« L’avenir de l’humanité ne dépend pas d’une trouvaille novatrice dans le domaine des idées. Il dépend de la capacité de la classe ouvrière à retrouver conscience de sa tâche et de sa responsabilité historique et, par là même, à s’emparer de la théorie de son émancipation, le marxisme. Et de se donner des partis pour incarner cette conscience et redonner au prolétariat conscient la volonté d’œuvrer pour la révolution sociale» peut-on lire en conclusion du texte La crise de l’économie capitaliste adopté lors du congrès de Lutte ouvrière début décembre. Les différents textes sont publiés dans le dernier numéro de Lutte de classe.

Ce raccourci, quelque peu brutal, n’est pas seulement une réponse aux intellectuels qui prétendent réformer le capitalisme, il résume aussi une façon de voir le marxisme comme une théorie achevée dont il faudrait s’emparer ou qu’il s’agit de transmettre. « Transmettre au mieux les idées communistes révolutionnaires », c’est ainsi qu’en conclusion du texte sur la situation internationale, LO résume la tâche des révolutionnaires.  Transmettre le marxisme, oui, bien sûr, nous sommes d’accord à moins de considérer que certains en détiennent l’héritage, comme si face aux «  grands partis de gauche, le PS et le PCF qui, ici en France, ont dilapidé, usurpé l’héritage du mouvement ouvrier politique » il suffisait de s’autoproclamer les dépositaires de cet héritage.

Le propre d’une théorie efficace et utile, c’est d’être féconde donc d’apporter des idées nouvelles en fonction de l’évolution de la société, des luttes de classes, des connaissances humaines, des techniques, des cultures contestataires qui naissent de ces évolutions.

A l’heure où émerge une nouvelle génération, où la contestation se mondialise, la direction de LO reste dominée par le passé, les défaites et reculs mais aussi des illusions et une forme de nostalgie, sans comprendre que ces défaites et reculs sont aussi l’histoire de combats multiples  à travers laquelle l’avenir se crée sa voie, la révolution en permanence… Ou plutôt elle hésite entre rester dominée par le passé ou se projeter dans l’avenir pour anticiper les conséquences des bouleversements en cours.

Cette façon de voir est le symptôme ou les séquelles de la crise d’une direction enfermée dans les justifications de son propre passé, de ses erreurs, de son monolithisme dont Lutte de classe se félicite dans son court chapeau introduisant la publication des textes adoptés à l’unanimité, signe de la cohésion de l’organisation. Cohésion ou monolithisme sans dynamique, sans idées novatrices ? Il y a là les séquelles de longues années où cette nécessaire cohésion organisationnelle est venue justifier pouvoir personnel et exclusions collectives, un contrôle absolu sur l’organisation au nom de la confiance et d’un centralisme fort peu démocratique. Or, démocratie et élaboration politique sont indissociables.

Le moment est venu de renouer avec un passé qui avait vu LO apporter des idées neuves, bousculer le gauchisme soixantehuitard, militer pour l’unité des gauchistes puis des révolutionnaires au lieu de théoriser un repli monolithique, un sectarisme justifié par le recul au moment où les effets du développement du capitalisme financier mondialisé  provoque révoltes et soulèvements à l’échelle internationale. Appellent et exigent du neuf !

Le marxisme, dogme ou pensée vivante ?

Dans le texte sur la crise du capitalisme, LO critiquant les idées des intellectuels qui prétendent réformer le capitalisme, formule une critique juste des intellectuels dits de « La mouvance autour du PCF » qui « fait, parallèlement à ses coups de chapeau à des économistes du genre de Piketty, des efforts pour « réhabiliter » Marx. Elle le fait à sa façon, héritée d’une époque où la théorie révolutionnaire du prolétariat était transformée en dogme pour justifier le régime de la bureaucratie stalinienne en Union soviétique et servait d’ersatz d’idéologie pour ses séides du PCF en France. L’Humanité publie des témoignages, des débats, qui redécouvrent le marxisme. Du moins, le marxisme en tant qu’explication du fonctionnement de l’économie capitaliste, mais pas le marxisme révolutionnaire. » Il est vrai que la plupart des intellectuels qui parle du retour de Marx voudrait faire de Marx le meilleur critique et analyste du capitalisme pour mieux évacuer le fait que le marxiste n’existe qu’en tant que théorie révolutionnaire. Le Capital lui-même n’est pas à strictement parler une œuvre d’économie politique, il participe de la critique de l’économie politique d’un point de vue révolutionnaire et de classe. Il décrit le capitalisme, sa formation comme son fonctionnement, ses contradictions du point de vue d’une stratégie révolutionnaire qui voit dans le développement des forces productives la base matérielle du processus révolutionnaire comme de l’émergence d’un autre ordre social fondé sur la propriété collective des moyens de production et d’échange.

