C’est dans un contexte d’abstention record et de profond désaveu des partis institutionnels que s’est tenu le deuxième tour des municipales. Si nous ne sommes pas en mesure à l’heure où nous écrivons d’analyser leurs résultats précis, il est clair que pour le monde du travail, la façon dont sont en train de se régler les luttes de pouvoir dans l’univers des partis institutionnels, à travers cette mascarade électorale, ne revêt pas une grande importance. Pas plus que de savoir comment se joue le rapport de force entre l’actuel Premier ministre ou déjà ex-Premier ministre et son mentor.

La campagne, les divers accords signés par les uns et les autres au gré des ambitions et rapports de force locaux suffisent en eux-mêmes à disqualifier ce monde de politiciens.

La déroute, la débandade de LREM qui a cumulé psychodrames et crocs en jambes, à l’image des épisodes à rebondissements Villani, Griveaux et Buzyn à Paris, est un fait acquis.

La déroute est toute aussi patente à gauche où le PS et ses alliés - dans leurs diverses configurations - vont perdre de nouveaux bastions. Une gauche où les « écologistes », mangeant la laine sur le dos d’un PS moribond, font leur nid au centre. Ils sont à la gauche ce que LREM est à la droite, des promoteurs du « ni gauche ni droite » surfant sur la faillite des vieux partis pour tenter d’asseoir leur position dans les institutions au service des classes dominantes.

Ces élections ont été un pas de plus du mouvement général à droite de l’ensemble du camp institutionnel, leurs résultats ne manqueront pas de le confirmer. Entre luttes de pouvoir, rivalités exacerbées et combinaisons et alliances, une longue chaîne de solidarités renforce le camp de la réaction. De Martine Aubry à Lille, recevant le soutien de LR face à ses anciens alliés Verts, à Collomb à Lyon s’alliant à Wauquiez face à l’accord EELV-PS-LFI, en passant par Alliot, RN « sans étiquette », bénéficiant à Perpignan du soutien de trois ex-colistiers du candidat LREM… les glissements vont bon train.

Quant à LFI, sortie affaiblie des européennes, elle a théorisé une politique d’unions variant au gré des opportunités locales : là avec EELV contre le PS, ici avec le PS ou… avec Philippe Poutou et le NPA contre EELV, le PS et le PCF à Bordeaux. Le flacon compte assez peu : ce qui importe, c’est de gagner ici ou là quelques positions sans avoir à s’exposer plus que nécessaire en laissant tout ouvert, en attendant 2022…

Le monde du travail n’avait rien à attendre de ces élections. Le défi à relever, pour nous et notre camp, est de nous donner les moyens de répondre aux attaques du patronat et du pouvoir, à leur incurie et leur faillite sociales.

Le gouvernement contraint de faire des gestes pour la Santé… tout en accélérant l’offensive

Véran s’est finalement déplacé cette semaine au Ségur de la Santé que le gouvernement avait, jusque là, laissé piloter par une Nicole Notat qui n’avait rien à annoncer. Le succès des manifestations du 16 juin, la colère accumulée, le soutien de l’opinion publique ont contraint le ministre à promettre six milliards d’euros pour la revalorisation des salaires des personnels non médicaux des hôpitaux et Ehpad publics et privés.

« Six milliards, c'est beaucoup, c'est presque l'équivalent du budget de la Justice » a expliqué Véran. Un chiffre dérisoire au vu du nombre de salariés concernés, qui exigent une augmentation de 300 euros net pour tout.e.s, et comparé aux centaines de milliards d’argent magique débloqués pour les patrons et les banques. D’autant que l’enveloppe est également destinée à couvrir la hausse des salaires dans les secteurs associatif et… privé lucratif. C’est l’Etat qui va financer l’augmentation des salaires du privé à la place des patrons (comme il l’a fait avec la prime Covid) pour qu’actionnaires et multinationales n’aient pas à prendre sur les dividendes et les profits qu’ils font sur le dos de la Sécu, des malades et des personnes âgées !

Si le gouvernement a été contraint à un recul, il compte l’intégrer dans l’offensive générale et son plan d’accélération de la casse du service public et des droits des salariés.

Sans même indiquer la répartition qu’il compte faire de ces quelques milliards, il a annoncé qu’y serait comprise une révision de la carrière des soignants, laissant de côté ouvriers et administratifs qui sont nombreux parmi les plus bas salaires de l’hôpital. Et cerise sur le gâteau, au nom de la « simplification » du système de primes, il entend supprimer celles existantes et instaurer une prime annuelle au « mérite » pour « reconnaître l’engagement personnel de chacun ».

Quant à l’exigence d’un plan de réouverture de lits et d’embauches massives, Véran a été clair : « J'ai gelé toutes les réorganisations du parc hospitalier pendant la crise, et jusqu'à la fin du Ségur, a minima, le temps de discuter justement avec ceux qui font l'hôpital au quotidien ». Des réorganisations « à discuter » que les ARS ont déjà commencé à relancer, telle la suppression de 84 lits du CHU de Reims, entre autres.

Les directions syndicales continuent pourtant (à part Sud) à prendre part à la mascarade du Ségur. Et si l’intersyndicale a appelé à faire de la journée du 30 juin une nouvelle journée de mobilisation, elle l’a fait bien tard, tout en continuant à marteler qu’il faut de bonnes négociations.

