Alors que la pandémie du Covid19 comme la crise sociale et économique n’ont fait qu’aggraver la situation des petits agriculteurs et des marins-pêcheurs, la nouvelle réforme de la PAC (la politique agricole commune) devrait être votée au Parlement européen cette semaine. Cette nouvelle version est dénoncée à juste titre par nombre d’associations ou de syndicats paysans car, selon une représentante de la Plateforme « Pour une Autre PAC », « elle soutient toujours massivement l’industrialisation de l’agriculture ». Cette « industrialisation » dénoncée par les défenseurs d’une agriculture paysanne c’est d’abord et avant tout la conséquence de l’intégration de l’agriculture et de la pêche à la folie de la mondialisation financière capitaliste qui soumet toutes les activités humaines, dont celle fondamentale de « nourrir l’Humanité », à la seule logique de la course au profit.

La crise récurrente de l’agriculture et de la pêche révèle toute l’incapacité du capitalisme mondialisé non seulement à garantir une vie décente à tous les travailleurs de la terre et de la mer, mais aussi à fournir une alimentation de qualité à l’ensemble de la population mondiale et même tout simplement à éradiquer la faim alors que le nombre de personnes menacées de famine a doublé depuis le début de la pandémie.

La pêche et l’agriculture à l’heure de la mondialisation capitaliste

En France, comme en Europe, aux Etats-Unis, et finalement partout à travers le monde, la majorité des paysans et des pêcheurs ne sont plus qu’un maillon d’une de ces chaînes de valorisation du capital qui structurent l’économie mondiale… La production agricole dans son ensemble est intégrée à la mondialisation capitaliste et doit se plier à la seule loi du profit maximum imposée par une minorité de multinationales au prix de ravages sociaux comme environnementaux. En amont, il y les multinationales de la chimie comme Bayer, Monsanto qui fournissent les engrais, des produits de traitement des plantes, des aliments pour le bétail, des semences OGM, d’autres multinationales comme John Deere fournissant les machines agricoles et les banques comme le Crédit Agricole accordant des prêts qui asservissent les producteurs. En aval, il y a ces coopératives agricoles devenues pour certaines de véritables entreprises capitalistes rivalisant de voracité avec les multinationales de l’industrie agroalimentaire comme Lactalis, ou les centrales d'achat de la grande distribution.

Symbole d‘une pêche industrielle qui pousse les petits marins pêcheurs à la faillite tout en détruisant les fonds marins, fin septembre a été inauguré à Concarneau, le Scrombus, un chalutier-usine géant propriété de France-Pelagique, une filiale du groupe néerlandais Cornelis Vrolijk qui emploie 2 000 salariés dans le monde. Ce bateau devrait ramener jusqu’à 200 tonnes par jour pour alimenter le marché du poisson à bas coût en Afrique, en Asie en ruinant au passage les petits pêcheurs locaux. De même la concession faite par le gouvernement aux producteurs de betteraves de lever l’interdiction sur les néonicotinoïdes malgré le consensus scientifique sur la dangerosité de cet insecticide, relève moins de la défense des agriculteurs que de celle des multinationales agroalimentaires fortes utilisatrices de sucre. Et les manifestants avaient bien raison de dénoncer dimanche dernier à Epannes les « bassines » qui, à l’aide de financement public, ne visent qu’à mettre de l’eau à disposition des grandes exploitations agricoles privées qui détruisent les sols avec des méthodes de culture intensive, au détriment des petits paysans.

Face à ces multinationales qui se livrent à une guerre permanente sur les marchés mondiaux, agriculteurs comme marins pêcheurs, isolés, connaissent le sort de n'importe quel petit ou moyen patron sous-traitant d'une grosse firme. Leur dépendance est totale et ils sont même d’ailleurs souvent liés par contrat à ces multinationales en amont comme en aval… et bien souvent ce sont les mêmes qui achètent leur production et leur vendent les aliments ou les semences. Les agriculteurs ne sont, le plus souvent, plus maîtres de leur propre activité. 

Dans le cadre des bouleversements économiques et sociaux entraînés par la mondialisation capitaliste, le monde paysan a connu des transformations qui ont entraîné des différenciations profondes en son sein entre des agriculteurs, plus ou moins gros, sous-traitants des multinationales de l’agroalimentaire, des ouvriers agricoles de plus en plus précarisés, exploités par un ou plusieurs patrons, et une multitude de petits paysans ou marins pêcheurs essayant de résister et survivre, face à une logique économique et sociale qui les broie. Le monde agricole a été tiré de son isolement pour être plongé dans l’arène d’une lutte des classes qui a entraîné son éclatement.