A juste titre, LO oppose à ces intellectuels une citation de Marx extraites des Thèses sur Feuerbach « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer », pour affirmer « Réduire le marxisme à l’interprétation du monde, c’est le vider de l’essentiel de son contenu. »  Nous sommes d’accord, après commence la véritable discussion, que signifie faire vivre le marxisme, c’est-à-dire pour reprendre la formulation de LO, la théorie de l’émancipation du prolétariat ? Comment faire vivre la compréhension révolutionnaire de Marx de la critique de l’économie politique, critique qui fonde une vision révolutionnaire, une stratégie qui n’a rien à voir avec la simple dénonciation morale aussi juste soit elle mais décrit les contradictions à l’œuvre pour tracer les perspectives et tâches du prolétariat ?

La crise du capitalisme et les conditions objectives de la révolution 

Une telle démarche suppose d’avoir une compréhension historique du capitalisme, de son évolution sans rester prisonnier d’analyses vieilles de plus d’un siècle. Il s’agit de décrire et comprendre les évolutions du capitalisme d’un point de vue révolutionnaire. Transmettre les idées communistes, c’est comprendre en quoi les évolutions du capitalisme ouvrent de nouvelles possibilités révolutionnaires, pourquoi ce qui a échoué hier peut réussir demain, quelles sont les évolutions objectives qui  fondent, aujourd’hui, nos perspectives, notre politique, notre programme.

Malheureusement, tout le raisonnement de LO reste prisonnier d’une grille de lecture qui ne permet pas de rendre compte des nouvelles possibilités ouvertes par le développement économique et social et les contradictions du capitalisme telles qu’elles se manifestent aujourd’hui.

LO est bien obligée de prendre acte de ces bouleversements  comme quand elle écrit : « La place prise par la finance dans le fonctionnement de l’économie capitaliste ne porte pas seulement la menace d’une catastrophe financière. Elle modifie aussi la gestion des entreprises capitalistes, y compris les plus puissantes, gérées en fonction du profit le plus immédiat et des dividendes les plus élevés pour les actionnaires. » Mais elle en reste là pour ensuite faire de la grande crise de 2007-2008  une simple « alerte financière »  alors que tous les économistes en font un moment charnière dans l’évolution du capitalisme mondialisé qui voit l’explosion de la dette et de la finance étouffer l’économie. « La financiarisation de l’économie et ses conséquences, jusques et y compris la gestion des entreprises capitalistes en fonction de la profitabilité à court terme, sapent les bases mêmes de l’économie capitaliste. Les opérations financières ne créent pas de profit. Elles permettent seulement de le répartir de la façon la plus favorable pour les plus puissants. » LO a bien vu le problème mais intègre cette situation dans une dégradation progressive, une crise permanente, ça va de plus en plus mal ! Il y a là pourtant un tournant majeur  dans l’évolution du capitalisme. Depuis les années 1980, le profit capitaliste augmente à un rythme supérieur à celui de l’investissement productif. Une partie croissante du profit se transforme en capital-argent qui, par le crédit et les produits dérivés financiers, est dirigée vers la spéculation. La crise de 2007-2008 a brutalement aggravé cette évolution du fait de l’intervention des Etats et des banques centrales au prix d’une explosion de la dette tant des Etats, des banques que des ménages, d’une explosion financière qui aboutissent aujourd’hui au capitalisme à taux zéro voire négatif.

