A l'heure de son investiture, Trump poursuit son offensive protectionniste, en opposition à la politique proclamée jusqu’ici par les États-Unis, champions du libre échange de la mondialisation. Il a pris ainsi prétexte de la décision récente de Ford de renoncer à la construction d’une nouvelle usine au Mexique et d’investir pour adapter une de ses anciennes usines du Michigan à la fabrication de voitures électriques, créant ainsi 700 emplois, pour crier victoire : les industriels de l’automobile plieraient devant sa menace de frapper de 30 % de droits de douane les voitures fabriquées au Mexique et destinées au marché américain. Et peu importe que la direction de Ford ait répondu que ce choix était indépendant des injonctions de Trump et lié aux évolutions de la conjoncture. Quels qu’en soient ses fondements, il va dans le sens de légitimer la politique de Trump : des productions « reviennent » aux Etats-Unis, et avec elles des emplois…

Trump ne se contente pas d’affirmer sa volonté de réorienter la politique économique des USA et de bouleverser ainsi les équilibres, aussi précaires soient-ils, sur lesquels reposent les échanges internationaux. Il remet en cause les relations qui régnaient depuis la fin de la deuxième guerre mondiale entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Sa politique vis-à-vis de l’UE tient, en quelque sorte, en trois tweets : félicitations confirmées au Brexit après le discours récent de la première ministre britannique Theresa May ; critique de Merkel et de sa « politique catastrophique » et, à travers elle, de l’UE ; menace de se retirer de l’OTAN, « obsolète » du point de vue des intérêts actuels des Etats-Unis…

Ce faisant, Trump conforte ceux, de droite comme de gauche, qui défendent au sein des pays européens le retour aux vieilles frontières du passé, au souverainisme national, au « fabriquer en France ». A commencer par Le Pen, qui s’était empressée de féliciter Trump dès l’annonce de son élection et qu’on a pu voir récemment boire un café à la Trump tower de New-York, antre symbolique de sa nouvelle idole… De retour au pays, elle nous explique que Trump applique, en fait, la politique du FN. Avec succès, ajoute-t-elle, puisqu’en quelques tweets, il aurait fait mieux pour la « relocalisation » de l’industrie aux USA que Sarkozy et Hollande en France en dix années de pouvoir…

La démondialisation en marche ?

Le discours provocateur de Trump ne préjuge pas, bien sûr, des formes concrètes que prendra le virage protectionniste qu’il annonce. Un bouleversement est cependant bel et bien en train de se produire dans l’organisation économique du monde telle qu’elle s’était construite depuis les années 1980 à travers la mondialisation libérale impérialiste. Certains voudraient voir dans cette évolution des stratégies politiques US comme dans le Brexit, les manifestations d’une « démondialisation » en marche. Le thème est repris par les candidats à la présidentielle, la presse se questionne sur sa réalité… Cette « démondialisation » nous conduirait vers ce qui pourrait ressembler au « bon vieux temps » d’avant le virage néolibéral initié en 1980 par Reagan et Thatcher, bientôt suivis par Mitterrand.

Mais ce bon vieux temps… n’était pas si bon que ça. Il ne l’était pas pour la grande majorité de la classe ouvrière des vieilles puissances industrielles, malgré « l’Etat providence » qui assurait soi-disant une certaine égalité sociale. Il l’était encore moins pour les peuples du Tiers Monde qui, à peine s’étaient-ils libérés des chaînes coloniales, continuaient à subir le pillage de leurs richesses minières et agricoles, sans oublier celui de la dette.

Quant au virage néolibéral qui marque le passage de la période des dites « Trente glorieuses » à celle de la mondialisation, il n’est pas dû, comme l’expliquent les thèses antilibérales, à un choix entre deux options « idéologiques » : un capitalisme régulé, hérité en France de la politique progressiste mise en œuvre par l’union nationale constituée dès la fin de la guerre par le PC, la SFIO et les gaullistes dans le cadre du Conseil national de la résistance, et un capitalisme sauvage, libéral, porté par des politiciens réactionnaires qui auraient fini par l’emporter en 1980. Ce virage correspond à un changement de stratégie de la bourgeoisie internationale, à l’initiative des Etats-Unis, pour trouver une issue à la crise des années 1970-75. Crise qui n’était par tombée du ciel, mais était le fruit de l’évolution du capitalisme « régulé » des années d’après guerre sous l’effet de ses propres contradictions internes, du coût des guerres qu’il menait, en particulier celle du Vietnam, et de la lutte des classes. Le virage néolibéral était une offensive pour maintenir les profits.

