1) Sans surprise, Le Pen est arrivée en tête des élections européennes devant Macron. Cela s’inscrit dans une logique sociale et politique à l’œuvre depuis des années, résultat des capitulations et de la déroute de la gauche institutionnelle, la gauche de gouvernement qui réalise un score particulièrement bas et de celles des directions des grandes confédérations syndicales incapables d’avoir une politique pour résister à l’offensive du capital. Un processus à l’œuvre au niveau de l’Union européenne, ces élections en apportent une nouvelle illustration.
Macron n’avait dû sa victoire à la présidentielle qu’à une imposture financée par le grand patronat, celle de se présenter comme le rempart face à l’extrême droite. Depuis qu’il est au pouvoir, sa politique renforce le RN qu’il a lui-même intronisé comme son seul opposant pour tenter de refaire le hold-up de la présidentielle. Ainsi, Marine Le Pen n’a eu aucun mal à jouer le rôle qu’il lui dédiait, celle de la meilleure opposante à un gouvernement détesté !
Elle réussit, pour une part, à dévoyer et institutionnaliser le mécontentement exprimé par les Gilets jaunes en appelant au vote sanction contre Macron, une façon de démontrer son utilité aux classes dominantes. Imposteur contre imposteur, c’est elle qui a gagné mais les perdants ce sont les gilets jaunes et l’ensemble du monde du travail.

L’échec de Macron à rassembler au-delà de sa base et à profiter de l'effondrement des Républicains et du PS ne met pas les mobilisations en meilleure position. Il va poursuivre sa politique avec d'autant plus de brutalité comme en atteste la généralisation des violences policières. Il sait qu’il peut s’appuyer sur les forces réactionnaires et surtout sur l’effondrement d’une « gauche » sans force et sans idée, dont les différentes « nuances » sont toutes aussi intégrées au système, ont toutes participé à la mise en œuvre des politiques antiouvrières. Si EELV a bénéficié de l’inquiétude et des mobilisations provoquées par la crise climatique, elle ressert les vieilles recettes de la gauche rebaptisée écologie et adaptée aux nouveaux rapports de force pour négocier une place dans les institutions bourgeoises.
L’abstention, bien que reculant par rapport à 2014 et 2009, reste très forte. Elle participe du rejet du jeu politicien, de partis déconsidérés, d’un système dont l’immense majorité de la population n’attend rien, d’élections sans enjeu, truquées et confisquées. Elle est aussi, d’une certaine façon, le complément sur le plan électoral de l’abstention de la grande majorité des salariés durant les six derniers mois passés qui ont été les spectateurs du mouvement des gilets jaunes, certes solidaires, mais passifs.

 

2) Dans ce contexte, Lutte ouvrière a fait un score particulièrement modeste. Bien des salariés ne voient pas l’utilité du vote pour répondre politiquement aux forces réactionnaires. Ils ne voient pas l’intérêt d’utiliser le bulletin de vote pour dénoncer politiquement leurs adversaires, ne leur abandonner aucun terrain, affirmer leur point de vue. Cette attitude est le corollaire de leur attentisme par rapport aux mobilisations.
Cela ne remet nullement en cause la nécessité pour les révolutionnaires d’utiliser le terrain électoral. Heureusement, LO était là pour faire entendre une voix anticapitaliste et révolutionnaire face aux surenchères souverainistes et nationalistes. Mais il est dommage que sa campagne soit restée par trop générale, proclamatoire sans chercher à s’adresser à celles et ceux qui étaient sur les ronds-points ou aux manifs du samedi, comme à celles et ceux qui ont partagé leur révolte, leurs colères, leurs aspirations à la justice sociale et à la démocratie, comme à celles et ceux qui sont à juste titre révoltés par le mépris, l’impuissance des classes dirigeantes face à la catastrophe écologique. Sa campagne est restée enfermée dans son formalisme, son absence de préoccupation démocratique et d’ouverture. Dommage aussi que le soutien apporté par le NPA à la liste de Lutte ouvrière ne se soit que bien peu fait entendre.
L’extrême gauche, bien vivante, présente, active dans les luttes et les mobilisations, dans les élections aussi, a besoin de rassembler ses forces dans un cadre démocratique pour être en mesure de donner confiance au monde du travail, à sa jeunesse, de les encourager à prendre leurs affaires en main contre l’offensive des classes dominantes, faire de la politique.