Les politiques économiques ont empêché l’effondrement du système financier, mais c’est l’ensemble du capitalisme qui est devenu insolvable, au bord de la faillite qu’il ne peut sinon éviter au moins tenter de repousser qu’en accentuant constamment l’exploitation de l’homme comme de la nature. Il est entré dans une crise permanente tant économique, sociale, politique qu’écologique qui ouvre une nouvelle ère de révolutions en reprenant la formule de Kautsky dans sa brochure Le chemin du pouvoir écrite en 1909.

« La seule force capable de freiner cette tendance, c’est la force collective de la classe ouvrière. Même ses luttes les plus puissantes ne pourront cependant que freiner cette tendance. Le problème qui se pose à l’ensemble de la société humaine n’est pas de préserver les intérêts des classes exploitées dans le cadre du capitalisme, mais de renverser le capitalisme. » Oui, sauf qu’à partir de 2007-2008, cette tendance a pris une telle ampleur que tenter de la freiner pose inévitablement la question du pouvoir, de la transformation révolutionnaire de la société.

C’est là un des traits dominants de la période actuelle qui rend compte de l’évolution de la lutte de classes internationale depuis 2011, en particulier en 2019.

Le capitalisme n’est pas réformable mais il a créé les conditions  de sa transformation révolutionnaire

LO poursuit son analyse par la critique des courants qui prétendent réformer le capitalisme : « Face à l’extrême droite, dont l’objectif est d’utiliser ces sentiments pour les retourner contre ceux qui les éprouvent afin de préserver la domination du grand capital, le courant altermondialiste, dernier avatar de la gauche réformiste institutionnalisée, dénonce bien des aspects de l’évolution du capitalisme d’aujourd’hui. Aussi justes que puissent être certains aspects du constat, la perspective que trace l’altermondialisme est, derrière des formules variées, l’utopie d’un capitalisme moins inégalitaire, régulé, moralisé, avec une finance encadrée et disciplinée. »

Et de formuler une juste critique des idées défendues par Stiglitz, qui n’est peut-être pas exactement un représentant de l’altermondialisme  si tant est qu’aujourd’hui ce mot ait un réel contenu, ou Piketty, légitime critique d’intellectuels qui cependant ne se situent en rien sur le terrain du mouvement ouvrier mais cherchent des issues à l’impasse historique du capitalisme dans le cadre du capitalisme.

La critique est juste et nécessaire mais elle reste stérile si dans le même temps on n’argumente pas pour démontrer les possibilités ouvertes par le développement du capitalisme, celui des sciences et des techniques qu’il soumet à la course au profit, de l’ensemble de la société. 

LO effleure cette idée quand par exemple elle écrit  « Même les aspects les plus hideux de l’évolution du capitalisme moderne, comme la domination absolue des multinationales de la finance sur l’économie, soulignent la profonde tendance de l’économie vers la soumission des petits capitaux par le grand capital, vers la mondialisation, vers la planification, Cette évolution est celle qui rend depuis longtemps nécessaire et possible une société sans propriété privée des moyens de production, sans marché, sans concurrence et sans exploitation. » Certes « depuis longtemps », mais alors d’où peut venir un renouveau des luttes révolutionnaires s’il n’y a pas des évolutions, des changements, des ruptures qualitatives. Les choses ont évolué et il serait plus utile de montrer en quoi ces évolutions préparent une nouvelle époque de révolutions que de répéter à satiété cette phrase de Trotsky dans le Programme de transition écrit à la veille de la deuxième guerre mondiale, en 1938 : « Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. » Et de commenter : «  L’expression de Trotsky résume l’évolution du capitalisme de l’époque de la décadence impérialiste et ses conséquences actuelles dans une multitude d’aspects de la vie politique, de la culture, des relations sociales et jusqu’aux comportements individuels. »

De toute évidence, la dite décadence impérialiste n’a pas pu empêcher les peuples coloniaux et opprimés d’accéder à l’indépendance, d’intégrer le marché mondial, la Chine de devenir la deuxième puissance capitaliste mondiale et une troisième révolution industrielle de bouleverser la planète, Le troisième âge du capitalisme pour reprendre la formule d’Ernest Mandel. Transmettre le marxisme, c’est s’attacher à comprendre ces évolutions du point de vue des possibilités révolutionnaires du prolétariat.