La mondialisation libérale impérialiste a radicalement changé en quelques trente années l’organisation mondiale de la production et des échanges avant de déboucher sur la crise des années 2007-2008. Les bouleversements actuels sont la conséquence de cette double réalité : d’une part les changements profonds qui se sont produits dans les forces productives à l’échelle mondiale se traduisent aujourd’hui par une redistribution des cartes dans les rapports de force économico-politiques internationaux ; d’autre part cette redistribution se produit alors que la mondialisation libérale impérialiste a débouché sur une nouvelle faillite du système capitaliste, plongé dans une récession mondiale dont il est incapable de sortir, menacé d’un effondrement financier imminent, le tout dans un contexte de crise écologique majeure.

C’est là qu’il faut chercher les causes du changement de politique économique des États-Unis. Les réponses apportées dans l'offensive libérale ne suffisent plus à enrayer la chute du taux de profit.

Tant que les USA constituaient sans contestation possible la première puissance économique mondiale, la politique de libre échange profitait avant tout à leurs trusts, devenus multinationales. Et c’est bien pourquoi ils ont défendu et imposé cette politique au monde entier, à commencer par leurs partenaires européens et japonais, dès la fin de la 2ème guerre mondiale. Mais au cours des années de mondialisation, de nouvelles puissances industrielles se sont constituées, principalement la Chine. Et c’est la confrontation avec cette concurrence nouvelle, produit de leur propre politique et exacerbée par la crise mondiale, qui conduit aujourd’hui les Etats-Unis à modifier leur stratégie pour mieux mener la guerre économique dans un nouveau contexte qui permet par ailleurs à de nouveaux protagonistes, Russie, Iran, Turquie, etc., de jouer leur propre carte.

Du fait de la place centrale que les États-Unis occupent encore dans l’organisation économique mondiale, un tel changement de stratégie ne peut qu’avoir des conséquences désastreuses dont les premières victimes seront les travailleurs et les peuples. Il n’y aura pas de « démondialisation heureuse ».

Les travailleurs et les peuples aux premières loges

Une des conséquences les plus immédiates des politiques protectionnistes US sera de faire porter l’aggravation du chômage dû à la récession sur les travailleurs des filiales implantées à l’étranger. Et cela d’autant plus que les avantages en termes de « coût du travail » qu’apportait au début de la mondialisation l’exploitation de la main d’œuvre des pays pauvres se sont beaucoup réduits du fait des reculs à répétition imposés aux classes ouvrières des vieilles puissances industrielles. La direction de Ford l’a bien précisé dans sa réponse à Trump : le choix du Michigan est principalement lié à l’existence aux USA d’« un environnement plus positif pour l'industrie manufacturière et l'investissement », évolution « positive » à mettre au crédit entre autres, d’Obama, précise-t-elle… Les conséquences peuvent en être très lourdes au Mexique, véritable banlieue industrielle des États-Unis, où des centaines de milliers de travailleurs sont concernés. Mais aussi ailleurs, comme par exemple à l’usine Ford de Blanquefort, près de Bordeaux, où de nouvelles menaces sur l’existence de l’entreprise coïncident avec les vociférations protectionnistes de Trump.