Un bouleversement du monde paysan… qui a entraîné une nouvelle lutte des classes dans les campagnes

En France, le monde paysan d’aujourd’hui n’a plus grand rapport avec celui de l’après-guerre.

A l’époque près du quart de la population active était paysanne. L’agriculture restait peu mécanisée, très en retard par rapport à celle des États-Unis, avec des exploitations agricoles morcelées, pratiquant la polyculture et l’élevage sur de petites surfaces, pour fournir un marché local réduit. En 1945 le pays ne comptait que 57 000 tracteurs, les labours et les transports agricoles se faisant encore majoritairement avec des chevaux. En 1950, les rendements moyens de blé par hectare, étaient en France de 15 à 16 quintaux à l'hectare, les mêmes qu’en 1850 !

La modernisation de l'agriculture s'est faite d'une manière très volontariste et encadrée par l’État d’abord pour atteindre l’autosuffisance alimentaire en augmentant les rendements à travers une véritable révolution technologique. En plus de l’utilisation de tracteurs, de moissonneuses-batteuses et d’autres engins, les parcelles ont été remembrées pour augmenter la taille des exploitations où la polyculture a été remplacée par la culture intensive de nouvelles variétés sélectionnées pour leur grande productivité avec un usage systématique d’engrais et de pesticides.

Les exploitations se sont agrandies, modernisées et spécialisées, tandis que les agriculteurs se professionnalisaient. Ces bouleversements ont entraîné une augmentation spectaculaire des rendements agricoles, bien au-delà de l’autosuffisance et dès lors la production agricole, le « pétrole vert », est devenu un enjeu économique pour l’exportation…

Cette modernisation a entraîné une réduction brutale en quelques décennies du nombre d’exploitations. Si la France de 1955 comptait 2,3 millions d’exploitations agricoles employant 6,2 millions de personnes, ces chiffres n’ont cessé de diminuer. 1,6 million en 1970, 750 000 en l’an 2000 pour atteindre en 2015, 460 000 exploitations employant 885 400 personnes de façon permanente dont 500 000 non-salariées et auxquelles il faut rajouter les emplois saisonniers qui représenteraient 700 000 emplois salariés équivalents temps plein… pour ce qui est officiellement déclaré au régime agricole. Si la population active agricole directe représentait 31 % des actifs en 1945, aujourd’hui, c’est moins de 3 %.

Si le nombre d’exploitations a été divisé par 4 ces cinquante dernières années, dans le même temps, leur taille moyenne a quasiment quadruplé, passant de 15 à 55 hectares. En 2014, 60 % des exploitations avaient une surface de plus de 100 hectares. La moitié de la surface agricole utile est aujourd’hui exploitée... par 10 % des plus grandes exploitations, soit à peine 50 000. Ces exploitations géantes, gérées comme des entreprises capitalistes, n’ont plus grand-chose à voir avec des exploitations familiales.

Le monde paysan d’autrefois a disparu, les agriculteurs d’aujourd’hui sont devenus des entrepreneurs, petits ou grands, confrontés à une concurrence féroce sur un marché mondialisé. La grande majorité d’entre eux s’est lourdement endettée pour suivre les injonctions productivistes, agrandir les exploitations, moderniser les installations. Et nombre d’entre eux se retrouvent pris en étau entre des coûts de production qu’ils ne maîtrisent plus et des prix de ventes imposés toujours au plus bas, une spirale sans fin d’endettement, de misère noire jusqu’à parfois la faillite. Une étude statistique de 2016 indiquait qu’un agriculteur sur trois gagnait moins de 350 euros par mois, avec un taux de suicide dépassant de 20 % la moyenne nationale. Crises après crises le mouvement de concentration se poursuit parmi les agriculteurs. 

La politique agricole de l’État français devait permettre d’accéder à la sécurité alimentaire tout en modernisant les exploitations dans l’intérêt des agriculteurs mais elle a surtout consisté à favoriser les plus gros exploitants qui aujourd’hui produisent pour les multinationales de l’agroalimentaire. Cette politique a aussi permis l’émergence et l’enrichissement spectaculaire d’industriels liés au secteur agricole. Ainsi l’entreprise Lactalis de la famille Besnier, petite fromagerie dans les années 30, est devenue la 2ème plus grande multinationale de transformation de produits laitiers, après Nestlé et devant Danone. Une multinationale qui en 2018 employait 85 000 salariés répartis dans 266 sites industriels à travers le monde pour un chiffre d'affaires de 20 milliards d'euros obtenus sur le dos de ses salariés comme des petits producteurs de lait à qui elle vient par exemple d’imposer, en juin dernier une nouvelle baisse du prix, en pleine crise. C’est grâce à cela que les trois héritiers Besnier ont pu entrer dans le cercle des milliardaires, huitième fortune française pour Emmanuel Besnier avec 10,5 milliards en 2017, suivi de près par son frère et sa sœur avec 4 milliards d’euros chacun.