La situation internationale, offensive réactionnaire et révoltes des peuples 

LO introduit le texte sur la situation internationale par une phrase péremptoire,  « Faute de direction révolutionnaire, le prolétariat, seule classe qui pourrait opposer au pouvoir de la bourgeoisie capitaliste son combat pour la direction de la société, est absent de la scène politique. » La formulation est pour le moins unilatérale au sens où la lutte de classes n’a jamais cessé ni le prolétariat d’exercer sa pression sociale et politique même s’il ne postule pas à diriger la société si ce n’est à travers le mouvement révolutionnaire extrêmement minoritaire. Elle exprime une vision manichéenne du monde en fermant les yeux sur les profonds bouleversements auxquels la lutte de classes participe. Cette formulation péremptoire vient en appui d’une autre idée formulée plus loin par LO selon laquelle « La perspective de renverser le pouvoir de la bourgeoisie et de changer de fond en comble la société, qui a fait agir plusieurs générations du mouvement ouvrier, a presque complètement disparu de la conscience collective de la classe ouvrière. » Il y a là une idéalisation du passé et de l’époque où le stalinisme dominait le mouvement ouvrier et combattait toute perspective révolutionnaire qui obscurcit l’horizon et aveugle.

Cette caricature idéalisée du passé est le corollaire de l’analyse figée du capitalisme que fait LO, une compréhension par trop manichéenne de l’histoire avec un capitalisme de plus en plus décadent et une social-démocratie et un stalinisme qui ont trahi. Et aujourd’hui, les révolutionnaires doivent transmettre les idées du communisme pour le jour où peut-être… Non, la dialectique de la lutte de classe est un peu plus complexe et les évolutions politiques, idéologiques ont aussi des racines sociales et économiques tant dans leur dimension régressive que dans leur dimension progressiste et révolutionnaire.

Poursuivant son raisonnement, LO écrit : « On ne peut comprendre l’évolution réactionnaire de la vie politique et de la vie sociale, la montée dudit « populisme » dans tout le pays, si on ne comprend pas que sa dynamique résulte de l’absence de la classe ouvrière sur le plan politique. Qu’elle résulte du manque d’un parti implanté dans la classe ouvrière, défendant la perspective du renversement de la société bourgeoise. » Là encore vision unilatérale qui ne prend pas en compte l’évolution globale du capitalisme et de la lutte de classes et qui en vient à sous-estimer les évolutions qui s’opèrent  à l’échelle mondiale. Fondamentalement, la montée réactionnaire exprime la peur des classes dominantes et des couches sociales qui voient ou croient leur avenir menacé face à l’évolution de la société sous la domination du capitalisme et la régression en cours. La réponse du prolétariat est la seule issue mais elle n’empêchera en rien l’offensive réactionnaire qui le vise. C’est un combat qui est engagé, avec ou sans parti, il a lieu. Il pose la question du pouvoir et donc, dès aujourd’hui, d’un parti qui reprenne à son compte, maintenant, cette perspective.

Certes LO rend hommage à la révolte des peuples, à leur énergie, leur courage mais en décrivant ses limites de façon sentencieuse. « Il ne suffit pas de renverser un dictateur pour que cesse la dictature de l’argent, plus exactement du grand capital, sur la société. Les dictateurs sont comme les hommes politiques des pays qui se prétendent démocratiques : ils sont interchangeables. » Indiscutablement mais tout aussi indiscutablement la lutte pour conquérir la démocratie est au cœur du processus révolutionnaire.

Enfermée dans ses préjugés manichéens, LO ne voit pas que se sont ouverts des processus révolutionnaires dont nous ne connaissons, depuis 2011, que les prémisses et dont nous avons besoin de saisir les limites et possibilités pour pouvoir contribuer à ce que le prolétariat ou une fraction du prolétariat puisse y jouer un rôle. Non pour les idéaliser mais pour y avoir une politique visant à l’intervention indépendante de la classe ouvrière.