A ces conséquences directes s’ajoutent des conséquences indirectes. Pour la Chine par exemple, dont l’État, par sa politique, a su profiter de la phase de mondialisation pour développer ses propres entreprises, y compris multinationales, et devenir une puissance industrielle capable de concurrencer les États-Unis. La menace qui pèse sur l’économie chinoise, principalement tournée vers l’exportation, et par voie de conséquence sur les travailleurs, vient de l’étouffement créé par la récession mondiale, à laquelle s’ajoutent les obstacles douaniers que certains pays, dont les États-Unis, dressent déjà à l’afflux des marchandises chinoises. C’est contre ces obstacles que s’est élevé le président chinois Xi Jimping lors de son déplacement au sommet de Davos qui vient de s’ouvrir et où il a prêché, devant un parterre de grands patrons internationaux, les vertus du libre échange et du libéralisme…

Pour tenter de faire face aux effets combinés du ralentissement économique et des barrières douanières, le gouvernement chinois mène une politique de dumping sur les prix de ses marchandises. Mais ce dumping a un coût, que paient en fin de compte les travailleurs chinois, sans pour autant pouvoir empêcher la purge de « surcapacités de production » héritées d’année d’emballement des investissements financiers qui menace de jeter des pans entiers de la jeune classe ouvrière chinoise au chômage.

L’Europe des banquiers, lâchée par Trump, est menacée d’explosion

La violence des termes utilisés par Trump à l’égard de l’Union européenne dans sa critique de la politique migratoire de Merkel, dans son soutien déterminé au Brexit et dans sa menace de mettre fin à l’OTAN, constitue une rupture dans les relations qui régnaient jusqu’à maintenant entre l’administration américaine et les pays européens. Hollande s’en est offusqué, disant à l’ambassadrice des Etats-Unis qu’il décorait de la Légion d’honneur : « Je vous l'affirme ici : l'Europe sera toujours prête à poursuivre la coopération transatlantique, mais elle se déterminera en fonction de ses intérêts et de ses valeurs. Elle n'a pas besoin de conseils extérieurs pour lui dire ce qu'elle à a faire ».

Le discours est martial… mais manque pour le moins de sens des réalités. L’Europe au nom de laquelle prétend parler Hollande n’a jamais été aussi près de l’éclatement. Du fait en particulier de la poussée des courants souverainistes qui dévoient la révolte sociale née de décennies de mensonges, de promesses non tenues, d’offensives antisociales et antidémocratiques menées au nom du soutien à la construction européenne. La sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne suite au referendum sur le Brexit initié par Cameron est significative de cette évolution.

L’Union européenne des banques et des multinationales s’est avérée incapable de construire l’État centralisé qui lui serait aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour soutenir sa monnaie, mener une politique économique cohérente du point de vue des intérêts de ses propres multinationales et, surtout, « tenir la place » qu’elle prétend être la sienne dans la guerre économique qui se met en place à l’échelle mondiale. Les rivalités nationales les en rendaient incapables.

Les relations privilégiées qu’elle a eu jusqu’à maintenant avec les États-Unis n’étaient symétriques que dans les discours.

L’Europe s’y trouvait en réalité dans une position de subordination, ne pouvant bénéficier de son statut de partenaire associé des USA qu’en échange de son soutien au maintien de l’hégémonie américaine. L’OTAN tient une place particulière dans cette « coopération transatlantique » dont se revendique Hollande. Avec l’OTAN, financé en grande partie par les Etats-Unis, ces derniers disposent en Europe de toutes les bases militaires dont ils jugent avoir besoin pour imposer la « pax america » dans cette partie du monde. En échange, les troupes de l’OTAN constituent la protection militaire de l’Europe qui s’est avérée incapable de construire une défense propre. En prétendant mettre fin un demi siècle de « partenariat privilégié », Trump fait le choix d'accélérer la crise d'une Union européenne déjà profondément fissurée au risque de lui porter un coup fatal.

Cette fin de l’Europe des banquiers ne peut en aucun cas être considérée comme un progrès pour les travailleurs et les peuples. Elle ne peut, au contraire, que s’accompagner de reculs désastreux, aussi bien sur le terrain social que démocratique. Que pourront bien peser, dans le cadre des affrontements internationaux qui se jouent aujourd’hui entre des puissances aussi importantes que les États-Unis, la Chine ou la Russie, des économies de la taille de la France, ou même de l’Allemagne ? C’est aussi pendre la mesure des conséquences sociales et politiques qui découleront nécessairement des conditions de fonctionnement d’un capitalisme réduit à la part congrue dans le cadre restreint de ces nations, où il ne pourra assurer ses profits qu’au prix d’une surexploitation acharnée, menée sous le joug de l’« État fort » que les souverainistes d’extrême droite admirateurs de Trump à la Le Pen se promettent de mettre en place.