 

3) Ces élections européennes donnent cependant une vision en trompe l’œil des réalités sociales et politiques du pays comme en Europe. De ce point de vue elles ont rempli leur fonction, vider la démocratie de tout contenu, écarter les classes populaires. Elles sont un camouflet aux GJ et à toutes celles et ceux qui exprimaient leur aspiration à la démocratie directe et vivante.
En toile de fond des bouleversements politiques qui se jouent sur le théâtre d’ombres du parlement européen s’opèrent de profondes transformations dans les consciences au sein du monde du travail.
Qu’elles n’aient pas trouvé les moyens de s’exprimer, de se rassembler en toute clarté sur le terrain électoral n’en supprime en rien la réalité, la profondeur, la radicalité.
Cela n’efface pas les acquis politiques du mouvement, l’affaiblissement du pouvoir, les évolutions de conscience, mais les limites de ces acquis les rendent bien fragiles si les révolutionnaires n’étaient pas capables d’apporter des réponses de classe, démocratiques et révolutionnaires aux questions posées par le mouvement.
Le mouvement des gilets jaunes a été un véritable soulèvement social dont les révolutionnaires ont à tirer collectivement les enseignements pour la suite. Ce qu’il porte de révolte mais aussi de confiance dans la légitimité du plus grand nombre à défendre la collectivité face aux appétits de la finance, n’est pas près de s’éteindre. Ces élections viennent souligner que la démocratie parlementaire, ce qu’ils appellent « la démocratie représentative », est un leurre, une machine à tromper le peuple, les mobilisations démontrent, elles, qu’une démocratie réelle ne peut exister qu’en rupture avec les institutions bourgeoises, que révolutionnaire.

 

4) La crise du système de domination de la bourgeoise, de la machine parlementaire comme des institutions européennes s’accentue sous les effets de l’instabilité économique et de l’instabilité sociale qu’elle engendre.
Dans tous les domaines, les réponses que la bourgeoisie cherche à apporter à ses difficultés ne font que les aggraver, en premier lieu, sur le plan économique. Elles ont amplifié la financiarisation, le parasitisme du capital, l’économie de l’endettement pour alimenter les profits. Les capitalistes n’évitent la faillite qu’au prix d’une guerre permanente contre les salariés et les peuples en accentuant les rapports d’exploitation, le pillage des richesses. Ils provoquent, en retour, un nouvel essor des luttes de classes, sociales, démocratiques, féministes, écologiques.
Les mêmes mécanismes sont en œuvre, à des rythmes et avec des modalités diverses, au niveau de de l’ensemble de la planète.
Les soulèvements qui secouent l’Algérie et le Soudan après avoir renversé les régimes autocratiques d’Abdelaziz Bouteflika et Omar al-Bachir en sont aussi l’illustration. Ils sont dans la continuité du processus révolutionnaire qui a commencé en 2011 pour toute la région arabophone. Ils résultent du blocage social, économique, politique provoqué par la combinaison de politiques libérales intégrées au capitalisme mondialisé et des dictatures corrompues qui les imposent dans tout le Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
La nouvelle phase de développement que connaît le capitalisme engendre des révoltes et des soulèvements qui s’inscrivent dans des processus révolutionnaires et posent en termes nouveaux la question du pouvoir et, en corollaire, celle de la construction de partis révolutionnaires.

 