 « Il est vain, écrit LO, de spéculer sur le moment où la classe ouvrière recommencera à jouer un rôle politique et encore plus sur le lieu où cela se produira. Le capitalisme en crise rend la situation plus instable et plus explosive dans tous les pays. » Certes, il est vain de spéculer mais pas d’anticiper, de comprendre les processus en route, l’influence mondialisée qu’ils ont sur le développement global de la lutte de classe, en particulier ici. Le marxisme, disent à juste titre nos camarades de LO, est la théorie de la lutte révolutionnaire. Qu’est-ce qu’une théorie qui ne serait pas capable de prévoir, d’anticiper, d’avoir une stratégie en fonction de la compréhension des processus historiques auxquels nous participons et dont nous voulons être les acteurs ?

LO écrit ensuite : « Faute de renaissance du communisme révolutionnaire, les explosions les plus violentes de la classe ouvrière et, plus généralement, des classes populaires ne peuvent déboucher sur quoi que ce soit qui fasse avancer le changement de l’ordre social.

Notre raison d’être, c’est de perpétuer ces idées sans les affadir, sans les diluer, de façon à ce qu’elles puissent redevenir l’instrument de combat dont les masses révoltées pourront s’emparer.» N’y a-t-il pas un lien entre la renaissance des idées de la théorie marxiste et l’activité du prolétariat lui-même, ses révoltes, ses explosions ?  Les idées ne tombent pas du ciel, ni d’on ne sait trop quelle élite qui les détiendrait en héritage ? Elles ne pourront devenir des forces matérielles qu’en lien avec la moindre révolte ou explosion des classes populaires.

La théorie de la révolution, le marxisme, ne pourra conquérir une plus large influence qu’à condition qu’elle serve à penser le monde nouveau, qu’elle n’ait pas peur de la nouveauté,  d’encourager les militants, la jeunesse à parler sa propre voix, que si elle est un instrument politique pour aider aux évolutions des consciences à travers les luttes telles qu’elles se déroulent et évoluent.

Evoquant la possibilité ou l’hypothèse d’une troisième guerre mondiale du fait du conflit entre les USA et la Chine, LO écrit « Il serait ridicule de tenter de prévoir par quel enchaînement de raisons les deux pays pourraient arriver à l’affrontement. Il est certain que c’est l’impérialisme qui en porte la menace. » L’impérialisme, c’est qui ? C’est quoi ? Les USA si on comprend bien, mais alors la Chine, serait-elle toujours une nation opprimée ? Ou peut-être que le stade impérialiste de développement du capitalisme a cédé la place à une nouvelle époque, celle du capitalisme financier mondialisé qui voit se confronter les vieilles puissances impérialistes et les nouvelles puissances capitalistes et qui a bouleversé les conditions objectives qui fondent notre stratégie révolutionnaire.

Transmettre la théorie du marxisme, n’est-ce pas apporter une réponse à ces questions,  travailler à comprendre les évolutions en cours et leur influence sur la lutte de classe ?

La situation intérieure, recul et révolte contre la régression sociale

« Recul des solidarités ouvrières, montée de l’individualisme, montée de l’extrême droite, repli dans le communautarisme et la religion forment la mécanique idéologique d’un engrenage infernal. Ceux qui, dans le monde ouvrier, y résistent, sont de moins en moins nombreux. Les quartiers populaires sont les premiers confrontés à la désagrégation de la société, et c’est sur cette base que prospèrent les projets réactionnaires des intégristes religieux de tous bords. » C’est ainsi que LO résume sa vision, assez pessimiste et surtout unilatérale, de la situation sociale et politique du pays tout en étant obligé de prendre en compte « la période d’instabilité politique ouverte avec l’effondrement des partis sur lesquels la bourgeoisie s’appuyait depuis des décennies […]. En 2017, l’élection de Macron a offert à la bourgeoisie une solution de rechange immédiate. Après deux ans et demi de pouvoir, on mesure sa fragilité. » Pour définir une politique offensive à partir du mouvement des gilets jaunes et de la mobilisation contre la réforme des retraites. « Dans tous les cas, écrit LO, nous devons militer dans l’optique d’une remontée ouvrière et nous mettre en ordre de marche pour saisir la moindre opportunité. » Nous ne pouvons que souscrire mais cette juste démarche suscite des questions. A travers la lutte de classe, l’offensive réactionnaire provoque une réponse ouvrière et populaire  non seulement ici, mais au niveau international.