Il n’y a d’issue, pour les travailleurs et les peuples européens, ni dans le cadre de l’Europe actuelle, ni dans un repli nationaliste qui ne peut déboucher que sur des reculs sociaux et démocratiques bien pires que ceux que nous avons connus jusqu’à aujourd’hui. La seule issue est dans la transformation révolutionnaire de cette Europe des banquiers en faillite aussi bien économique que politique, en Europe des travailleurs et des peuples.

Pour une mondialisation de la solidarité et de la coopération

Ce que certains appellent la démondialisation est en fait la mise en place d'une réorientation de la politique des Etats des vieilles puissances impérialistes pour faire face à la concurrence mondiale pour maintenir leur domination et leurs profits.

Le développement de gigantesques multinationales assorti d’une exubérance sans précédent du capital financier débouche aujourd’hui sur une nouvelle période de concentration, de bouleversements qui remettent en cause les équilibres hérités de la fin de la deuxième guerre mondiale et déstabilisent les États. Cette concentration se constitue au sein de nouveaux pôles géopolitiques, en particulier les États-Unis et la Chine. La libre concurrence laisse de nouveau place à une guerre économique ouverte, à coup de barrières douanières, tandis que la course aux armements est repartie de plus belle. A la menace des désastres sociaux que font peser sur les travailleurs et les peuples les bouleversements en cours, s’ajoute celle d’un nouvel embrasement généralisé du monde.

D'une certaine façon, cette deuxième mondialisation capitaliste reproduit les mêmes mécanismes que la première, la mondialisation impérialiste de la fin du 19ème siècle début du 20ème. La libre concurrence avait alors laissé la place à la formation des monopoles et de l'impérialisme. Mais la concurrence n’avait pas pour autant disparu. Au contraire, cette évolution du capitalisme l’avait exacerbée, jusqu'à déboucher sur une lutte pour le partage du monde et des richesses, la première guerre mondiale.

La deuxième mondialisation aboutit à son tour, à travers la concurrence mondialisée et sous les effets de la crise de 2007-2008, à une nouvelle exacerbation des tensions internationales, à une guerre commerciale dont il est difficile de prévoir l'évolution mais dont rien ne nous permet d'écarter le pire, une récession globalisée et la multiplication des conflits y compris militaires, le risque de la transformation des guerres régionales en guerre globalisée.

Cette évolution n'a rien d’inexorable. Cette nouvelle expansion du capitalisme a également fait franchir un pas aux conditions objectives d’une transformation révolutionnaire de la société. En disséminant ses filiales partout sur la planète, en quête de main d’œuvre bon marché à exploiter, le capitalisme des multinationales a éliminé quasiment toutes les formes de domination directement coloniale ou féodales. Dans les pays « émergents », particulièrement en Chine, des millions de jeunes paysans ont quitté les campagnes arriérées pour constituer le prolétariat des villes. En même temps, pour les besoins d’organisation d’une production centralisée, les multinationales ont relié l’ensemble de leurs filiales par les réseaux de communication informatique. Reposant sur ces moyens d’échange, la coopération internationale des travailleurs est un fait établi, renforcée par une culture technique et scientifique commune. A cela s’ajoute la révolte qui gagne de larges couches de la jeunesse, des travailleurs, des classes populaires, contre le monde des « 1% », des parasites financiers qui accaparent toutes les richesses et mènent le monde à la catastrophe.

Face à la fuite en avant vers la catastrophe dans laquelle nous entraîne un capitalisme sénile dont Trump est aujourd'hui l’expression la plus achevée, la nécessité que les « 99 % » prennent les affaires en main pour contrôler démocratiquement l'économie et la société devient la seule perspective sérieuse. Les travailleurs et les peuples en ont la force, les capacités, la culture. La nouvelle phase de l'offensive des classes dominantes accélère les prises de conscience.

Face à tous les charlatans de la « démondialisation », nous opposons la perspective de la mondialisation de la solidarité et de la coopération des travailleurs et des peuples.

Daniel Minvielle

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