La PAC, une politique des États, au service des gros exploitants et des multinationales contre les petits paysans

À partir des années 1960, cette politique de modernisation agricole a été menée dans le cadre de la PAC, la politique agricole commune aux États de l’Union européenne. La PAC visait à accroître la production agricole pour assurer l’autosuffisance alimentaire en stabilisant le marché européen. Elle reposait sur un protectionnisme européen au nom d’une « préférence communautaire » et sur une régulation de ce marché ainsi créé entre pays membres.

Cette régulation s’est d’abord appuyée sur une politique de subventions pour soutenir les prix des producteurs. Puis une première réforme de la PAC s’est traduite par de coûteuses mesures de stockage et de retrait des excédents notamment en ce qui concerne la production de lait devenue excédentaire. Cette politique s’accompagnant d’incitations à la réduction ou à l’arrêt des exploitations laitières les moins « performantes ».

A partir des années 80, une nouvelle réforme s’est orientée vers une politique des quotas pour contrer l’effondrement des prix agricoles du lait, du sucre et des céréales, avec dans ce cas une mise en jachère obligatoire d’une partie des surfaces cultivées et des aides directes aux producteurs pour favoriser l’exportation.

Finalement, en 2015 l’Union européenne a mis fin à la politique des quotas ce qui a conduit, entre autres à une augmentation de la production laitière, suivie d’une chute des prix entraînant la faillite de nombreux producteurs.

La répartition du coût de la PAC qui a englouti jusqu’à la moitié du budget de l’Union européenne a toujours été le théâtre d’interminables marchandages entre États, les ministres de l’Agriculture se faisant les VRP de leurs agriculteurs nationaux, du moins des plus gros d’entre eux.  L’autosuffisance alimentaire a rapidement fait place à la course à la productivité pour conquérir les marchés mondiaux en concurrence avec les États-Unis et bientôt les pays émergents... mais aussi entre les États européens eux-mêmes. En France comme dans les autres pays, les gouvernements ont toujours défendu en priorité les intérêts de leurs groupes industriels de l’agroalimentaire liés aux plus gros producteurs et toujours contre les petits paysans avec comme conséquence la disparition de 20 millions d’emplois agricoles en Europe entre 1950 et 2000.

Spéculation sur les prix, appropriation des terres, les ravages du capitalisme financier prédateur

Sur le marché mondial, les agriculteurs n’ont pas plus de prise sur les prix de ce qu’ils doivent acheter en amont que sur ceux de la vente de leur production en aval. Ainsi le cours des céréales, même celles achetées en France, est quasiment fixé à la Bourse du commerce de Chicago... et ces cours résultent moins du niveau annuel des récoltes que de la spéculation sur les marchés à terme.

Comme le reste de l’économie, l’agriculture capitaliste est aujourd’hui soumise au parasitisme de la finance. Car cette agriculture industrielle dégage désormais suffisamment de revenus pour intéresser des investisseurs qui n’ont pas grand-chose à voir avec le monde paysan.

Avant la crise financière de 2008, il n’y avait qu’une poignée de fonds d’investissement qui se tournaient vers le secteur agricole. Mais depuis leur nombre n’a cessé de s’accroître. Selon l’estimation faite ce mois-ci par l’organisation GRAIN, le nombre de fonds axés sur l’agriculture est passé de 7 en 2004 à plus de 300 aujourd’hui. C’est avec la même logique prédatrice que dans l’industrie que ces 300 fonds de capital-investissement prennent le contrôle de terres agricoles, de terminaux céréaliers, d’élevages industriels, d’usines de transformation de la viande, d’où la multiplication des projets d’usines à lait, à œufs, à viande, produisant à bas prix en fonction des exigences des industriels et pour inonder le marché mondial jusque dans les pays pauvres. Quelques multinationales, géants de l’industrie et de la finance, soumettent ainsi toute l’économie réelle jusqu’aux forêts, aux bassins hydrographiques et aux terres agricoles à la seule logique du profit à très court terme, sans aucune considération pour l’utilité sociale de ces activités humaines ou de ces ressources naturelles.