La remontée ouvrière est là et elle rend indispensable, exige de nous des idées nouvelles,  la compréhension globale de la période  pour définir une stratégie permettant au regain d’activité d’une fraction du monde du travail en rupture avec les vieux appareils de déboucher sur une organisation nouvelle, un parti pour la transformation révolutionnaire de la société dont le processus de formation sera aussi inédit que la période que nous vivons.

Quelle stratégie de construction d’un parti des travailleurs ?

Le texte sur la situation intérieure conclut par un retour aux années 1938 pour citer Trostky : « En 1938, alors qu’une nouvelle étape de la crise frappait de plein fouet la classe ouvrière américaine, Trotsky répondit ainsi à un syndicaliste américain qui lui demandait des solutions et la perspective pour l’avenir : « La bourgeoisie qui possède les moyens de production et du pouvoir d’État a mené l’économie dans une impasse totale et sans espoir. Il faut déclarer la bourgeoisie débitrice insolvable et que l’économie passe entre des mains honnêtes et propres, c’est-à-dire aux mains des ouvriers. Comment y parvenir ? Le premier pas est clair : tous les syndicats doivent s’unir pour créer leur Labor Party. »

Contre l’impasse mortelle que constitue le capitalisme pour toute la société, les seules perspectives sont celles d’un pouvoir ouvrier. Il ne peut s’imposer qu’au cours d’une crise révolutionnaire dans laquelle la classe ouvrière aura construit son parti révolutionnaire. Il nous revient de poser les bases de ce parti. »

Cette citation rappelle, et de toute évidence ce rappel est une bonne chose, que la pensée de Trotsky était en permanence tendue vers la recherche des voies de l’action, de possibilités tactiques pour les travailleurs, les militants loin de se contenter de proclamations. Il imaginait même que soit possible que se forme aux USA un Labor party, un parti des travailleurs, sur le mode qui avait prévalu en Angleterre quelques décennies plus tôt.

Il lui semblait essentiel que s’affirme un parti fondé sur l’indépendance de classe, un premier pas mais un pas qui aurait pu être déterminant. Parfois un pas en avant vaut mieux que dix proclamations ! L’urgence était là.

Et d’une certaine façon, à condition de ne pas le prendre à la lettre, le raisonnement est  pertinent pour l’époque qui nous concerne. L’urgence est là, les évolutions vont s’accélérer sur tous les plans. Avancer dans la construction d’un parti révolutionnaires implique, sans attendre, de travailler à regrouper toutes celles et ceux qui, aujourd’hui, cherchent à prendre en main les affaires en rupture avec les appareils englués dans la collaboration de classe, à les aider à s’organiser, à se rassembler dans un parti des travailleurs, à formuler ensemble idées et perspectives. Ici, à travers le mouvement en cours, se manifestent les acteurs potentiels de la construction de ce parti, elles et ils sont ce parti même s’ils n’en ont pas encore conscience. Notre intervention dans le mouvement a pour but de les aider à en comprendre la nécessité, à les aider à en trouver les moyens. Elle est pleinement partie prenante de notre activité pour construire la généralisation de la grève.  Cette tâche, c’est aussi faire vivre la démocratie, elle se combine nécessairement avec la volonté d’œuvrer au rassemblement des révolutionnaires.

Alors que le mouvement ouvrier connaît un regain d’activité au moment où le capitalisme est entré dans une nouvelle époque de son développement et se confronte à ses limites historiques, la tâche des révolutionnaires est d’aider le monde du travail à se constituer en parti, pour reprendre la formule de Marx.

Alors que la majorité qui dirige le NPA s’enferme dans l’impasse de sa politique dite unitaire et des partis larges, les camarades de LO pourraient avoir un rôle à jouer pour contribuer à faire vivre pratiquement le marxisme, concrètement, à travers la remontée ouvrière, tout en œuvrant au rassemblement démocratique des révolutionnaires pour jeter aujourd’hui les bases d’un parti des travailleurs, parti de la révolution.

Yvan Lemaitre

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