Le 30 juin n’en constitue pas moins une occasion, pour ceux qui pourront s’en saisir, de faire entendre la colère et de continuer à tisser des liens à la base, à débattre avec toutes celles et ceux qui, depuis le déconfinement, ont profité de chaque occasion pour porter la contestation du monde du travail, affirmer la nécessité que nous, « premiers de corvée », fassions entendre notre voix, nos exigences, et prenions les choses et nos luttes en main « pour que l’après ne soit pas pire que l’avant ».

Emploi, salaires, droit du travail et droits démocratiques : un même combat dans les hôpitaux, les usines, les quartiers

Les luttes des hospitaliers ont posé dans le débat public, pour l’ensemble du monde du travail, la question des salaires, du temps de travail, des services publics, de nos droits de travailleurs et d’usagers, la question de la démocratie. Quelle répartition des richesses et quelle place dans la société, dans son organisation, dans les décisions pour les « héros du quotidien » d’hier ? Le 16 juin, la présence de nombreux salariés d’autres secteurs dans les cortèges de la Santé allait bien au-delà de la solidarité entre travailleurs. Ce sont des exigences communes qui se lisaient sur les banderoles et pancartes, les intérêts de la collectivité, la conscience que doivent se rassembler ceux qui font tourner la société face à une minorité de parasites.

Des exigences qui rejoignent celles portées par les salariés en lutte à Renault Maubeuge, Flins, ou à partir de lundi à Choisy contre les milliers de suppressions de postes et les fermetures d’usines, mais également à BFM TV et RMC contre la suppression de 30 % des effectifs et la réduction de 50 % du nombre de pigistes et d’intermittents, ou encore à la Halle où les salariés étaient en grève samedi dernier. Ces luttes posent la question devenue plus que jamais centrale de l’interdiction des licenciements et du partage du travail entre toutes et tous sans baisse de salaire.

Renault, Sanofi, Daher, Nokia, Air France, Airbus… chaque jour de nouvelles entreprises annoncent des milliers de nouvelles suppressions de postes. Le Maire a annoncé la disparition à venir de plus de 800 000 emplois. Le nombre de chômeurs privés de toute activité a franchi la barre des 4,4 millions, plus de 6,1 millions en comptant l’ensemble des demandeurs d’emplois. Cela malgré les 13 millions de travailleurs concernés par le chômage partiel depuis mars et les nouveaux financements engagés pour maintenir le dispositif sous la forme d’« activité partielle de longue durée » avec une nouvelle baisse des revenus pour les salariés qui ne toucheront plus que 72 % de leur salaire net (au lieu de 84 % jusque là). Quant aux mesures pour « favoriser l’emploi des jeunes » que discute le gouvernement, elles se résument à de nouvelles exonérations de cotisations patronales, ce qui revient à baisser les salaires et creuser le déficit de la Sécu.

Licenciements, accords de performance collective (APC) qui prévoient des baisses de salaire au nom de l’« emploi » sans même de garantie pour l’emploi (300 APC ont déjà été signés par des syndicats, comme FO à Derichebourg), menaces sur le temps de travail, suppressions de congés, extension du télétravail, réorganisations qui visent toutes à supprimer des emplois, accroître les profits..., l’ensemble du monde du travail est confronté à une offensive accélérée.

Elle s’accompagne d’une offensive politique et idéologique réactionnaire. Les déclarations de soutien aux forces de l’« ordre », l’exaltation du patriotisme, la campagne démagogique contre les « travailleurs détachés », les déclarations provocatrices contre les militants antiracistes et les déboulonnages de statues…, le gouvernement mène campagne face à la jeunesse, aux travailleurs, aux classes populaires qui se mobilisent contre les oppressions, l’exploitation sur laquelle repose ce monde failli.

Une politique pour le monde du travail et la jeunesse en rupture avec les partis et le jeu institutionnel

Nous donner les moyens d’y faire face, d’y répondre, exige pour le monde du travail, les militants des luttes de nous regrouper, débattre, nous organiser, indépendamment du calendrier des classes dominantes, des Ségur, des séances de négociations et autre dialogue social qui se mènent sur le terrain de l’adversaire.

L’urgence est d’encourager la jeunesse, les travailleurs à faire de la politique en combattant les illusions institutionnelles, qu’elles soient parlementaires ou syndicales, en posant la nécessité que notre camp social prenne le contrôle de la société, pour armer la colère et la révolte d’une conscience de classe internationaliste. Elle seule peut donner toute sa force aux luttes du monde du travail comme aux mobilisations et à l’engagement de la jeunesse qui s’éveille au combat politique, antiraciste, anticapitaliste, qui fait le lien entre le combat contre les oppressions et l’exploitation, se veut actrice du changement de la société.

Chaque initiative, chaque possibilité de mobilisation peut être une étape de prise de confiance des travailleurs en eux-mêmes, de prise de conscience du rôle essentiel qui est le nôtre dans la société et dans le combat à mener pour un autre monde, débarrassé de l’exploitation capitaliste, de l’économie de marché.

Isabelle Ufferte

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