C’est d’ailleurs cette logique financière qui, en entraînant les déforestations comme la multiplication des élevages industriels intensifs, accentue comme jamais les déséquilibres écologiques et est une des causes du déclenchement de la pandémie du Covid-19.

L’agriculture industrielle orientée vers l’exportation n’est pas tant un « modèle d’agriculture » que le produit de cette financiarisation de l’économie capitaliste dans une fuite en avant pour alimenter une machine à profit de plus en plus parasitaire.

Le monde paysan n’est pas homogène, les différenciations en son sein se sont même accélérées avec la mondialisation. Les plus gros agriculteurs sont devenus des chefs d’entreprises et le plus souvent raisonnent en tant que tels. Ainsi la FNSEA, le principal syndicat d’agriculteurs est plus un syndicat patronal qu’un syndicat de travailleurs. Décédé en 2017, Xavier Beulin, grand défenseur de l’industrialisation de l’agriculture, était le président de la FNSEA mais surtout un dirigeant du groupe Avril, leader de la filière française de production de biocarburants à partir des oléagineux, au chiffre d’affaire de plus de 7 milliards d’euros en 2013.

Loin de remette en cause la logique d’un système capitaliste qui a permis leur essor, ces gros producteurs et leur syndicat, en appellent à l’État moins pour défendre l’« agriculture française » comme ils le prétendent que pour obtenir des subventions ou des mesures protectionnistes pour faire face à la concurrence des marchés mondiaux. Le discours sous-jacent de la FNSEA est qu’il faut s’adapter à la mondialisation capitaliste dans une fuite en avant productiviste. Pour rester compétitif, il faudrait baisser les normes sociales contre les ouvriers agricoles, baisser les prix contre les petits producteurs, et rabaisser les normes sanitaires contre l’environnement ou la santé. C’est avec de tels arguments, sur l’emploi, sur la nécessité de rester compétitif que les producteurs de betteraves qui travaillent pour l’industrie agroalimentaire du sucre ont obtenu du gouvernement la levée de l’interdiction des néonicotinoïdes pourtant reconnus dangereux pour la santé et l’environnement !

De la lutte des petits paysans à… l’illusion d’un retour à une petite production échappant à la mondialisation

Face aux ravages sociaux et environnementaux provoqués par cette agriculture et cette pêche industrielle, de multiples résistances et luttes de petits paysans et de marins pêcheurs se développent à travers le monde. Car si le nombre de paysans s’est effondré dans les pays développés, il reste important dans les pays du Sud où se concentre la majorité des petits producteurs. Ainsi l’emploi agricole représente 16,5 % de la population au Brésil et 21,5 % au Mexique et jusqu’à 60% en Inde ou en Afrique. En 2007 la FAO (Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture) estimait qu’à l’échelle mondiale, c’est 1,3 milliard de personnes qui sont employées dans l’agriculture, dont 97 % dans les pays en développement.

Partout à travers le monde ces travailleurs de la terre et de la mer ont subi les ravages entraînés par la mondialisation capitaliste. L’agriculture même des pays en développement a été intégrée au marché mondial, soumise à la loi du profit. La plupart des productions locales vivrières ont été abandonnées pour des productions industrielles prise en main par de grands propriétaires et uniquement destinées à l’exportation. Et les petits producteurs subissent aussi la concurrence des produits de l’industrie agroalimentaire des pays riches y compris pour les produits alimentaires de base sur les marchés locaux. Ces petits paysans et marins pêcheurs ont vu leur situation se dégrader, ils ont été précarisés, obligés pour survivre de cumuler et combiner plusieurs emplois : celui de travailleur avec ou sans terre, de petit paysan, de petit pêcheur artisanal, d’ouvrier agricole ou d’usine, de petit commerçant, etc.

C’est de cette révolte contre les ravages sociaux et environnementaux de la mondialisation que sont nés de puissants mouvements paysans et que se sont développés des organisations internationales comme Via Campesina.

Cette situation de crise permanente, insupportable, alimente l’idée qu’un retour à une production locale pour un marché local permettrait de rompre avec la folie d’une agriculture productiviste, en étant à la fois plus respectueuse de l’environnement et la solution pour garantir un revenu agricole aux paysans. C’est finalement l’espoir que la petite production paysanne pourrait échapper à la logique capitaliste et représenterait ainsi une alternative au « modèle productiviste » dominant. Ces conceptions trouvent aussi un écho dans les pays développés en relation avec la prise de conscience des enjeux de la crise écologique.