5) Les six derniers mois représentent une étape importante dans l’évolution de la situation sociale et politique au sens où une fraction du monde du travail et de la jeunesse a fait l’expérience de l’affrontement avec le pouvoir qui ouvre les yeux sur la réalité de l’État et du capitalisme.
La mascarade de ces élections ne pourra masquer cette réalité ni aveugler les travailleurs et les classes populaires.
L’instabilité globalisée de la société capitaliste nous indique que nous n’en sommes qu’au début d’un affrontement de longue durée. Les militants du mouvement ouvrier qui se revendiquent de la lutte de classe, celles et ceux qui ont voulu œuvrer aux côtés des gilets jaunes à la construction d’un mouvement d’ensemble du monde du travail se trouvent aujourd’hui confrontés à de nouvelles questions qui ne peuvent trouver de réponse dans le cadre syndical mais nécessitent de construire des liens, un cadre politique.
L’extrême-gauche, non seulement le NPA mais l’ensemble du mouvement révolutionnaire, n’a pas été, jusqu’alors, à même de construire ce cadre. C’est un fait qui nous impose un bilan critique.
Comment expliquer que trente ans après la chute du Mur puis de l’effondrement du stalinisme et, en conséquence, du Parti socialiste du moins en tant que parti issu du mouvement ouvrier et encore lié à lui, le mouvement révolutionnaire n’a pas été en mesure de conquérir une audience de masse un tant soit peu significative après que plus de 10 % de l’électorat se soient portés sur ses candidats en 2002 ?
S’en tenir à l’explication par les conditions objectives ne serait qu’une façon de perpétuer cet échec.
Comment expliquer que le mouvement révolutionnaire n’ait pas, durant les six derniers mois, conquis une réelle influence ? LO s’est contenté pour l’essentiel d’exprimer une solidarité distante mais passive, sans politique autre que de s’adresser à l’ensemble des travailleurs. Le NPA a cherché à intervenir dans le mouvement avec différentes politiques, le plus souvent en fonction des situations locales, avec une ligne générale trop suiviste vis-à-vis à la fois des Gilets jaunes et de la gauche syndicale et politique.
Répondre à ces questions, c’est-à-dire nous donner les moyens d’intervenir dans les luttes, mobilisations et discussions en cours, contribuer à renforcer le camp des travailleurs, nécessite de nous interroger sur les bouleversements que constituent l’évolution du capitalisme et leurs implications du point de vue du mouvement ouvrier, leurs conséquences du point de vue de la stratégie révolutionnaire, et en particulier à discuter des conditions nécessaires pour réussir à faire de l’objectif même du NPA, le rassemblement des anticapitalistes et révolutionnaires, une politique concrète, pratique, dynamique.
Il devient urgent de trancher le débat stratégique qui nous divise. Depuis un an, le NPA a été paralysé par son incapacité à choisir entre deux grandes tendances : une tendance que l’on peut qualifier tendance des partis larges qui se retrouvent autour de la majorité de la IV et la tendance que l’on peut qualifier des partis des travailleurs, révolutionnaires.
Pour avancer sur la base des acquis de l’année écoulée, nous avons besoin de trancher ce débat. Nos acquis combinent nos interventions dans les luttes et notre démarche unitaire vis-à-vis de LO, ainsi que notre capacité à sauvegarder le cadre démocratique du NPA.
Nos échecs renvoient à notre difficulté à avoir une réelle intervention de parti, quels qu'en soient les canaux, dans les mobilisations comme les élections et notre difficulté à nous donner les moyens de notre politique entre autres dans les rapports avec Lutte ouvrière.
Ces faiblesses et limites ont une origine politique, notre manque de cohérence stratégique. Pour avancer nous avons besoin de redéfinir les bases politiques qui nous réunissent pour que le NPA devienne plus qu’un cadre unitaire entre différentes fractions publiques. Les principes fondateurs n’y suffisent plus. Nous avons besoin d’imaginer ensemble les voies et moyens de construction d’un parti révolutionnaire, donc le dépassement du NPA et donc aussi de chacune de ses composantes.
Nous sommes bien sûr disponibles pour toutes les discussions sur les perspectives du mouvement ouvrier comme à toutes les actions unitaires qui participent des mobilisations, les renforcent en particulier face à la répression mais nous ne laissons aucune ambiguïté sur nos objectifs. Nous ne sommes pas de ceux qui veulent reconstruire la gauche, fût-elle radicale. Nous militons pour que les travailleurs prennent leurs affaires en main et s’organisent sur le terrain politique.
La transformation du rapport de force, c’est d’abord et avant tout les progrès de la conscience de classe, la prise de conscience de la nécessité de s’organiser en toute indépendance des classes dominantes, de leurs institutions, de leurs partis, la capacité du prolétariat, pour paraphraser Marx, de se constituer en parti. Le NPA n’est pas ce parti ni son embryon, il peut en être un instrument efficace de construction.

Le 30/05/2019
Texte collectif rédigé dans le cadre des discussions au sein du NPA

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