste, balayant ses textes de congrès et les proclamations internationalistes. Jaurès est un des rares à faire entendre une autre voix. Quelques jours après son assassinat, Guesde vote l’union sacrée et entre dans le gouvernement de guerre.

La puissante vague révolutionnaire qui suit la guerre et la révolution russe de 1917 donnent naissance à une nouvelle internationale, communiste. En France, le congrès de Tours de 1920 acte la rupture avec l’ancien parti socialiste et la naissance du PCF. Le jeune parti va attirer nombre de travailleurs, de jeunes, gagnés aux idées de la révolution et de la lutte de classe, du communisme. Mais la direction reste marquée par les mœurs, les réflexes hérités de l’ancien parti socialiste et de ses notables. En 1922, Trotski les dépeint dans un court texte, Le drame du prolétariat français :

« Aucun autre prolétariat n'est aussi riche en souvenirs historiques, car aucun n'a eu une destinée aussi dramatique que le prolétariat français. Mais ce passé pèse sur lui comme une terrible menace pour l'avenir. […] Le radicalisme verbal, la politique des formules intransigeantes qui n'ouvre la voie à aucune action, et consacre par conséquent la passivité sous le masque de l'extrémisme était et reste la rouille la plus pernicieuse du mouvement ouvrier français. Des orateurs qui ne savent pas en commençant leur première phrase ce qu'ils diront dans la seconde ; d'habiles bureaucrates du formalisme qui ignore l'évolution des événements ; des chefs qui ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs propres actions ; des individualistes qui, sous le drapeau de l'autonomie, de tout ce qu'on voudra : province, ville, syndicat, organisation, journal, défendent invariablement leur individualisme petit-bourgeois contre le contrôle, la responsabilité, la discipline ; des syndicalistes qui non seulement ne sentent pas le besoin mais même craignent de dire ce qui est, d'appeler une erreur par son nom, d'exiger d'eux-mêmes et des autres une réponse précise à une question, et qui masquent leur impuissance sous l'effort habituel du ritualisme révolutionnaire ; des poètes magnanimes qui veulent déverser sur la classe ouvrière les réserves de leur magnanimité ou de leur confusion mentale ; des saltimbanques, des improvisateurs qui sont trop paresseux pour penser et qui s'offensent qu'il y ait des gens qui aient la capacité de penser, des faiseurs de calembours dénués d'idées, des oracles de clocher ; des petits curés révolutionnaires d'église se combattant mutuellement, voilà le terrible poison du mouvement ouvrier français, voilà la menace, voilà le danger ».

Le mouvement ouvrier ne sera pas en mesure d’empêcher la reprise en main du PCF par la bureaucratie stalinienne dont les intérêts vont désormais dicter sa politique… Le PCF se ralliera à Blum et au Front populaire, au nom duquel Thorez appellera à terminer la grève, en juin 1936, alors que se prépare la marche à la guerre.

Interdit en 1939 suite au pacte Hitler-Staline, le PCF sortira de la guerre et de la clandestinité renforcé par le rôle qu’auront joué ses militants dans la Résistance… un crédit et une force qu’il mettra au service de De Gaulle et de la reconstruction de l’appareil de la bourgeoisie. C’est le début d’une longue histoire d’intégration à l’ensemble des institutions ponctuée par trois participations à un gouvernement… et d’un discrédit croissant.

Un parti des travailleurs, démocratique, révolutionnaire

Aujourd’hui, une page se tourne. La logique de l’institutionnalisation arrive à son terme : pour tenter de sauver leurs élus et leur place dans les institutions, les propres directions du PS et du PC ont choisi la liquidation.

Les illusions restent cependant tenaces… comme en témoignent celles nées de la qualification de Hamon et les appels à une nouvelle « union de la gauche », voulant croire à une « victoire » possible...

Dans des notes publiées récemment sur le site Europe Solidaire Sans Frontières, Léon Crémieux écrit à ce sujet : « Cette dynamique unitaire, malheureusement, va se construire sur le terrain uniquement institutionnel des mécanos électoraux […] Il va sûrement y avoir un grand nombre de discussions dans les jours et les semaines à venir, des cadres possibles de discussion de militants du mouvement social et politique. Cela doit être l’occasion non seulement de défendre nos idées, mais aussi de mettre en avant des propositions de rassemblement, social et politique de tous ceux, toutes celles qui combattent sur tous les fronts […] Même si cela se polarise aujourd’hui sur l’aspect d’une candidature unique Mélenchon-Hamon, nous pouvons, nous, donner d’autres contenus sur le fond à partir des exigences sociales, des convergences entre courants militants, pour cesser d’être spectateurs des joutes et mécanos présidentiels et prendre nos affaires en mains ».

Si on souscrit au besoin de débats et de confrontations entre militants du monde du travail et du mouvement social, on ne peut que s’interroger sur le retour de cette quête d’un « rassemblement social et politique de tous ceux, toutes celles qui combattent sur tous les fronts ». Quel rassemblement et pour quel objectif, quel programme ? Et que signifie « cesser d’être spectateurs des joutes et mécanos présidentiels et prendre nos affaires en mains » ?

Nous ne sommes pas « spectateurs »… nous sommes extérieurs à ces « joutes et mécanos », indépendants. Nous nous situons sur un tout autre terrain que ceux qui nous promettent la révolution par les urnes, une sixième république et… une politique de gauche. Et si nous nous adressons à celles et ceux qui en sont aujourd’hui dupes, nous militons pour le rassemblement sur un terrain de classe. Nous nous adressons à la révolte de la jeunesse et du monde du travail, des opprimés pour aider à l’armer d’une compréhension des rapports sociaux et politiques, pour aider à la reconstruction d’une conscience de classe, la conscience de la capacité des opprimé-e-s et exploité-e-s à prendre en main les affaires publiques, à diriger la société dans l’intérêt collectif.

C’est ce qui fait le sens de la campagne autour de Philippe Poutou alors que les partis institutionnels s'enlisent dans les scandales et autres affaires de fraude, abus de pouvoir et de confiance qui, de toute évidence, sont « naturels » dans le monde des possédants qu’ils servent et dont ils sont partie prenante. Le parasitisme, la crasse, le cynisme du châtelain Fillon sont ceux de leur classe. Le monsieur propre qui promet du sang et des larmes pour « relever la France », ami des Tibéri, Dassault and Co n’a pas grand-chose à envier aux autres banquiers d’affaire, amis, conjoints d’industriels et de financiers qui peuplent les couloirs du pouvoir…

Alors que l’offensive capitaliste plonge les classes ouvrières et les peuples dans une crise économique, démocratique, écologique sans précédent, que les conditions de vie et l’exploitation des classes populaires se dégradent de manière brutale, l’heure n’est pas aux nouveaux mirages mais à porter l’actualité de la perspective socialiste et communiste, de la révolution, et la nécessité de la construction d’un parti démocratique et révolutionnaire qui naîtra des mobilisations et de l’activité de la classe ouvrière, des opprimé-e-s.

Isabelle Ufferte

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