Ainsi en France, la Confédération paysanne ou la Coordination rurale défendent l’idée d’une « exception agricole » permettant d’échapper à la logique de la mondialisation et à sa mise en concurrence mortifère. Ils défendent un « protectionnisme intelligent » préservant les prix agricoles du marché, en maîtrisant les volumes pour sécuriser le revenu des producteurs à l’échelle européenne. Il suffirait selon eux de brider ainsi les excès du libéralisme en imposant un cadre de protections sociales et environnementales permettant un renouveau d’une agriculture paysanne présentée comme un modèle à préserver de la concurrence des importations.

Cette défense de l’agriculture paysanne repose sur une réelle renaissance d’un tissu de petites exploitations aux méthodes alternatives à l’agriculture intensive. Une agriculture qui privilégie la vente directe, les circuits courts et les réseaux de commercialisation indépendants de la grande distribution comme les marchés paysans ou les Amap. Mais il s’agit en réalité d’un marché « de niche » destiné à des consommateurs qui ont la capacité de payer plus cher des produits de qualité. Ainsi les 2000 Amap (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) à travers lesquelles des petits producteurs vendent directement leur production saisonnière ne s’adressent guère qu’à leurs 250 000 adhérents… De fait ces circuits courts ne peuvent satisfaire qu’un nombre réduit de consommateurs et restent inaccessibles à la majorité de la population alors que 70 % de la production alimentaire transitent toujours par la grande distribution.

Bien sûr on ne peut qu’être solidaire de cette résistance des petits producteurs et notamment de leur volonté de rester maîtres de leur activité, de pouvoir décider eux-mêmes de comment cultiver, pêcher, élever sans subir la dictature de la course à la productivité, mais cette défense de l’agriculture paysanne reste le plus souvent prisonnière de l’illusion en la possibilité de réguler le capitalisme par l’intervention des États… alors que justement les États n’ont fait qu’accompagner l’essor d’une agriculture industrielle au service des multinationales.

Rompre avec le productivisme agricole, en finir avec la domination des multinationales

Aucune mesure protectionniste ne permettra, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, de s’opposer aux grands groupes de l’agroalimentaire et de la distribution. Une agriculture moderne capable de nourrir l’ensemble de l’Humanité dans le respect de l’environnement ne pourra se développer qu’en rupture avec la logique capitaliste.

En amont ou en aval de leurs productions, les agriculteurs sont victimes des mêmes exploiteurs que les salariés qui travaillent dans ces multinationales, ils sont confrontés à la même logique sociale, la même logique de classe, celle de cette minorité, de ces 1 % qui dominent, parasitent et organisent toute l’activité économique dans la seule logique de l’accumulation du Capital.

Ce n’est pas du côté de l’État que les travailleurs de la terre comme de la mer peuvent espérer trouver des appuis et des alliés mais bien plutôt du côté des salariés qui travaillent dans ces multinationales comme de l’ensemble des salariés qui consomment leurs produits. C’est bien l’ensemble des salariés qui ont des intérêts communs pour en finir avec le parasitisme de l’agrobusiness et pouvoir réellement accéder à une alimentation de qualité.

La question n’est pas tant d’espérer échapper ou d’exister en marge des multinationales de la grande distribution et de l’agroalimentaire, que d’en prendre le contrôle et de les mettre au service d’une agriculture dont l’objectif soit réellement de nourrir quotidiennement l’ensemble de la population.

Les intérêts des paysans et des pêcheurs rejoignent ceux des salariés, de l’immense majorité de la population dans la nécessité d’exproprier ces multinationales, d’en prendre le contrôle pour en réorganiser toute l’activité dans l’intérêt général pour les mettre au service de la satisfaction des besoins de tous et non des profits d’une minorité. Ce n’est qu’ainsi que les puissants outils de recensement, de logistique, de gestion et de production que les multinationales utilisent aujourd’hui dans leur course aux profits pourront être mis au service du développement d’une agriculture moderne et rationnelle, basée sur les connaissances et les progrès accumulés, capable de respecter les travailleurs tout en ayant le souci des animaux d’élevage et de la santé des consommateurs.

Ce n’est que libérés du parasitisme de l'agrobusiness que les travailleurs de la terre et de la mer pourront décider en lien avec les salariés de tous les secteurs industriels concernés, de la meilleure façon d'organiser l'agriculture pour répondre aux besoins alimentaires de l’ensemble de l’humanité, en intégrant la nécessaire préservation de notre environnement.

Bruno Bajou

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